MÉLUSINE

Un portret inedit al lui André Breton

PASSAGE EN REVUES

« Un portret inedit al lui André Breton », Mozaicul, Craiova, [Roumanie], serie nouã, anul XIII, nr. 6 (140), 2010, p. 3.p>

La revue culturelle Mozaicul a été fondée en 1838 à Craiova, en Roumanie. Elle a repris en 1997 dans un format et une mise en page originale. Ayant décidé de consacrer son treizième numéro (Nlle série) à André Breton. Informée de ma biographie parue en 1990 chez Calmann Lev, et reprise en 2005 par Fayard, elle m’a demandé, par l’intermédiaire de Petre Raileanu, de lui confier un bref portrait du maître. Le voici donc, dans sa version originale.

la première page de ce numéro, format réduit.
p. 3, mon article, traduit en roumain.

Texte original en français : UN PORTRAIT INÉDIT D’ANDRÉ BRETON Par Henri BÉHAR

Pour tout un chacun, André Breton est le leader incontesté du groupe surréaliste. On se le représente haranguant ses troupes, une canne à la main pour briser les idoles du jour. Et le voilà fulminant des bulles contre ses amis de la veille (ne l’a-t-on pas surnommé « le pape du surréalisme » en dépit de l’incongruité des termes ?), excluant à tour de bras, dénonçant les schismatiques et les hérétiques. Ayant eu à écrire sa biographie, c’est un homme tout différent que j’ai rencontré. Au lieu d’un chef d’école sûr de lui-même, j’ai trouvé un écrivain inquiet, souvent dépressif, aimant prendre conseil des uns et des autres, malheureux de ses colères. De sorte qu’il me semble plus pertinent de renverser les images convenues et de se demander dans quelle mesure il ne serait pas un naïf, au sens premier du mot, proche en cela d’un de ses modèles oublié, Jean-Jacques Rousseau, et d’un autre encore moins soupçonné, Émile Zola, qui écrivait : « Mon cerveau est comme un crâne de verre, je l’ai donné à tous et je ne crains pas que tous viennent y lire. » Suzanne Musard, l’héroïne finale de Nadja, qui l’a fortement aimé et par qui il a beaucoup souffert, écrivit à son sujet : « Breton encensait ses amours ; il façonnait la femme qu’il aimait pour que, conforme à ses aspirations, elle devienne une valeur affirmée. » Ceci vaut pour tous les êtres qu’il a connus, amis, amantes ou grands personnages. Cela commence par la date de naissance qu’il adopte en 1917, différente à un jour près, il ne peut l’ignorer, de celle qui se trouve sur ses papiers d’état-civil. Cette information serait purement anecdotique si Breton ne prétendait écrire toute la vérité, et s’il n’en avait pas fait mention lui-même dans Les Vases communicants pour analyser l’un de ses rêves. Il donne sa cousine Manon pour plus âgée que lui de deux ans (alors que c’est exactement l’inverse) et donc plus expérimentée. De fait, éprouvant pour elle « un grand attrait sexuel », il aurait voulu s’en tenir à un échange platonique, ce qui explique la déception confiée à l’un de ses amis au lendemain de sa nuit d’amour. Les rapports de Breton avec Simone, sa première épouse, ont toujours été empreints de la plus grande confiance et d’une totale franchise. Se confiant ainsi à elle, qui fait preuve de compréhension et de libéralisme, Breton ne comprend pas, au moment où il lui demande le divorce pour s’engager davantage avec Suzanne, qu’elle ait pu le tromper avec son ami Max Morise. On sait, par ce qu’il en a écrit, que l’être auquel il a été le plus attaché, pour qui il a remotivé le contenu d’une expression toute faite, « l’amour fou » est sa seconde femme, Jacqueline Lamba. Elle aussi l’a beaucoup fait souffrir par sa volonté d’indépendance et par les manifestations de sa personnalité entière. Il expose à son propos sa propre conception de l’innocence, dont on imagine combien il a dû se dépouiller de sa formation initiale, et de sa culture chrétienne pour y parvenir : « Il n’y a jamais eu de fruit défendu. » (L’Amour fou, p. 137) Breton a choisi son premier ami, Théodore Fraenkel, à sa manière de dire un poème de Chénier. De la même façon, il pensait réunir les lettres de guerre de Jacques Vaché en demandant une préface à Maurice Barrès. Naïveté ou provocation ? Le fait est que le député nationaliste se déroba en déclarant qu’il « ne possédait plus la clé de cette conversation ». Ce sera sans doute l’une des causes du « Procès Barrès », que Breton intentera au héros de sa jeunesse pour « crime contre l’esprit ». Principal conseiller et soutien de Breton durant la phase « idéologique » du surréalisme, impitoyable pour Aragon et les autres, Éluard l’a trahi durant son séjour au Mexique, en publiant dans des revues hostiles au surréalisme. Pour changer des références habituelles, je pourrais aussi prendre l’exemple de ses relations avec Benjamin Péret, à qui, durant son exil au Mexique, il enjoint de ne pas publier dans View, une revue rivale de celle qu’il tente d’animer à New York. Si Valéry l’a efficacement aidé, il se considère comme trompé par l’Académicien au point qu’il vend