MÉLUSINE

Marcel Lecomte, surréaliste appliqué dans la discrétion

11 janvier 2018

Une exposition et une publication rappellent à Bruxelles le souvenir de Marcel Lecomte, acteur discret du surréalisme en Belgique, écrivain, poète, critique d’art, auteur notamment de L’Homme au complet gris clair et de Le Carnet et les Instants.

La place de Marcel Lecomte (1900-1966) au sein du surréalisme en Belgique et d’autres mouvements d’avant-garde, est l’une des plus particulières qui soit : à 18 ans, il fréquente déjà le poète et graveur dadaïste belge Clément Pansaers, auteur du Pan-Pan au Cul du Nu Nègre. Un peu plus tard, par son entremise, Lecomte publie un premier recueil chez Paul Neuhuys à Anvers. Puis se retrouve, avec Paul Nougé et Camille Goemans, l’un des trois signataires des tracts de Correspondance (1924-1925), avant d’en être éjecté sèchement, car trop enclin à faire œuvre littéraire aux yeux de Nougé. Dès 1922, Lecomte a rencontré René Magritte, qui illustre son recueil Applications en 1925, et que Lecomte accompagnera, malgré une période de brouille, dans tout son parcours de peintre et d’éditeur de revues. Préoccupé de taoïsme et de pensée chinoise, pétri de spiritualité et d’occultisme, tout comme des différentes tendances de l’art moderne, l’écrivain (Nougé ne s’était pas trompé) s’est également approché des œuvres de Léon Spilliaert, René Guiette, Henri Michaux, Rachel Baes ou Jane Graverol. Il est encore tout juste là pour repérer le devenir d’un certain Marcel Broodthaers. Il a donné quantité d’articles et de chroniques sur la littérature et les arts dans un nombre impressionnant de publications belges – outre une série d’articles de politique internationale, avant-guerre dans Le Rouge et le Noir, et après-guerre, au quotidien populaire La Lanterne, davantage faut-il dire, pour des raisons alimentaires que pour ses compétences d’analyste politique. Et l’on pourrait poursuivre, en soulignant qu’il était dès les années 1930 suffisamment proche de Jean Paulhan pour que ce dernier le publie dans la N.R.F., et préface encore en 1964 son livre de récits Le Carnet et les Instants…

En dépit d’un titre qui semble plus racoleur que nécessaire (Les alcôves du surréalisme…), l’exposition consacrée à Marcel Lecomte par les Musées royaux des Beaux-Arts, à Bruxelles, réussit à situer assez justement, par le recours à des chapitres groupant œuvres et documents, le parcours tout en réseaux multiples de cet homme aussi méconnu qu’atypique. Figure discrète au sein du surréalisme belge, qu’il ne parvint jamais tout à fait à quitter et dont il évite les polémiques, Lecomte fut souvent remarqué (et moqué) pour son physique ingrat, et pour son verbe d’une lenteur toute cérémonielle. L’écrivain surréaliste Irène Hamoir (et compagne de Louis Scutenaire), dans l’une de ses nouvelles de La Cuve infernale, l’a à peine transformé, sous le personnage de Marcel Marquisat, « qui portait droit la tête, le regard hautain, le regard papal, dominant le groupe ou l’individu ». Lecomte est également au centre d’une célèbre peinture « pétrifiée » de Magritte, Souvenir de voyage (1955), que l’on peut voir aujourd’hui au Moma de New York. L’exposition propose de nombreuses archives intéressantes, et pêchées à bonne source puisque l’auteur de L’Accent du secret termina sa vie comme lecteur-rédacteur de fiches et notices au département des archives des Musées royaux des Beaux-Arts. Une fonction qui convenait bien à cet inlassable curieux, un lettré à l’ancienne plongé dans le bain de la modernité, soucieux de dénicher en toute œuvre, plastique ou poétique, le caractère de sa « spectralité ».

La publication qui entoure cette exposition ajoute, elle aussi, de l’intérêt au projet. Concocté par Philippe Dewolf, chercheur minutieux à qui l’on doit déjà la redécouverte des chroniques littéraires et artistiques de Lecomte (chez Labor, Les Voies de la littérature, en1988 et Le Regard des choses, en 1992), ce livre-catalogue est enrichi d’une belle iconographie, ainsi que d’une série de textes de Lecomte, et de lettres, pour certaines inédites, adressées par Magritte à Lecomte, de 1923 à 1966. Au gré des pages, l’on croise de nombreux complices, plus ou moins proches de Lecomte selon les périodes, de l’aventure surréaliste en Belgique : Magritte évidemment, Louis Scutenaire, Irène Hamoir, Paul Colinet, le photographe Georges Thiry. Mais Lecomte est décidément homme à chercher la synthèse des éléments, parfois même diamétralement opposés (ainsi collabore-t-il au Journal des Poètes de P.-L. Flouquet, honni par Mariën et Magritte). Paul Aron, dans un texte consacré à l’unique numéro de la revue Réponse (1945), souligne pour sa part comment Lecomte avait réussi à constituer, dans sa quête d’une « expérience magique » de l’écriture, un recueil de contributions disparates, animées par ce que Lecomte nommait « une critique interne élaborée ». « Au-delà de toutes les contradictions, écrit Paul Aron, jetant des ponts entre Bruxelles et Paris, entre le mysticisme chrétien et le merveilleux laïc du surréalisme, seul Marcel Lecomte pouvait organiser leur improbable rencontre. »

Marcel Lecomte. Les alcôves du surréalisme. Textes de Paul Aron et Philippe Dewolf, lettres de René Magritte, préface de Michel Draguet. Cahier n° 22 des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles, 144 p., 20 euros.

Exposition jusqu’au 18 février 2018 aux Musées royaux des Beaux-Arts, rue de la Régence, 3, 1000 Bruxelles.