Préface à Le Silence d'or des surréaliste
par Henri Béhar, le 10 décembre 2013
PUBLICATIONS DIVERSES« Voilà ! », préface à Le Silence d’or des surréalistes, textes réunis par Sébastien Arfouilloux, Éditions Aedam Musicae, Château-Gontier, 2013, p. 19-23.
La préface que je donne à lire ici résulte de mes réflexions à la suite du colloque organisé par Sébastion Arfouilloux au sein de notre centre de recherches sur le surréalisme les 9 et 10 juin 2011. Elle n’a pas fait l’objet d’une présentation orale. Au vrai, tout le mérite de cette rencontre revient à Sébastien Arfouilloux, qui fut mon étudiant de la première année universitaire jusqu’à la soutenance de sa thèse (voir plus bas), en passant par un mémoire e maîtrise sur Dada et la musique, et qui anima bien des discussions au sein du Centre de recherches, tant parses pertinentes interventions que par son saxophone! C’est donc lui qui a organisé le colloque et publié les Actes en 2013 (réédition 2014), mon rôle étant limité aux aspects matériels...
4e de couv. : Les surréalistes ont une relation ambivalente avec la musique. A ce titre, le silence constitue un moyen de traduire l'expérience de la musique autant que de la poésie. Cet ouvrage interroge le silence des surréalistes, partagés entre le refus de la poésie comme chant, la défiance envers une certaine forme d'emphase, et l'attraction du sonore. S'il est désormais acquis que la rencontre entre le mouvement surréaliste et la musique n'a pas eu lieu, en raison de l'exclusivité accordée à la poésie et la peinture par André Breton, cet ouvrage se pose également la question de la possibilité d'une refonte des deux arts : musique et poésie. On suivra donc les trajectoires croisées d'André Breton, Guillaume Apollinaire, Robert Desnos, Louis Aragon, Philippe Soupault, Georges Ribemont-Dessaignes, Pierre Reverdy, Benjamin Péret, Tristan Tzara, René Char, Jean Genbach, Giovanna, Yves Bonnefoy, Salvador Dalí, en les mettant en rapport avec le milieu musical de leur époque, d'Arnold Schoenberg et Pierre Boulez à la chanson populaire. On interrogera également le geste artistique à travers les pratiques de Dada qu'on s'efforcera de rapprocher de Fluxus.
Le Silence d’or des surréalistes, par Sébastien Arfouilloux, Caroline Barbier de Reulle, Henri Béhar, Olivier Belin, Paulo F. de Castro, Christine Chemetov Soupault, Alain Chevrier, David Christoffel, Franck Dalmas, Julie Dekens, Michela Landi, Gilles Losseroy, Olivier Lussac, Valentine Oncins, Yoanna Papaspyridou, Virginie Pouzet-Duzer, Laura Santone, Yannick Séité, Pierre Taminiaux.
De la musique avant toute chose par Sébastien Arfouilloux, 23 Octobre 2021 : https://www.melusine-surrealisme.fr/wp/de-la-musique-avant-toute-chose Lire un compte rendu critique : https://www.musicologie.org/publirem/la_silence_d_or_des_surrealistes.html Préface par Henri Béhar : Voilà ! « Allez la musique » (I. Ducasse, Poésies I) Avez-vous noté combien de fois on emploie aujourd’hui la préposition « voilà » dans la langue parlée, non pas pour présenter une chose, souligner un argument, préciser une circonstance nouvelle, mais tout simplement comme particule explétive, laissant entendre qu’on a beaucoup à dire mais qu’on préfère laisser en suspens le développement que cela impliquerait. J’userais volontiers de cet artifice langagier pour présenter ce colloque auquel Sébastien Arfouilloux s’est adonné avec toute l’énergie de la jeunesse, tant il me semble suffisant de feuilleter les pages suivantes pour entendre la partition nouvelle qu’il veut nous signifier. Je m’étonne de l’étonnement général. Il est étrange qu’on pose toujours la même question à propos du surréalisme (dans le domaine artistique, qui était le moindre de ses soucis), pourquoi ce mouvement s’est-il désintéressé de la musique ? Pourquoi n’y a-t-il pas de musique surréaliste, comme il existe une musique romantique ou futuriste ? Pourquoi ne pose-t-on pas la même question au sujet de chacun des mouvements qui se sont succédés en littérature ? Où se trouve la musique de la Pléiade, de l'Humanisme, du Baroque (qui n’est pas le baroque musical), du classicisme (qui n’est pas la musique classique), des Lumières, du romantisme (qui n’est pas la musique romantique), du réalisme, du naturalisme, du symbolisme, du cubisme, du Nouveau Roman, etc. ? La vérité est que, de même qu’il