MÉLUSINE

Nadja, marturia hazardului obiecti

PASSAGE EN REVUES

« Nadja, marturia hazardului obiecti », Mozaicul, Craiova (Roumanie), nlle formule, XVIe année, n° 5 (175), 2013, p. 3.

Ayant rendu compte dans un précédent numéro du Dictionnaire André Breton publié aux Classiques Garnier, la rédaction de cette revue m’a demandé l’autorisation de publier mon article sur Nadja ce qui fut fait sous le titre : « Nadja, témoin du hasard objectif ».

Texte d’origine en français :

NADJA (Léona Camille Ghislaine Delcourt) Saint-André-Lez-Lille, 23 mai 1902 — Bailleul, 15 janvier 1941

Les affabulations romanesques des uns, les élucubrations des autres nous contraignent à traiter ici de la vraie Nadja, celle qui s’est dénommée ainsi quand Breton l’a rencontrée rue Lafayette, à Pairs, le 4 octobre 1926. Fille d’un typographe devenu représentant en bois, et d’une mécanicienne d’origine belge, Léona rencontre en mai 1919 un officier anglais dont elle a une fille, Marthe, née le 20 janvier 1920. Elle la confie à sa propre mère, et, dès 1923 gagne Paris, où elle s’installe dans un petit appartement près de l’église Notre-Dame-de-Lorette. Elle exerce différents petits métiers, se trouve un protecteur en la personne d’un président de la cour d’assises de Nîmes, le juge Gouy, et, à l’occasion, se livre à la prostitution en levant un client au Claridge. Il lui arrive, comme elle le confie à Breton en mentionnant son patronyme véritable, de passer de la drogue au cours d’un voyage en Hollande, ce pourquoi elle a affaire à la police. Lorsqu’elle fait la connaissance de Breton, elle demeure à l’Hôtel du Théâtre, rue Chéroy, face à l’entrée des artistes du Théâtre des arts, où il ira lui déposer un message. Ils se voient presque chaque jour du 4 au 13 octobre. Après la nuit passée à l’Hôtel du Prince de Galles à Saint-Germain-en-Laye, où leurs échanges furent plus charnels que ne le laisse entendre la révision du volume en 1963, Breton se demande : « se peut-il qu’ici cette poursuite éperdue prenne fin ? » Peut-être se sont-ils unis à nouveau, comme le laisse entendre cette phrase « J’ai vu ses yeux de fougère s’ouvrir le matin sur un monde où les battements d’ailes de l’espoir immense se distinguent à peine des autres bruits qui sont ceux de la terreur et, sur ce monde, je n’avais vu encore que des yeux se fermer. » (OC I, 715) qui n’a pas été supprimée à la correction. À Pierre Naville, mis dans la confidence de cette « révélation surréaliste », il dira : « Avec Nadja, c’est faire l’amour comme avec Jeanne d’Arc. » L’après-midi du mercredi 13 octobre, la relation d’une mésaventure avec un homme à qui elle se refusait manque l’éloigner d’elle à tout jamais. Il la revoit « bien des fois » cependant, la conduit à la Galerie surréaliste où elle ne sait trop comment se comporter en présence de Simone. Terriblement affecté des proportions que prennent les réalités triviales dans la vie de la jeune femme, Breton s’irrite à son sujet. Il lui fait rencontrer Éluard dont le jugement lui semble objectif. Celui-ci conclut à un malentendu social : elle adore Breton comme elle n’a jamais aimé aucun homme, mais elle souffre de sa pauvreté. Breton se tourne alors vers Simone, partie à Strasbourg : « Cette femme, je ne l’aime pas et [...] vraisemblablement je ne l’aimerai jamais. Elle est seulement capable, et tu sais comment, de mettre en cause tout ce que j’aime et la manière que j’ai d’aimer. Pas moins dangereuse pour cela. » (lettre à Simone, 8/11/26). Soucieux de ses difficultés matérielles, Breton vend un petit tableau de Derain pour lui venir en aide. Le livre reproduit scrupuleusement une partie des messages qu’elle lui a adressés. « C’est froid quand je suis seule. J’ai peur de moi-même [...] André. Je t’aime. Pourquoi dis, pourquoi m’as-tu pris mes