Préface au Bestiaire des surréalistes
par Henri Béhar, le 25 septembre 1992
PUBLICATIONS DIVERSESLe Bestiaire des surréalistes, préface, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1994, pp. VII-X. 1994, 370 p.
Claude Maillard-Chary a d’abord soutenu, en 1981, une thèse pour le Doctorat de 3e cycle à l’Université de Rouen sous la direction de Roger Pierrot : « Le thème de l’oiseau dans l’œuvre de P. Eluard » (voir plus bas sa récente publication). Je faisais partie de son jury, de sorte que lorsque vint le moment de préparer sa thèse pour le Doctorat d’Etat, il rejoignit le Centre de recherche sur le surréalisme et me demanda de diriger ses recherches concernant le bestiaire des surréalistes. Voici le résumé de sa thèse : Une lecture analytique et interprétative des invariants zoologiques du surréalisme comme pôle magnétique de la topographie mentale du groupe et amplificateur de l'évolution. Contrairement a son statut dégradé dans l'occident judéo-chrétien, le bestiaire des surréalistes se définit selon la stratégie irréversible du "signe ascendant", en surimpression absorbante du triptyque des sciences naturelles inféodé structurellement aux écritures. A la cosmogonie des interrègnes forgeant sur de nouvelles bases le "sentiment de la nature" correspond une signalétique intertextuelle, émancipée des procédures d'assignation du principe d'identité, pierre angulaire du rationalisme positiviste. Ce travail, fort utile pour tous les amateurs du mouvement surréaliste, méritait une publication immédiate. L’ouvrage fut accueilli par les Presses de la Sorbonne Nouvellelle, et l’on pourra lire ma préface ci-dessous. Entre temps, M. Maillard-Chary collabora à la revue Mélusine (voir sur ce site) et il étendit sa recherche à l’écosystème du même mouvement.
MAILLARD-CHARY, CLAUDE : LE BESTIAIRE DES SURRÉALISTES [TEXTE IMPRIMÉ] / CLAUDE MAILLARD-CHARY, PARIS : PRESSES DE LA SORBONNE NOUVELLE, 1994, XIV-369 P. : COUV. ILL. EN COUL. ; 24 CM, COLLECTION DES THÈSES DE PARIS III, SORBONNE NOUVELLE ; 2
QUATRIÈME DE COUVERTURE "La faune et la flore du surréalisme sont inavouables", déclare André Breton dans le Manifeste du surréalisme. Mais pas inavoués, si le discours est bien, comme l'espérait son premier et principal théoricien, libéré de toute entrave de la raison, de l'esthétique ou de la morale.
Lire la préface (texte intégral) :
Préface « La faune et la flore du surréalisme sont inavouables » déclare André Breton dans le Manifeste du surréalisme. Mais pas inavoués, si le discours surréaliste est bien, comme l'espérait son premier et principal théoricien, libéré de toute entrave de la raison, de l'esthétique ou de la morale. Pour le vérifier, il fallait avoir le courage de lire très attenti-vement, la plume à la main, si je puis dire, la plupart des œuvres surréalistes dans leur continuité, formant un corpus de près de quinze mille pages. La première étape consistait en un dénombrement minutieux. Celui-ci démontre que le bestiaire surréaliste est beaucoup moins nombreux qu'on ne s'y attendrait. « Le sommeil de la raison engendre les monstres », écrivait Goya au bas de ses gravures les plus sombres. Voire ! Ou bien les surréalistes, dans leur ambition d'embrasser la totalité du monde, conscient et inconscient, n'ont pas mis leur raison en sommeil; ou bien ce dernier produit-il peu d'animaux monstrueux, par rapport à l'ensemble des êtres fantastiques accumulés par nos différentes cultures au cours des siècles. Comme à une survivance du passé, Claude Maillard-Chary est sans doute l'un des derniers à relever le défi de consacrer plusieurs années à l'étude d'un tel phénomène, en répertoriant toutes les occurrences des termes qui composent le bestiaire propre au groupe surréaliste. Mais il a fait plus, en rapportant chaque mot à sa fréquence dans le Trésor de la Langue Française (TLF) qui est, comme chacun sait (ou devrait le savoir), la plus importante banque de textes numérisés, élaborée par le Centre National de la Recherche Scientifique à Nancy depuis 1960. Elle contient 2.800 textes français de 1600 à 1969, dont près de 80 % sont des œuvres littéraires (soit près de 500 000 pages). De sorte qu'il est possible de se rendre compte, en jetant un rapide coup d'œil aux tableaux de fréquence rassemblés à la fin du volume, que les surréalistes n'ont pas donné dans la néologie ni suscité de monstres particulièrement effrayants (si l'on excepte le « monumentomaure » de la Grande Guerre érigé par Georges Hugnet), se contentant de