n’y a plus de hiérarchie des arts, rien ne relie objectivement les arts entre eux. Il n’y a pas de rapport de cause à effet entre la poésie, la peinture et la musique, pas plus qu’entre une touche de peinture, une note de musique et une lettre, même s’il est arrivé, jadis, qu’on se serve de lettres pour désigner les particules élémentaires du chant. On se demande si ce n’est pas là un effet (pour ne pas dire un méfait) du wagnérisme, qui s’est emparé de la France à la fin du XIXe siècle, et surtout de sa conception de l’art total, reprise par les futuristes, dans un esprit confusionnel, pour parler comme André Breton. Ainsi, on voudrait que chaque groupement pointant à l’horizon littéraire ait son équivalent dans le domaine musical. Davantage, on exige que chaque poète se double d’un compositeur. Que faire alors s’il se déclare indifférent à autre chose que ce qu’il considère comme son unique vocation ? La poésie n’est-elle pas autonome ? Ne se suffirait-elle plus à elle-même ? Certes, il y a le chant. Certains, à l’instar de Jean-Jacques Rousseau dans son Discours sur l’origine des langues, supposent qu’au commencement, le chant vint naturellement aux femmes autour du puits, d’où naquit la poésie. Tristan Tzara, dans sa période surréaliste, reprenait explicitement cette thèse dans Grains et issues (1935), tandis qu’André Breton ne s’en est jamais écarté dans ses réflexions sur le langage poétique, pas plus qu’Éluard. Quant aux rapports du surréalisme avec la musique, la question a été, semble-t-il, réglée une fois pour toutes par André Breton déclarant : « Que la nuit continue donc à tomber sur l’orchestre, et qu’on me laisse, moi qui cherche encore quelque chose au monde, qu’on me laisse les yeux ouverts, les yeux fermés — il fait grand jour — à ma contemplation silencieuse. » Comme de juste, on s’est contenté de prélever un fragment de phrase dans un discours autrement plus étoffé, intitulé « Le Surréalisme et la peinture », et l’on en a perdu l’essentiel. Réfléchissant sur les conditions d’existence d’une peinture dite surréaliste, prudemment il examinait le rapport de l’un à l’autre, sans envisager aucune annexion, aucune assimilation. Se fondant sur sa propre expérience, il tenait pour confusionnelles les images auditives, alors que les images visuelles, la vision intérieure surtout, ne l’aurait jamais trompé. Ce n’est pas à dire qu’il ne puisse y avoir des relations multiples et en tous sens du surréalisme à la musique. L’important se trouve dans la conjonction de coordination, non dans les substantifs. Interrogé par Alfred H. Barr Jr., le directeur du Musée d’art moderne de New York, sur son aversion pour la musique, Breton lui répondit que, si lui et la plupart de ses amis étaient hostiles au « bruit organisé », il n’était pas insensible au chant, et notamment à l’humour dans le chant. Ici, une anecdote : Jacques Baron que j’interrogeais sur les airs préférés de Breton, me répéta mot pour mot les paroles que son ami chantonnait en se rasant, et l’impérissable refrain de Dranem : « Y-a un quai dans ma rue. Et y-a un trou dans mon quai. Ça fait que sans m'déranger J'ai la vue Du quai de ma rue Et cell' du trou de mon cul. » Attestant son goût pour la musique d’Offenbach, de Claude Terrasse et surtout d’Erik Satie (en dépit de leurs controverses passées), la lettre à Barr tente de trouver des raisons théoriques à cette exclusive surréaliste. Au final, Breton s’en réfère à la classification esthétique de Hegel pour marquer la précellence de la poésie sur la musique. De fait, cette lettre du 28 décembre 1941 présentée et commentée par Sébastien Arfouilloux dans Mélusine XXXI, se trouve être l’amorce d’un article sérieusement articulé que Breton publie dans la revue Modern Music à la fin de son séjour américain, « Silence d’or ». Outre qu’il y défend l’autonomie des poètes à l’égard des autres arts, ou du moins leur indifférence, il postule une convergence à venir entre la poésie et le chant : « Le poète et le musicien dégénéreront s’ils persistent à agir comme si ces deux forces ne devraient jamais plus se retrouver. » Et de plaider pour une réunification de l’audition, tout en rappelant ses propos de jeunesse concernant la primauté du verbo-auditif sur le visuel pour les grands poètes. En somme, il revient à l’écriture automatique, véritable fondement