yeux. » (22/10/26) « Quand tu es là – le ciel est à nous deux – et nous ne formons plus qu’un – rêve si bleu – comme une voix azurée – comme ton souffle » (22/10/26) « Mon aimé [...] C’est si grand m’amour cette union de nos deux âmes – si profond et si froid cet abîme où je m’enfonce sans jamais rien étreindre de l’au-delà – et puis quand je reviens toi tu es là – mais la mort elle aussi est là, oui elle est là derrière toi, mais qu’importe. Je ne peux finir ». (15/11/26) Mise à la porte de son hôtel, elle en trouve un plus modeste encore, rue Becquerel. Ses ultimes messages sont poignants de détresse et de lucidité : « Il pleut encore/ Ma chambre est sombre/ Le cœur dans un abîme/ Ma raison se meurt », lui écrit-elle le 29 janvier (OC I, 1512). Quinze jours après, elle décide d’elle-même de s’effacer, glissant sous la porte de son unique ami un mot où elle l’encourage à mener à bien la mission dont il est investi. Le soir du 20 mars 1927, elle a une crise d’angoisse, se croit persécutée, voit des hommes sur les toits. La gérante de l’hôtel, Mme Richard, appelle la police. Le car de Police-secours la conduit à l’infirmerie spéciale du dépôt à l’Hôtel-Dieu, où elle est internée d’office pour « troubles psychiques polymorphes ». Le médecin-chef l’envoie à l’hôpital Sainte-Anne d’où elle est transférée, le 24 mars, à l’asile de Perray-Vaucluse (département de la Seine). À la demande de sa mère, elle est transférée en mai 1928 à l’asile de Bailleul, dans le Nord. Elle y décédera le 15 janvier 1941, de « cachexie néoplasique », due aux restrictions alimentaires ayant touché les hôpitaux psychiatriques à l’époque. Breton ne l’a plus revue après sa crise, malgré la lettre de recommandation qu’il avait demandée au Dr Gilbert Robin (l’auteur des Rêveurs éveillés que Breton avait apprécié) auprès du médecin-chef de l’asile de la Seine. En tout état de cause, il ne put apprendre son décès qu’à son retour d’Amérique. Avec la Vente Breton, le public a pu prendre connaissance des documents de Nadja que leur destinataire avait précieusement conservés en un dossier de 32 lettres ou billets autographes et de la quarantaine de dessins joints. Outre son intérêt documentaire indéniable, l’ensemble, extrêmement émouvant, fait ressortir l’attachement de Nadja au compagnon qu’elle divinise. L’écriture, d’une graphie affirmée, en est parfaitement lisible, l’utilisation de l’espace n’a rien de maniaque, et on n’y perçoit aucune dégradation au fil du temps. La plupart des messages sont des pneumatiques, écrits et expédiés dans l’urgence, mais l’orthographe y est toujours correcte, à quelques étourderies près. On dispose aussi du brouillon de cinq d’entre eux. On s’interroge sur le paradoxe que constitue ce dossier relié où se retrouve la quasi totalité des lettres de Nadja (outre quelques billets accompagnaient le manuscrit vendu à un collectionneur et un exemplaire de l’ouvrage remis à René Char), alors qu’on n’a pas celles de Breton (vraisemblablement détruites par la famille Delcourt), et que lui-même n’a pas gardé celles de ses autres amoureuses – elles sont au tombeau ! Il semble que Breton ait conservé ce dossier à titre de témoignage ou de preuve afin de prouver que tout ce qu’il en écrit dans Nadja est vérifiable ; dans l’espoir d’en faire une publication autonome ; avec l’idée de le confier à d’autres pour une étude sur la passion, ou même une sociologie de l’aliénation économique. Car ce qui apparaît en filigrane, que nul n’a remarqué, c’est bien que Nadja est une représentante absolue du lumpenprolétariat selon Marx. Elle cherche à s’employer, sans se faire abuser ni exploiter, et demande à Breton de lui trouver une place chez l’un de ses amis. Elle proteste aussi qu’elle ne gaspille pas l’argent qu’il lui a remis, parcourant les pensions de famille dans Paris