MÉLUSINE

Paul Sanda, Grand Emblèmes du Merveilleux pour Ernest Gengenbach

19 mai 2024

Paul Sanda, Grands Emblèmes du Merveilleux pour Ernest Gengenbach.

couverture du livre de Paul Sanda

Mgr Paul Sanda, Grands Emblèmes du Merveilleux pour Ernest Gengenbach. Ça c'est le titre. Il est flanqué de deux sous-titres : Épistoles fantasophiques, suivi de Prétexte philosophal à la présentation subtile d'une brève histoire de la Maison des surréalistes. Ainsi paré le volume comporte 300 pages bien denses, plus de 30 illustrations pleine page couleur et noir et blanc, et il est publié par les Éditions La Rumeur libre (Sainte-Colombe-sur-Gand) en l'an 2024. Un très beau livre, et surtout un magnifique monument où l'imagination déchaînée le dispute à la rigueur d'une foisonnante érudition, destiné par son auteur (lequel se revendique à cette solennelle occasion de son grade d'évêque gnostique) à célébrer le centenaire du Manifeste du Surréalisme ainsi que les vingt ans de la Maison des surréalistes de Cordes-sur-Ciel (Tarn). Les vingt-quatre chapitres (c'est-à-dire le corps de l'ouvrage) consistant en « lettres-emblèmes » rédigées par Monseigneur Paul Sanda et (fictivement) adressées à « Monseigneur Ernest Gengenbach » sont précédés d'une préface par Patrick Lepetit – l'auteur du Parcours souterrain du surréalisme où il aborde les rapports entre le surréalisme et l'ésotérisme – préface intitulée « Ernest de Gengenbach surréaliste luciférien » et constitutive d'un « prétexte subtil à la présentation fantasophale de Paul Sanda en sa demeure ». Ces chapitres sont suivis d'une « Lecture des Grands Emblèmes » par Odile Cohen Abbas, d'une postface par Marc Petit intitulée « La nuit des étoiles » et d'un « Hommage à Sarane Alexandrian » par Paul Sanda. Un livre multiple, flamboyant, crépitant, étincelant, ardent et généreux, baroque et parfois explosif, exalté/exultant, qui constitue à soi seul une véritable et précieuse bibliothèque tant il comporte de noms propres, de citations et de références. Pas de meilleur moyen pour appeler une lecture en étourdissante immersion des surabondants univers surréalistes, leurs sources et leurs expansions.

Qui est le personnage dédicataire des « lettres-emblèmes » de Paul Sanda ? Né en 1903 dans les Vosges, mort en 1979 en Eure-et-Loire, Ernest de Gengenbach  fut séminariste puis apprenti jésuite à Paris. En raison de son goût excessif pour les femmes, il ne sera jamais ordonné prêtre. Cependant il ne cessera d'évoquer et d'invoquer les dogmes catholiques, de les interroger et de les subvertir d'une manière que l'on pourra dire foncièrement surréaliste. Pour lui, le surréalisme est « une mystique sans théologie… une sorte de braconnage mystique dans les jardins interdits du Paradis terrestre pour y voler les fruits de l'Arbre de la Science ». Il oscille entre une vie littéraire voire mondaine, plutôt alcoolisée voire scandaleuse aux yeux des « bien-pensants », et les pieuses retraites dans différents monastères, Solesmes, Saint Wandrille, La Pierre Qui Vire… . Il est séduit par la pensée de Jung et hanté par ce qu'il appelle le « Surnaturel chrétien ». Selon André Breton, il parvient à concilier « comme nul autre n'a su le faire son amour du religieux et son amour du profane ». Cependant il rompt avec Breton en 1935 après le suicide de Crevel, et il lui reproche d'avoir écarté le sacré, le religieux, le mystique de son champ d'exploration. Lui, Ernest de Gengenbach, auteur de L'expérience démoniaque, paru aux Éditions de Minuit en 1949, puis chez Eric Losfeld en 1968, peut être dit « pèlerin de l'absolu et quêteur du Graal, ayant toute sa vie cherché à concilier sa nostalgie du merveilleux surréaliste et sa hantise du surnaturel chrétien ». Les vingt-quatre chapitres, « lettres-emblèmes », écrits par Paul Sanda, trouvent leurs racines, affirme l'auteur en personne, dans l'œuvre même de Gengenbach. On comprend que Marc Petit puisse préciser que « c'est à une lecture en miroir que nous convie Paul Sanda… dans une certaine auto-fiction ». Comme l'écrit également Marc Petit, « ce dont le surréalisme est le nom n'est pas un bloc ni même un système solaire, mais une nébuleuse, une galaxie dont chaque étoile est à la fois une parcelle microcosmique et une monade dotée d'un point de vue particulier sur l'Un-et-Tout ».