Tracts surréalistes, Tome I, 1936
1936
[LES FASCISTES LYNCHENT LÉON BLUM]
Camarades,Les fascistes lynchent Léon BLUM.
Travailleurs, c'est vous tous qui êtes atteints dans la personne du chef d'un grand parti ouvrier.
Blum avait proposé de faire nettoyer le Quartier Latin infesté de fascistes par 15 000 prolétaires descendus des faubourgs.
La menace avait donc porté.
Camarades, c'est seulement la crainte de l'offensive qui touche nos ennemis.
La défensive c'est la mort !
L'offensive révolutionnaire ou la mort !
LES 200 FAMILLES
21 JANVIER 1793 - 21 JANVIER 1936
ANNIVERSAIRE DE L'EXÉCUTION CAPITALE DE LOUIS XVI
Le MARDI 21 JANVIER 1936 à 21 heures Réunion ouverte au Grenier des Augustins 7, rue des Grands-Augustins. Métro : St-Michel
Objet de la réunion :
LES 200 FAMILLES qui relèvent de la justice du peuple
Prendront la parole : Georges BATAILLE, André BRETON, Maurice HEINE.
[16 février 1936 ; L'Action française, 17 février 1936.]
Appel à l'Action
- Qu'est-ce qui fait vivre la société capitaliste ?
- Le travail.
- Qu'offre la société capitaliste à celui qui lui donne son travail ?
- Des os à ronger.
- Qu'offre-t-elle par contre aux détenteurs du capital ?
- Tout ce qu'ils veulent, plus qu'à satiété, dix, cent, mille dindes par jour, s'ils avaient l'estomac assez grand...
- Et s'ils n'arrivent pas à manger les dindes ?
- Le travailleur chôme, crève de faim et plutôt que de les lui donner, on jette les dindes à la mer.
- Pourquoi ne pas jeter à la mer les capitalistes au lieu des dindes ?
- Tout le monde se le demande.
- Que faut-il pour jeter à la mer les capitalistes et non les dindes ?
- Renverser l'ordre établi.
- Mais que font les partis organisés ?
- Le 31 janvier, à la Chambre, Sarraut s'écrie : « Je maintiendrai l'ordre établi dans la rue. »
Les partis révolutionnaires (!) APPLAUDISSENT.
- Les partis ont-ils donc perdu la tête ?
- Ils disent que non mais M. de la Rocque leur fait peur.
- Qu'est-ce donc que ce M. de la Rocque ?
- Un capitaliste, un colonel et un comte.
- Et encore ?
- Un con.
- Mais comment le con peut-il faire peur ?
- Parce que, dans l'abrutissement général, il est le seul qui agisse !
CAMARADES,
Un colonel s'agite et crie qu'il faut tout changer. Il est le seul à s'organiser pour la lutte et à prétendre qu'il saura faire que tout change. Il ment, mais il est le seul sur la scène politique qui ne soit pas parlementaire, alors que le dégoût de l'impuissance parlementaire est porté à son comble ! Les foules ont conscience qu'aux événements, il faut savoir commander, et non offrir le spectacle écoeurant du parlementarisme bourgeois : désordre, bavardage et inavouable besogne. Les foules commencent à attendre en dehors du Parlement, un « homme », un maître... Et dans l'aberration générale, un Colonel de la Rocque semble déjà aux yeux d'un grand nombre l'homme attendu.
L'aberration va jusqu'à voir dans ce personnage le « maître » capable de commander aux événements. Jusqu'à voir un « maître » dans l'« esclave » le plus impuissant : l'esclave du système capitaliste, l'esclave d'un mode de production qui condamne les hommes à un gigantesque effort sans résultat autre que l'épuisement, la faim ou la guerre !
Nous affirmons que ce n'est pas pour un seul, mais pour TOUS, que le temps vient d'agir en MAITRES. D'individus impuissants, les masses n'ont rien à attendre. Seule, la REVOLUTION qui approche aura la puissance de COMMANDER aux événements, d'imposer la paix, d'ordonner la production et l'abondance.
