MÉLUSINE

Une réclame pour le ciel, La Réclame, 2010

PASSAGE EN REVUES

« Une réclame pour le ciel », dans La Réclame, textes réunis par J.-J. Lefrère et M. Pierssens, treizième colloque des Invalides 20 novembre 2009, Du Lérot, 2010, pp. 182-169.

La Réclame

XIIIe Colloque des Invalides

20 novembre 2009

Publicité parue dans La Vie populaire, pour le livre La Bête humaine d'Emile Zola, un homme embrasse de force une femme.

Centre Culturel Canadien 5, rue de Constantine, Paris 7eOrganisation : Jean-Jacques Lefrère et Michel Pierssens La Réclame, XIIIe Colloque des Invalides, 20 novembre 2009 Centre Culturel Canadien, 5, rue de Constantine, Paris 7e

9h Accueil des participants 9h15 Lecture : La Réclame, texte de François Caradec Maurice Culot : Comment faire avaler des briques Jean-Didier Wagneur: PUF et littérature Olivier Salon : Pour elle-même Delfeil de Ton : Demandez le programme Natalie Pelier : « La Réclame » de Jules Nast Jean-Paul Morel : Les réclames du Dr FAF

10h 15 Pause-café 10h 45 Eric Walbecq : Le troisième secteur de Bloy Laurence Guellec : L'Arlequin afficheur Paul Braffort : La réclame en chantant ! Daniel Zinszner : Au pays des lanternes Paul Schneebeli : Le Scorpion du calice Pascal Durand : Mallarmé et la réclame Henri Béhar : André Breton, « Une réclame pour le ciel » Marc Dachy : « Réclame pour moi » de Johannes Baader

12h – 14h Déjeuner 14h Sima Godfrey : Le product placement en littérature Eugénie Briot : Fragments d'une poétique du commerce Alain Chevrier : Poésie publicitaire Marc Angenot : La poésie faite par tous ou la publicité en vers Oceane Delleaux : Stratégie du multiple Mete Camdereli : Journalisme de réclame aux Ottomans Denis Saint-Jacques / Marie-Josée Des Rivières : Publicité magazine au Canada français Alain Zalmanski : Réclames d'objets et objets à réclamer

15h Pause-café 15h 30 Christophe Bourseiller : Roswell contre Ummo : la guerre des ovnis Françoise Gaillard : Une femme qui s'affiche Dominique Noguez : Les dix plus belles réclames littéraires

16h15 Table-ronde 17h Clôture La réclame, treizième Colloque des Invalides, 20 novembre 2009, [Centre culturel canadien, Paris] ; textes réunis par Jean-Jacques Lefrère et Michel Pierssens, Tusson : du Lérot, impr. 2010, 1 vol. (221 p.-[40] p. de pl.) : ill. en noir et en coul., couv. ill. ; 23 cm; Collection : En marge; La Publicité dans la littérature

Table de matières : François Caradec : La Réclame Maurice Culot : Comment faire avaler des briques Jean-Didier Wagneur: Puff et littérature Olivier Salon : Pour elle-même Delfeil de Ton : Demandez le programme Natalie Pelier : « La Réclame » de Jules Nast Jean-Paul Morel : Les réclames du Dr FAF Eric Walbecq : Le troisième secteur de Bloy Laurence Guellec : L'Arlequin afficheur Paul Braffort : La réclame en chantant ! Daniel Zinszner : Au pays des lanternes Paul Schneebeli : Le Scorpion du calice Pascal Durand : Mallarmé et la réclame Henri Béhar : André Breton, « Une réclame pour le ciel » Marc Dachy : « Réclame pour moi » de Johannes Baader Sima Godfrey : Le product placement en littérature Eugénie Briot : Fragments d'une poétique du commerce Alain Chevrier : Poésie publicitaire Marc Angenot : La poésie faite par tous ou la publicité en vers Oceane Delleaux : Stratégie du multiple Mete Camdereli : Journalisme de réclame aux Ottomans Denis Saint-Jacques / Marie-Josée Des Rivières : Publicité magazine au Canada français Alain Zalmanski : Réclames d'objets et objets à réclamer Christophe Bourseiller : Roswell contre Ummo : la guerre des ovnis Françoise Gaillard : Une femme qui s'affiche Dominique Noguez : Les dix plus belles réclames littéraires

Texte de mon intervention :

Une réclame pour le ciel (André Breton)