la collection de ses lettres (non sans en avoir pris copie). Il croit Gide acquis à la cause de Dada et le considère, un temps, comme son maître à penser, mais il ne tarde pas à en dénoncer les limites dans une interview désagréable pour le guide des jeunes générations. Breton souffrait du « complexe de Cordelia », comme il le nommait lui-même. Le premier symptôme apparaît lors d’une visite qu’il va rendre, de son propre chef, au poète Saint-Pol Roux, dit le Magnifique, durant l’été 1922. Impossible d’exprimer oralement son admiration profonde, qu’il formulera par écrit, en suscitant un numéro d’hommage au poète, puis un banquet, selon la tradition symboliste. La visite qu’il rend au fondateur de la psychanalyse, dans son propre cabinet de Vienne, en 1921, suscite un grand désappointement. En vérité, l’alliance qu’il proposait entre l’art et la science n’a pu se faire. Enfin, Jacqueline Lamba a dit quelle émotion animait Breton lors de sa première entrevue avec Trostski, et lui-même s’est expliqué sur ses silences maladroits. Ayant lu la correspondance qu’il adressait à sa femme Simone au moment de sa liaison avec Nadja, je ne crois pas qu’il ait été dupe de ses égarements. On l’a dit sensible aux prédictions des voyantes. Il ne faisait que se comporter comme un grand nombre de Français, à ceci près qu’il ne s’est pas contenté de relater cette entrevue à sa femme et à ses amis ; il nous l’a fait savoir dans Nadja, allant jusqu’à reproduire le portrait de la devineresse. Cela souligne davantage son étrange faculté d’étonnement devant certains cas pathologiques, tel ce soldat qui prétendait commander aux fusées, se croyant le metteur en scène du théâtre des opérations (dont Breton consignera les propos mot pour mot sous le titre « Sujet »), ou encore ce malade du Val-de-Grâce qui, soigneusement dépouillé de tout, parvenait à faire surgir des drapeaux de tous les pays ou à faire s’envoler des colombes. La grande ambition, et aussi le grand mérite d’André Breton, aura été de vouloir concilier son projet artistique avec son projet politique, ce que nul n’avait fait auparavant. Breton fut donc le premier à tenter un tel accord, avec une hardiesse et des déceptions qu’on peut d’autant plus facilement taxer d’ingénues que nous savons à quoi nous en tenir, aujourd’hui, du système soviétique. Dès 1920, c’est lui qui entraîne Aragon au parti socialiste, au moment de l’historique Congrès de Tours, en vue d’une adhésion. Mais le curieux est qu’ils ne s’adressent pas directement au secrétariat du parti. Ils vont d’abord voir Georges Pioch, un collaborateur du Journal du peuple, puis ils se rendent à L’Humanité où le détail des démarches administratives pour adhérer au parti les en dissuade. L’attitude de Breton, toujours empreinte de confiance, relève, quoi qu’on en dise, de la pureté. Rejeté par sa cellule, ne supportant pas les préventions de L’Humanité, journal qu’il trouve puéril et déclamatoire, il n’en maintient pas moins, avec une belle illusion lyrique que, face à un grave danger, le groupe se rangera au côté de la Troisième Internationale. Mais l’affaire ne s’arrête pas là. Quand le PC, créant l’AEAR (Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires) reprend à son compte une idée des surréalistes, en la détournant de ses buts, Breton, en bons termes avec Paul Vaillant-Couturier, se croit en mesure d’infléchir la ligne de l’organisation. Est-ce par une sympathie ancienne pour Trotsky, dont il avait apprécié le Lénine, ou à la suite d’une rigoureuse analyse des faits, toujours est-il que Breton a, dès la fin août 1936, pris fait et cause pour les anciens compagnons de Lénine, prononçant un discours, « La vérité sur les procès de Moscou » au meeting du 3 septembre, où il désignait Staline comme « le principal ennemi de la révolution prolétarienne », se rapprochant des écrivains prolétariens qui publièrent son intervention. Breton en usera librement, il prononcera même une conférence à l’un de leurs meetings, mais, en dépit de sa bonne volonté, il ne dépassera pas l’évocation de « La claire tour » et sa confiance achoppera sur l’appréciation de L’Homme révolté d’Albert Camus. Ce n’est pas le lieu de refaire ici l’histoire des relations de Breton et de Bataille au sein du groupe Contre-attaque. Quelles qu’en soient les explications données de part et d’autre, j’avoue que, pour ma part, je n’ai jamais pu comprendre comment Breton avait pu, ne serait-ce qu’un instant, adhérer à l’idée primaire selon laquelle on ne pouvait combattre le nazisme que par ses propres moyens, ou en allant encore plus loin que lui. Cela me paraît tellement aux antipodes de la pensée d’André Breton, et de sa manière d’être, que je ne puis me retenir de croire qu’il a voulu montrer sa magnanimité, passant par dessus les outrages d’un adversaire dont il savait apprécier les écrits, pour tenter de constituer un groupe d’action voué à l’échec.