TRAVAILLEURS,
La défensive qu'on vous propose ne signifierait pas seulement le maintien de l'exploitation capitaliste : elle signifierait la défaite assurée, hier en Allemagne et en Italie, demain en France, à tous ceux qui sont devenus incapables d'attaquer.
Le temps n'est plus aux reculs et aux compromis.
Pour l'action - ORGANISEZ-VOUS ! Formez les sections DISCIPLINEES qui seront demain le fondement d'une autorité révolutionnaire implacable. A la discipline servile du fascisme, opposez la farouche discipline d'un peuple qui peut faire trembler ceux qui l'oppriment.
Il n'est plus question, cette fois, d'une lutte sans issue contre nos semblables, aux ordres des aveugles qui conduisent les peuples. La lutte contre tous ceux qui font de l'existence humaine un bagne exigera aussi l'abnégation, le courage héroïque et, s'il le faut, le sacrifice de la vie, mais l'enjeu est la libération des exploités et le désespoir de ceux que nous haïssons.
Camarades, vous répondrez aux aboiements des chiens de garde du capitalisme par le mot d'ordre brutal de
[Février 1936.]
Sous le feu des canons français... et alliés
- HITLER GEGEN DIE WELT
DIE WELT GEGEN HITLER
HITLER CONTRE LE MONDE
LE MONDE CONTRE HITLER
Cette pseudo-dialectique qui s'étale sur la couverture d'une brochure stalinienne ornée de quatre haches sanglantes disposées en forme de croix gammée, suffit à prouver que la politique communiste a rompu définitivement avec la révolution. Faire appel au monde tel qu'il est contre Hitler, c'est en effet qualifier ce monde en face du national-socialisme, alors que l'attitude révolutionnaire implique nécessairement une disqualification (disqualification dont rendaient compte il y a peu des expressions méprisantes comme monde bourgeois ou monde capitaliste).
L'adhésion au groupe des vainqueurs de 1918 de l'U.R.S.S. et des communistes, a entraîné par là-même leur adhésion au traité de Versailles et à toute une série d'élucubrations sinistres qui l'ont suivi. Il est normal que de la qualification du monde découle, sur la route du reniement, la qualification des instruments diplomatiques qui servent à donner à ce monde un semblant de cohésion.
Nous sommes, nous, pour un monde totalement uni - sans rien de commun avec la présente coalition policière contre un ennemi public n° 1. Nous sommes contre les chiffons de papier, contre la prose d'esclave des chancelleries. Nous pensons que les textes rédigés autour du tapis vert ne lient les hommes qu'à leur corps défendant. Nous leur préférons, en tout état de cause, et sans être dupes, la brutalité antidiplomatique de Hitler, moins sûrement mortelle pour la paix que l'excitation baveuse des diplomates et des politiciens.
[Mars 1936.]
Travailleurs, vous êtes trahis !
Développant partout les restrictions et l'angoisse, le nationalisme étend peu à peu sa nuit sur toute la Terre. AU NATIONALISME AGRESSIF DES PAYS PAUVRES, REPOND, DANS LES PAYS RICHES, LE NATIONALISME DE LA PEUR.
Aveuglés par l'avidité et la panique, les troupeaux humains, par millions, sont prêts à s'entretuer.
Dans cet affolement de la nature humaine tout entière, quelles voix font entendre ceux qui s'étaient dressés autrefois avec la résolution de délivrer le monde de ses sanglantes pratiques militaires ?
Nous nous rappelons que les masses humaines ont été une fois soulevées par le parti communiste opposant au capitalisme et à sa guerre l'arme brisante du défaitisme révolutionnaire.