du surréalisme, source de toute poésie. Il est clair que le message automatique ne peut se manifester qu’à l’état de rêve ou de demi-sommeil, et qu’il ne peut se produire dans le brouhaha. En l’occurrence, plus qu’ailleurs, le silence est d’or, et c’est bien à l’examen de ce silence que nous conviait Sébastien Arfouilloux en juin 2011, à partir de la réponse archi fouillée qu’il avait fournie dans sa thèse sur le surréalisme et la musique (publiée chez Fayard la même année). À ceux qui tenaient pour un mal-entendu, une rencontre globalement manquée entre l’un et l’autre, Sébastien Arfouilloux tenait pour un décalage temporel, répondant, en quelque sorte, au vœu formulé par le fondateur du surréalisme. Son argumentation se développe en quatre parties, complémentaires et fortement articulées. Remontant aux origines, la première traite de la musique au temps de Dada : elle envisage la contribution paradoxale d’Erik Satie, les premiers emplois du vocable « surréalisme/iste » par Apollinaire, les contributions d’Alberto Savinio, les articles d’Auric et Milhaud dans les premières livraisons de la revue Littérature. Puis elle détermine la part de la musique dans les spectacles dadaïstes, pour terminer sur une réflexion théorique définissant les traits de la musique dadaïste. La deuxième partie examine en détail les motifs du refus de la musique par André Breton (surdité musicale, primauté de la peinture, accusation portée contre un art jugé « confusionnel », contexte social...). La poésie doit se suffire à elle-même, elle récuse toute connivence avec la musique. Nuançant les déterminations bretonniennes, la troisième partie, intitulée « Attrait des surréalistes pour la musique » (j’aurais préféré la formulation réciproque : attrait de la musique pour les surréalistes) met l’accent sur l’aspect ludique du mouvement et consacre un long chapitre à la présence du jazz dans l’existence, sinon la pratique des surréalistes. La dernière partie est consacrée aux « musiciens associés au surréalisme ». Formulation prudente, calquée sur celle de Breton à l’égard de la peinture : à l’exception d’André Souris, lui-même théoricien de la question, aucun musicien ne s’est réclamé du mouvement. Toutefois, nombreux sont ceux qui l’ont côtoyé, qui lui ont apporté leur contribution par la mise en musique de poèmes (Poulenc pour Éluard, Boulez pour Char). Une ouverture est faite vers les musiciens assurant aujourd’hui l’héritage surréaliste, la musique sérielle, appréhendée comme une conséquence du surréalisme en musique. En somme, il n’y a pas eu de musiciens surréalistes, à l’exception d’André Souris et de George Antheil. Selon lui, la musique était un moyen expérimental idéal pour un mouvement qui voulait dépasser la littérature, et de conclure : « Si l’existence d’une musique surréaliste reste discutable, au sens où l’on peinerait à définir les caractéristiques de cette musique, en revanche de nombreuses expériences ont eu lieu. » Je n’aurai pas l’impertinence de discuter la pertinence de cette importante thèse pionnière, qui ouvre la voie à bien des réflexions. S’il était indispensable de situer la place de la musique dans la performance dadaïste et dans les préoccupations de ses principaux acteurs, il me semble nécessaire de marquer la frontière exacte entre Dada et le surréalisme sur ce point. Prônant la spontanéité, le premier se livre aux jeux de l’humour et du hasard et, sur le plan verbo-auditif, s’imprègne de toutes les sonorités du monde, comme le montrent aussi bien l’Ursonate de Kurt Schwitters que les Vint-cinq Poèmes de Tristan Tzara ou encore les compositions musicales disparues que Georges Ribemont-Dessaignes eut la bonté d’évoquer pour moi lorsque je préparais un dossier de la revue Dada-Surréalisme sur « Dada et la musique » (1968). Du même coup, le surréalisme belge, que je tiens pour un prolongement géographico- temporel de Dada, se trouve évacué de la problématique initiale. Et Clarisse Juranville, texte collage, musique collage d’André Souris, relève exclusivement de l’esthétique Dada. S’il ne tenait qu’à moi, voilà la musique surréaliste réduite à une peua de chagrin. Fort heureusement, nombreux se sont pressés les jeunes chercheurs pour me contredire et apporter leur propre réponse lors de ce colloque qui, rappelons-le, visait les poètes au premier chef.