afin de se loger au moindre coût, quand elle est chassée de l’hôtel : « ... J’ai perdu – c’était prévu, n’est-ce pas – d’après vous ! et ce n’est pas tout. La fatalité veut que ça aille au plus mal. J’ai été mise à la porte de mon hôtel ce matin – parce que je suis pauvre – et que je me moque par trop de l’argent – c’est le patron de l’hôtel qui m’a dit cela !!! Convenez cher ami qu’il y a de quoi vous faire ouvrir les yeux !!! » (23/12/26) Mais peut-elle poursuivre sa vie hasardeuse dès lors qu’elle a connu un écrivain qui perçoit en elle des qualités propres à illustrer le surréalisme ? C’est lui qui l’invite à dessiner et à peindre (La Fleur des amants), ce qu’elle n’avait jamais fait auparavant. Leurs rapports se compliquent dans une double relation littéraire. Elle lui demande de tirer un roman (genre honni) de leur relation ; « André !... Tu écriras un roman sur moi. Je t’assure. Ne dis pas non. Prends garde : tout s’affaiblit, tout disparaît. De nous il faut que quelque chose reste... » (OC I, 708). Breton s’y essaie aussitôt, en prenant des notes très factuelles, comme on peut en juger par les extraits d’un carnet de 26 pages passé en vente publique en 1991. Il note ainsi : « Mercredi 6. ...Les Pas perdus à la main. Il n’y a que quelques pages de coupées... Dès ce moment conscience de mon pouvoir sur elle (?) Peur réelle ou simulée que j’en abuse. » Il le lui fait lire. Le 1er novembre, sa réponse est sans appel : « Comment avez- vous pu m’écrire de si méchantes déductions de ce qui fut nous [...] Comment ai-je pu lire ce compte rendu... entrevoir ce portrait dénaturé de moi-même, sans me révolter ni même pleurer ? » (OC I, 1 505). De son côté, lui-même l’incite à écrire un livre. Sur quoi elle aurait à son tour jeté des notes la concernant sur un cahier qu’elle n’aura de cesse de récupérer quand Breton l’aura jugé sans aménité : trop « pot-au-feu ». Les lettres de Nadja prouvent qu’elle eut la volonté du poème : « Vers d’autres horizons/ Et vers d’autres lumières » (12/12/26) ou plus bas dans la même lettre : « Un poids énorme m’oppresse la poitrine/ et mon cœur s’alourdit de craintes réfutées/ (Mon aimé, ton absente)/ Absence intolérable, (oh, doux) de mon appui moral,/ plaisir des yeux/ Objet de mon amour ». Lorsqu’enfin Breton lui fait rendre ce carnet, apaisée elle glisse sous la porte de son appartement un dernier message : « Merci, André, j’ai tout reçu. J’ai confiance en l’image qui me fermera les yeux. Je me sens attachée à toi par quelque chose de très puissant, peut-être cette épreuve était nécessairement le commencement d’un événement supérieur. J’ai foi en toi – Je ne veux pas briser l’élan m’amoindrir l’amour que j’ai pour toi par d’absurdes réflexions. Je ne veux pas te faire perdre le temps nécessaire à des choses supérieures. Tout ce que tu feras sera bien fait. Que rien ne t’arrête... Il y a assez de gens qui ont mission d’éteindre le Feu [...] tu n’as rien à me pardonner arrache les lettres qui t’ont peiné, elles ne doivent pas exister. Chaque jour la pensée se renouvelle. Il est sage de ne pas s’abstenir sur l’impossible. [...] André, malgré tout je suis une partie de toi. C’est plus que de l’amour. C’est de la Force et je crois. » Breton n’avait pas abandonné l’idée de faire connaître ses réalisations plastiques en annonçant un projet de « Boule de neige par N.D. » annoncé dans La Révolution surréaliste. Il lui avait suggéré de se livrer à ce genre d’activité comme moyen de s’occuper dans ses journées vides et pour lui faire projeter ses angoisses, une forme d’art-thérapie peut-être ? Un fait est certain, c’est qu’il y apparaît toujours en majesté, si l’on peut dire, prêt à détruire le serpent du Mal. Nul n’a prétendu que ces œuvres allégoriques révélaient une compétence artistique, mais elles relèvent de ce