Une confusion nouvelle semble s'ajouter aujourd'hui à la stupeur générale. Sous prétexte du maintien de la paix, ceux qui s'élevaient jusque-là contre la guerre sont ouvertement entrés dans l'un des camps. L'Humanité enregistre aujourd'hui sans réserves le message belliqueux de Sarraut. Elle répond à cet appel par un mot d'ordre abject : L'UNION DE LA NATION FRANCAISE.
La guerre entre les chiens impérialistes soulevait le dégoût : les communistes s'emploient aujourd'hui à la camoufler en croisade. Ils brandissent sur un monde accablé le drapeau d'une croisade anti-fasciste : annonciateur d'une duperie sanglante...
Dans la nuit où toutes choses humaines déraillent lentement, les communistes se sont réduits au rôle de défenseurs du statu quo fixé à Versailles. Ils se préparent à servir demain d'aboyeurs à l'Etat-Major français, quand cet Etat-Major enverra au poteau tous ceux qui n'auront pas oublié ce qu'ils ont lu dans L'Humanité d'hier.
L'armée allemande envahit aujourd'hui une région allemande au mépris des traités...
Conformément aux mêmes traités, l'armée française, en 1923, envahissait la Ruhr.
La forfanterie illégale de Hitler répond à la brutalité légale de la France. Les policiers de Versailles et de la Ruhr, afin de mieux assurer la sécurité française, ont accouché l'Allemagne de Hitler ! NOUS N'AVONS RIEN DE COMMUN AVEC LA DEMENCE INFANTILE DU NATIONALISME ALLEMAND, RIEN DE COMMUN AVEC LA DEMENCE SENILE DU NATIONALISME FRANCAIS.
Dans ce monde obscur, où se heurtent des stupidités qui se composent et se complètent l'une l'autre, nous ne pouvons que nous reconnaître formellement étrangers.
Lorsque M. Sarraut refuse de « laisser placer Strasbourg sous le feu des canons allemands », nous comprenons que nous sommes situés en dehors d'un monde où une telle phrase peut être énoncée sans soulever la répugnance et même le rire (1).
Lorsque Staline couvre de son autorité l'armement français, lorsque Radek excite les nationalistes de ce pays à la haine de l'Allemagne, nous nous considérons comme trahis ; nous refusons d'emboîter le pas derrière ceux qui s'apprêtent au massacre mutuel.
Nous n'envisageons pas, dans ce premier texte, les conséquences pratiques et l'efficacité que l'action des masses donnera un jour à un tel refus. La lutte qui nous oppose au tumulte général, nous la mènerons jusqu'à la limite de nos forces. Mais quel que soit ce résultat, heureux, ou, pour un temps, misérable, nous maintiendrons face à l'abrutissement des nationalistes de tous pays, de tous partis, l'intégrité d'une volonté inaccessible à la panique. Nous méconnaissons les liens formels qui prétendent nous attacher à une nation quelconque : NOUS APPARTENONS A LA COMMUNAUTE HUMAINE, TRAHIE AUJOURD'HUI PAR SARRAUT COMME PAR HITLER ET PAR THOREZ, COMME PAR LA ROCQUE.
La réalité inébranlable et dominante de cette communauté sera maintenue même par une minorité d'hommes, au-dessus des crimes des nationalismes de tous les pays : jusqu'au jour où les peuples, épuisés par les déments qui les conduisent, reconnaîtront l'issue libératrice.
[Mars 1936.]
(1) Les Allemands, à bon droit, répondent : « M. Sarraut estime sans doute normal, et supportable pour une grande nation que Fribourg, Carlsruhe, Mannheim, Sarrebruck, Trêves et beaucoup d'autres villes allemandes se trouvent exposées au feu des canons français » ...