« C’est dit ; j’invente une réclame pour le ciel ! Tout avance à l’ordre. » (Breton, OC I, 60) La formule se trouve dans Les Champs magnétiques. Bien que l’ouvrage, et même la pré-originale, soient signés des 2 auteurs, elle est de Breton seul. Le poète s’institue comme agent de publicité céleste. Quel sens donner au mot « ciel » ? le firmament romantique ? la divinité religieuse ? Le contexte ne permet pas de trancher, et je pense que la vertu de la poésie, de l’écriture automatique, est de privilégier l’indéterminé. Mais, à la vérité, c’est une tout autre phrase que j’avais en mémoire, et que j’avais recopiée lorsque je consultais la correspondance Breton-Aragon : « Pour moi, la poésie, l'art, cesse d'être une fin, devient un moyen (de réclame). La réclame cesse d'être un moyen pour devenir une fin, Mort de l’art (pour l'art). Démoralisation. Il faut naturellement prendre le mot réclame dans son sens le plus large. C'est ainsi que je menace la politique, par exemple. Le christianisme est une réclame pour le ciel. » (carte postale ill. AB à Aragon, 16 avril 1919) Est-ce à dire que le poète voudrait s’inscrire dans la lignée de Claudel ? Loin de là, il s’agit de prendre exemple sur la religion pour dresser la poésie au même niveau d’universalité. Pour s’en persuader, il faut se reporter aux débuts de la revue Littérature. Paradoxalement, elle est bien trop sage aux yeux de ses fondateurs. Dans la tête de Breton se heurtent les propos symboliques de Jacques Vaché, d’Isidore Ducasse et de Tristan Tzara. Intuitivement, il a saisi leur objectif commun : tuer l’art, ou du moins l’usage lénifiant qu’on en fait. Lui-même et ses amis pourront-ils opérer en plein jour ? Tel est le sujet d’une conversation qu’il aurait eue avec Aragon, aboutissant à un pacte secret, sur lequel ce dernier a brodé dans l’article « Lautréamont et nous ». Il se serait agi de fomenter un coup d’état, en utilisant la méthode Dada, celle que prône le Manifeste Dada 1918 de Tzara, qui l’a véritablement ébloui. Aussi développe-t-il sa théorie dans une longue missive à son ami le plus cher : « Que font la poésie et l’art ? Ils vantent. L’objet de la réclame est aussi de vanter. Je prétends que le monde finira, non par un beau livre, mais par une belle réclame. [...] On peut transposer dans l’ordre abstrait : moraliste, (Ou bien le commerce.) Concours, enquêtes, primes, etc. Il faut que le « poème » tienne la rue. Mais que ce ne soit pas un poème, -- « que voulez-vous ? » demandera-t-on. Il n’y aura plus de poèmes, de livres ! Je menace la réclame (en semant le doute). ... On va me voir pendant la période électorale. Plus de commerce, plus de politique. -- Après : Puissance, justice, histoire : à bas ! (= Vive : je lis Hegel).[...] Il faut qu’on nous croie toujours des poètes. On admettra que le modernisme mène à tout, et mille exhibitions. Inutile d’ajouter que je n’ai jamais rien écrit d’aussi grave : je prends la chose au tragique. Un abus de confiance comme une tentative avortée, je châtierais. Et je ne crains rien [...] P.-S. Note que pour l’instant je ne veux rien. Pas même l’ambition de m’enrichir ou d’être un grand homme, C’est ce qui me rend dangereux. » (17-18 avril 1919) Nous voici au cœur de la crise : le poète cesse d’écrire pour se consacrer à cette transformation globale de la société au moyen d’une poésie différente, lancée dans l’univers par la publicité. Dix jours plus tard, la tension est retombée : « Tu ne m’as pas assez parlé de la R. J’avais tant besoin que tu dises quelle valeur tu trouves à cette idée, comment tu continues à me juger. Mais je n’écris plus en vers, tu peux me croire. Dis toujours. (27 avril) « Mais je n’écris plus en vers », assure-t-il. En effet, le manuscrit du Corset Mystère qu’il envoie le 1er mai à son confident, est composé d’expressions toutes faites, d’éléments de réclame, de caractères typographiques variés (OC I, 16). Rien de sa plume. Éloge de la publicité, enchantement voluptueux de la toilette féminine, collage, effacement de soi derrière le prêt à l’emploi, telle est la solution adoptée pour échapper à la terrible attraction du silence sans retomber dans le jeu des rimes et des mimes. Au demeurant, André Breton lui-même a porté témoignage de cet épisode : « je me sauvais la mise comme je pouvais, bravant le lyrisme à coups de définitions et de recettes (les phénomènes dada n’allaient pas tarder à se produire) et faisant mine de chercher une application de la poésie dans la publicité (je prétendais que le monde finirait, non par un beau livre, mais par une belle réclame pour l’enfer ou pour le ciel. » Manifeste du surréalisme, OC I, 324). Il y a bien d’autres références à la réclame comme solution poétique dans les écrits d’André Breton en ces années où le surréalisme se cherchait, notamment dans sa « Lettre aux voyantes » (La Révolution surréaliste, n° 5, 15 oct. 1925, p. 20), où elle devient synonyme de scandale. Cependant, il revient à Aragon de tirer la leçon des transformations de la poésie dans son « Introduction à 1930 ». Il considère que la période 1917-1920 a su mettre fin au lyrisme grâce au mot d’ordre « la réclame pour la réclame », avec cette ambition de tous les poètes de s’adresser à la foule, en l’arrêtant par un seul mot : « Si l'on relit les étranges poèmes de cette époque, il est aisé d'apercevoir d'un mois à l'autre un goût nouveau qui s'y précise et c'est le goût de la réclame. » écrit-il (La Révolution surréaliste, n° 12, 15 déc. 1929, p. 60). Pour conclure, il me semble lire un aveu personnel, situant parfaitement la place de la réclame dans la poétique de Breton, dans la dernière des historiettes de Poisson soluble. Il écrit : « Aussi bien les murs de Paris avaient été couverts d’affiches représentant un homme masqué d’un loup blanc et qui tenait dans la main gauche la clé des champs : cet homme, c’était moi. » L’image négative et démultipliée de Fantômas, source de rêves infinis, n’est-elle pas la preuve que la poésie peut rencontrer le peuple ?

Henri BÉHAR