que l’on nommera par la suite l’art brut, l’art de celui qui ne sait pas peindre. Manifestent-elles une forme d’altérité caractéristique de l’expression de la folie ? autrement dit, sont-elles la preuve d’une schizophrénie ? Seul le psychiatre pourrait en trancher, s’il ignorait le destin de leur auteur ! En tout état de cause, elles confirment le sentiment que donne la lecture des lettres : Nadja avait une tendance évidente au mysticisme, comme si elle avait lu Thérèse d’Avila et Saint Jean de la Croix dans son expression de l’amour : « Je ferme les yeux. Quel beau pays – verdoyantes prairies et pommes dorées peut-être que le serpent se cache pour mieux tenter – et tu es là – près de moi – je te sens – ton joli regard me surprend. » (23/11/26) « Viens mon amant chéri – car mon âme s’inquiète et se tourne en tous sens pour retrouver le feu... » (01/12/26). « Mon Chéri/ le chemin du baiser était beau, n’est-ce pas – et satan fut si tentant... » (02/12/26) Elle éprouve l’attraction du vide, « La conscience qui se livre au néant. » (ibid.) « ...vous êtes aussi loin de moi que le soleil, et je ne goûte le repos que sous votre chaleur [...] je conserve votre souffle, celui qui gémit, celui qui ne meurt pas, et il me suivra partout ce sera mon parfum. » (03/01/27) Certaines phrases relèvent clairement du projet de livre suscité par son amant, qui lui a peut- être soufflé l’image nervalienne de la main de feu. Mais ses attitudes de Mélusine, sa représentation de la dualité du monde céleste, les maléfices attribués à Satan sont caractéristiques de sa culture très populaire. Qualifiera-t-on de baudelairienne cette double postulation : d’une part elle aspire à la divinité, d’autre part elle se montre enjouée comme une enfant, même dans un dernier message, alors qu’elle sait Breton détaché d’elle : « Vous êtes parfois un puissant magicien plus prompt que l’éclair qui vous environne comme un Dieu. [...] Nous ne pourrons jamais oublier cette... entente, cette union [...] Je n’ai qu’une seule idée, une seule image. C’est vous. Je ne sais plus. Je ne peux plus. Toujours votre nom me retient comme ce même sanglot qui m’étreint... et je me sens perdue si vous m’abandonnez [...] partout des gueules de loups s’entrouvrent menaçantes... et des yeux dévorants, j’ai beau éloigner cette vision... me dire que je me trompe, aussitôt j’ai la preuve que c’est bien vrai, et je tremble d’effroi. Je suis comme une colombe blessée par le plomb qu’elle porte en elle. [...] Hélas tu n’es venu que 2 fois, et mon pauvre oreiller connaît bien des amertumes, des larmes séchées ou refoulées, des appels, des gémissements - non - Peut- être es-tu vraiment guéri de moi. On m’a dit que l’amour était une maladie ? [...] La vie est bête, disais-tu, lors de notre première rencontre. Ah, mon André, crois que pour moi tout est fini. Mais je t’avais, et c’était si beau. [...] Tiens, je suis encore petite fille, pour te claquer de gros baisers dans ton cou sous ta fine oreille. » (30/01/27) ? Soulignons sa qualité de critique littéraire que Breton lui confère dans le récit, à la lecture d’un poème obscur de Jarry (OC I, 689). Elle ne manque pas d’exercer cette sensibilité à l’endroit des propres livres de Breton : « Si tu étais là... mais j’ai ton livre [Clair de terre]... c’est toi quand même n’est-ce pas - et il me comprend bien - quand je te serre./ Parfois, il me chuchote une bonne pensée. Tu aurais mieux fait de l’intituler "Éclair de mes traits". Quand je te serre ainsi contre moi, j’évoque la puissante image de notre rencontre [...]. Je te vois marcher vers moi avec ce rayon de douce grandeur accroché à tes boucles – et ce regard de dieu [...] Je vous valais quand je vous repoussais, mais maintenant par ce matin si clair d’espérances – je ne puis que pleurer. » (20/01/27) H.B.