TABLE DES MATIERES : Colloque : Le « Silence d’or » des poètes surréalistes »
PREMIERE PARTIE : SILENCES Introduction au colloque Sébastien Arfouilloux (Centre de recherches sur le surréalisme, Université Sorbonne Nouvelle, Paris III ; Centre de Recherche en Littérature Comparée, Université Paris-Sorbonne, Paris IV)
Le Soupir d’Orphée : silence mythique sur la portée surréaliste Julie Dekens (Centre de Recherche en Littérature Comparée, Université Paris-Sorbonne, Paris IV ; Centre d’Études poétiques, Université de Zurich)
Sonorités et Silence. Philippe Soupault Christine Chemetov Soupault et Valentine Oncins (Université Jean Monnet, Saint-Etienne)
Un art désuet et presque tombé dans le marasme » ? Sur les intermittences du Zeitgeist et le paradoxe de l’exception musicale Paulo F. de Castro (CESEM/Dept. Ciências Musicais, Universidade Nova de Lisboa, Portugal)
DEUXIEME PARTIE: CARREFOURS ENTRE LES ARTS ET CHEMINS DE TRAVERSE
Georges Ribemont-Dessaignes : un Dada qui connaît la musique Gilles Losseroy (Centre d’Études Littéraires Jean Mourot, Université Nancy 2)
Après le Rituel d'oubli François-Bernard Mâche (Membre de l’Académie des Beaux-Arts, section composition musicale)
La mise en musique des poèmes de Pierre Reverdy et la musique d'ombre du poète Franck Dalmas (State University of New York-Stony Brook University, USA)
Les « bruits intermittents » de Benjamin Péret Virginie Pouzet-Duzer (Pomona College, Claremont, USA)
Au mépris du tsoin-tsoin (la méprise de la musique dans la poésie de Tzara) David Christoffel (École des hautes études en sciences sociales)
Le « corps musicien » dans la poésie de René Char Olivier Belin (Équipe Littératures françaises du 20e siècle - EA 2577 -, Université Paris-Sorbonne)
TROISIEME PARTIE : ALLER VERS LA MUSIQUE
Poésie surréaliste grecque : des chansons sur le papier ? Yoanna Papaspyridou (Université d’Athènes, Grèce)
Dans les années folles : Breton et Aragon devant la chanson populaire Alain Chevrier (Psychiatre ; spécialiste de l'histoire des formes poétiques et du surréalisme ; directeur de la revue Formules)
Diabolus in musica ou Jean Genbach dans l’enfer du jazz Yannick Séité (Université Paris Diderot-Paris 7)
Automatisme et improvisation : des rapports possibles entre le surréalisme et le jazz Pierre Taminiaux (Georgetown University, Washington, USA)
QUATRIEME PARTIE : UNE TRANSMISSION EN QUESTION
À l’écoute de l’inouï. Peinture sonore et phônè chez Giovanna Laura Santone (Université Roma Tre, Italie)
Une œuvre surréaliste ? Sur le « Traité du pianiste » de Yves Bonnefoy Michela Landi (Université de Florence, Italie)
Salvador Dalí et la musique, une relation ambivalente Caroline Barbier de Reulle (Groupe de recherche « Musique et Arts plastiques » - « Observatoire Musical Français », Université Paris-Sorbonne, Paris IV)
La correspondance Boulez-Char Robert Piencikowski (Fondation Paul Sacher, Bâle, Suisse)
La musique fluxus Olivier Lussac (Institut d’Esthétique des Arts et Technologies, Université Paris I-Panthéon Sorbonne)
Voir: la thèse de Sébastien Arfouilloux (dirigée par Pierre Brunel) directement éditée chez Fayard : Que la nuit tombe sur l'orchestre. Surréalisme et musique Paris : Fayard, coll. "Les chemins de la musique", 2009, 350 p. https://www.fayard.fr/auteur/sebastien-arfouilloux/
Présentation par l’auteur :
Des rapports entre le surréalisme et la musique, on connaît la saisissante image allégorique donnée par André Breton : « Que la nuit continue donc à tomber sur l'orchestre. » Pour le représentant de la pensée du surréalisme, seules les images suscitées par la peinture et la poésie sont aptes à donner accès aux représentations inconscientes et aux rêves ; l'expression musicale, jugée trop confusionnelle, ne peut rendre compte du modèle intérieur. Breton condamne ainsi la musique au nom d'un renversement des valeurs: le beau sera désormais ce qui se révèle lorsque l'artiste se penche vers le gouffre intérieur de l'inconscient. Pour autant, est-ce que le surréalisme, en tant que mouvement artistique constitué, refuse une place à la musique ? Qu'est-ce qui se joue derrière ce refus affiché ? Tentons d'ouvrir un rideau trop vite retombé sur la scène et d'apercevoir ce qui se trame en coulisse. La musique tient une place importante dans le travail surréaliste d'expérimentation et de révision absolue des valeurs, à tel point que, affirme Sébastien Arfouilloux, elle fait partie de l'esprit surréaliste. L'auteur propose ici un retour sur le jeu de mutuelles fascination et répulsion entre le mouvement artistique fondateur du début du XXe siècle et les musiciens. La figure hégémonique d'André Breton mais aussi tous ceux qui ont gravité dans l'orbite du mouvement surréaliste (de Tristan Tzara à Paul Éluard, d'Apollinaire à André Souris) sont ici sollicités, à travers les manifestes, les déclarations et surtout les oeuvres, et alimentent une réflexion propre à bouleverser bien des représentations.