réordonner l'univers animalier à leur manière, et surtout de lui attribuer une fonction différente. C'est-à-dire que, considéré collectivement, leur imaginaire s'appuie sur un ensemble de 720 formes communes (ou mots-vedette), dont deux cents n'apparaissent qu'une seule fois. En tête viennent l'oiseau, le cheval, le chien, le poisson, le serpent, la mouche, le chat, le papillon, alors que l'ensemble littéraire de référence procède à un classement légèrement différent. Cette étape, quelque peu fastidieuse pour ceux que les chiffres n'émeuvent point, était absolument nécessaire pour établir la nature du bestiaire surréaliste, et surtout l'extraordinaire convergence des vingt-trois auteurs qui, sans s'être donné le mot, l'ont composé. C'est alors, mais alors seulement, que l'on est en droit d'abandonner la statistique (ou, plus exactement, d'examiner les termes de basse fréquence) pour pister les totems du surréalisme. animaux exotiques ou survivances comme le tamanoir et l'ornithorynque chers à André Breton. Ici le lecteur se doit d'avouer sa perplexité, ou sa mauvaise foi. On aura beau faire état de la présence massive du mouton, de la grenouille ou de l'escargot dans les œuvres dont il fait ses délices, il ne prêtera intérêt qu'aux espèces rares ou marginales. Il faut être particulièrement attentif pour s'apercevoir que les êtres légendaires (sirène, sphinx, phénix, dragon, Mélusine, etc.) occupent une place privilégiée dans les textes surréalistes. Pour chacun, les mots ont un pouvoir, une « valence » spécifique, en fonction de leur contenu latent, des associations plus ou moins intimes qu'ils suggèrent, comme porteurs de rêves. On goûtera la sûreté et l'habileté avec laquelle Claude Maillard-Chary convoque tout le savoir scientifique pour nous faire mieux apprécier, dans toutes ses nuances, l'imaginaire surréaliste, traitant de chaque auteur individuellement, puis suivant un cheminement parfois sinueux, de l'aile à la griffe vers l'infiniment petit, pour s'attarder sur les monstres et, par une merveilleuse physique de la poésie, franchir les limites du règne animal. De la morphologie à la sociabilité des animaux, il aborde, non sans un humour très discret, le vocabulaire des injures, « les noms d'oiseaux », et s'interroge sur la « langue des oiseaux », ce langage hermétique qui, s'il pouvait être déchiffré, donnerait la clé de l'univers. Intervient alors le mythe, que Breton se contente de donner comme une réponse possible à nos angoisses modernes, celui des Grands Transparents, ces êtres qui doubleraient notre monde en occupant ses interstices. On l'aura compris, déchaînant la horde sauvage, parlant du monde animal, le mettant en scène dans leurs poèmes, les surréalistes y projettent leurs propres désirs, leurs craintes et leurs aspirations. Ainsi disent-ils, de manière indirecte, la sensibilité d'une époque aspirant à concilier le rêve et la vie, contrainte, malgré elle, de payer son tribut au Minotaure. Henri BEHAR
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Présentation Plus qu’aucun autre mouvement de pensée et d’action, le surréalisme s’est voulu le fossoyeur de l’occident capitaliste et guerrier. À sa légitime défense devant l’Innommable a répondu dialectiquement la nécessité de redorer à neuf le langage asservi de l’usage en le rechargeant aux sources vives du rêve et de l’inconscient, mis à disposition de tous et vecteurs de poésie objective par la pratique systématisée du message automatique, coup d’envoi et fil conducteur de sa Révolution. Claude Maillard-Chary en explicite la teneur et l’actualité, à rebours des avancées délétères de l’Anthropocène mais en correspondance avec le « Qui vive ? » d’André Breton ralliant les intervenants de l’Arche reconstruite, humains, non-humains, le merveilleux légendaire inclus, dans le périmètre sensible d’un écosystème relationnel de longue portée.
Présentation Nous les oiseaux que tu charmes toujours du haut de ces belvédères" lançait André Breton dans son hymne au "Facteur Cheval" (1932) en évoquant le bund surréaliste rassemblé autour de l'architecte-oiseleur du Palais Idéal de Hauterives. Animateur et partie prenante de ce "nous" icarien, Paul Eluard alias Eugène Grindel - son état civil réécrit "grain d'aile" - a intégré jusqu'à la sublimer dans son œuvre l'"ornithologie passionnelle" qui a aimanté sa vie historiquement située autant que son parcours poétique. C. Maillard-Chary a voulu restituer les jalons de cet itinéraire original, fomenté dès l'enfance.