Biblio : Hester Albach, Léona, héroïne du surréalisme, traduit du néerlandais par Arlette Ounanian, Actes Sud, Arles 2009. J’ai bien des choses à vous dire... Les lettres de Nadja à André Breton. Édition établie, présentée et annotée par Her de Vries, Labyrint, HC, 2010. Ce n’est pas les images qui me manquent... Les dessins de Nadja. Édition établie, présentée et annotée par Her de Vries, Labyrint, HC, 2010.

Dictionnaire André Breton - Présentation (classiques-garnier.com)

PRÉSENTATION Il y a quatre lustres, après nous être livré à un examen général des diverses tentatives de l’époque pour faciliter la connaissance des œuvres littéraires, nous proposions l’élaboration de dictionnaires d’auteurs, qu’ils fussent numériques ou de papier (1).

Tout en présentant leurs notices dans l’ordre rigoureusement alphabétique, ils devaient contenir trois types de savoirs : l’encyclopédique, définissant les termes géographiques, historiques, les noms des personnages, réels ou fictifs, figurant dans l’œuvre de l’auteur étudié ; l’autre linguistique ou lexicographique, portant sur le vocabulaire spécifique de l’écrivain, ses formes-sens poétiques, ses images, son glossaire en quelque sorte ; une dimension idéologique enfin, dégageant les concepts-clés développés dans l’œuvre, leurs tenants et aboutissants philosophiques et politiques. Dans la continuité de ces réflexions, le présent Dictionnaire André Breton s’efforce de réunir ces trois ordres au service d’une approche globale de l’œuvre pour éclairer un lecteur désireux de connaître sa spécificité, son caractère inégalable. Comme pour une biographie, un dictionnaire d’auteur procède d’une connaissance parfaite de l’auteur traité et de son entourage, de son œuvre intégrale, des études et commentaires qu’elle a suscités, des questions que se pose le public à leur propos, à partir de quoi on dresse la liste des entrées. Cependant, les technologies actuelles viennent assister une mémoire parfois défaillante. Pour assurer notre propos, nous avons pu offrir à tous les collaborateurs de ce dictionnaire une version numérisée de l’ensemble des œuvres de Breton, ce qui leur a permis de dégager les formes les plus saillantes, et surtout leur a fourni une série de contextes qui ont facilité la rédaction des notices en balayant la totalité de l’œuvre. Aussi bien, les termes apparemment les plus abstraits sont-ils systématiquement donnés dans leur environnement, et avec leur emploi particulier chez Breton. Nous ne nous sommes pas contentés de multiplier les citations, nous donnons leurs références exactes dans les Œuvres complètes publiées dans la Bibliothèque de la Pléiade, celles-ci nous paraissant les plus stables. En effet, nous aurions pu renvoyer aux diverses éditions au format de poche, mais, hélas, leur foliotage varie d’une impression à l’autre ! De la même façon, nous avons pu bénéficier de la version numérisée des revues et des tracts surréalistes offerte par le Centre de recherches sur le surréalisme, et sur le même site Mélusine de la banque de données « Surréalistes de tous les pays », fournissant, de manière homogène, les dates d’appartenance des individus au groupe. Ajoutons que le site tenu à jour par l’Association Atelier André Breton, résultant de la très controversée vente de sa collection, nous a permis de vérifier ce que Breton avait effectivement eu entre les mains. Bientôt cinquante ans après sa mort, les enthousiasmes et les polémiques qu’il a pu susciter se sont incontestablement apaisées, et, loin d’être au purgatoire des écrivains, le voici plus vivant, agitant des idées toujours actuelles, débattant du goût et des principes moraux sans lesquels aucune société ne pourrait subsister. Qu’on ne dise pas que cette démarche va à l’encontre de l’auteur et de l’œuvre dont nous prétendons faciliter l’accès. L’article « Dictionnaire » dit suffisamment le goût de Breton pour ce type d’ouvrages qu’il a suscités, auxquels lui-même s’est adonné, sous des formes diverses, du Dictionnaire abrégé du surréalisme au Lexique succinct de l’érotisme... Par son ambition encyclopédique, le présent dictionnaire se différencie des Pensées d’André Breton éditées par notre Centre de recherches sur le surréalisme en 1988 et toujours disponible (Éditions l’Âge d’Homme). Ce volume avait une double ambition : dégager les formules gnomiques qui parcourent les écrits de Breton, reflétant une pensée singulière ; mettre en perspective ce qu’on pourrait qualifier de doxa d’André Breton à travers les citations de son œuvre dans les ouvrages de vulgarisation. Sans s’y opposer, le dictionnaire complète les Pensées non seulement par la diversité et la quantité des entrées, mais aussi par le contenu des notices qui procèdent à un examen quasi exhaustif des textes. En dépit du grand nombre de poètes, d’artistes, de plasticiens ayant appartenu au groupe surréaliste qui sont ici traités, ce dictionnaire ne prétend pas rivaliser avec les dictionnaires du surréalisme ayant cours sur le marché (auxquels plusieurs d’entre nous ont collaboré). En effet, les noms des personnalités qui figurent ici n’ont été retenus que dans la mesure où celles-ci avaient eu un rapport explicite avec André Breton, en l’accompagnant dans sa démarche, ou, inversement, parce qu’il s’est attaché à éclairer la leur. Il est d’usage d’indiquer qu’un dictionnaire d’auteur s’adresse aux étudiants, aux amateurs, au public éclairé. Qu’on nous permette d’insister sur ce dernier adjectif : le lecteur prévenu, cherchant à retrouver ses idées préconçues ne sera jamais le bienvenu ! Car c’est souvent un André Breton inattendu que l’on découvrira ici, fin lettré, soucieux de préserver l’héritage littéraire du passé, un critique d’art avisé, créateur de concepts appelés à durer dans le domaine esthétique, un ami constant par-delà ses sautes d’humeur, et surtout un homme curieux des connaissances les plus diverses, à tel point qu’on a pu le ranger dans la catégorie des Initiés. Par définition, un tel dictionnaire se prête à une navigation infinie, d’une entrée l’autre. Mais elle ne saurait se clore sur elle-même, ménageant des escales dans divers ilots que sont les textes de Breton. Au moment de quitter Nadja, celui-ci faisait observer « le surcroît d’attrait qu’exerce L’Embarquement pour Cythère lorsqu’on vérifie que sous diverses attitudes il ne met en scène qu’un seul couple ». Puisse ce dictionnaire offrir un tel surcroît !

Henri BÉHAR