[LA RUPTURE AVEC « CONTRE-ATTAQUE »]
Les adhérents surréalistes du groupe « Contre-Attaque » enregistrent avec satisfaction la dissolution dudit groupe, au sein duquel s'étaient manifestées des tendances dites « surfascistes », dont le caractère purement fasciste s'est montré de plus en plus flagrant. Ils désavouent par avance toute publication qui pourrait être faite encore au nom de « Contre-Attaque » (telle qu'un Cahier de Contre-Attaque n° 1, quand il n'y en aura pas de suivants). Ils saisissent l'occasion de cette mise en garde pour affirmer leur attachement inébranlable aux traditions révolutionnaires du mouvement ouvrier international.
Pour le groupe surréaliste :
[L'Oeuvre, 24 mars 1936.]
POUR LES ENNEMIS DE LA LIBERTE
Les garnisons du Maroc espagnol et certaines divisions métropolitaines sont en état de rébellion. Des troupes africaines tentent de débarquer à Algésiras. Toute l'Espagne ouvrière se dresse unanime contre l'orage fasciste. Les mineurs de Rio Tinto partent pour Séville insurgée, escortés de camions remplis de dynamite. Les mineurs de Linares occupent le défilé de Despeñaperros pour barrer la route à l'armée andalouse. Madrid menacée sera défendue par les vaillants combattants d'Octobre venus des Asturies.
Le Frente popular comprend maintenant ce qu'il en coûte de ménager l'ennemi de classe : le gouvernement distribue enfin les armes aux masses ouvrières. Les milices aussitôt constituées patrouillent et veillent.
Le gouvernement français du Front populaire qui a ménagé l'ennemi fasciste plus encore que celui d'Espagne comprendra-t-il qu'il est menacé du même danger ? Jusqu'à quand les partis qui l'appuient vont-ils négliger d'armer la classe ouvrière ?
Il est toutefois une mesure de solidarité internationale qui s'impose de toute urgence. La différer serait faiblir au mépris de toute prudence, de toute justice, de toute pudeur : Gil Robles, l'homme du fascisme espagnol s'est réfugié à Biarritz :
Arrêtez Gil Robles
NEUTRALITÉ ? NON-SENS, CRIME ET TRAHISON !
Emmanuel BOURCIER, envoyé spécial en Espagne de L'Intransigeant, dépêche du 15 août 1936.
La politique de « neutralité », instaurée par le ministère français des Affaires étrangères, commence à porter ses fruits d'amertume et de cendre : déjà le fascisme escompte un premier et sanglant échec du Front populaire.
A l'égard du Frente popular (*) en lutte pour la liberté de l'Occident, la « neutralité » qu'observe le gouvernement français équivaut à l'application de sanctions plus rigoureuses que n'en connut jamais l'Italie fasciste, en rupture de
(*) Nous disons pour simplifier Frente popular sans oublier pour cela les groupements qui se situent en dehors de lui ; C.N.T., F.A.I., POUM, et sont aujourd'hui à l'avant-garde du mouvement.
pacte pour l'asservissement de l'Ethiopie. Pourquoi cette atroce dérision de la solidarité qui lie cependant, à la vie, à la mort, les deux démocraties de France et d'Espagne ?
A travers l'impéritie ou la trahison de certains hommes, moins consistants que des fantômes, transparaît clairement le plan méthodique de l'inexorable volonté de puissance fasciste.
Premier acte : assurer par tous les moyens - y compris le chantage à la guerre contre la France - le triomphe de la coalition financière, industrielle, cléricale et militaire qui doit, par la guerre civile et au seul prix du sang espagnol, conquérir l'Espagne au fascisme.
Deuxième acte : se retourner ensuite contre la France, à peine éveillée de sa léthargie neutraliste, pour la sommer - sous une nouvelle et plus grave menace de guerre - d'entrer dans une confédération des Etats fascistes ; en cas de refus, conquérir à son tour la France au moyen d'« insurgés nationaux » répandant le sang « français » ; et, pour assurer le succès de cette autre guerre civile, bloquer, sous prétexte de neutralité, toutes les frontières maritimes de ce pays avant d'envahir, en cas de nécessité, ses trois frontières terrestres des Vosges, Alpes et Pyrénées.
Troisième acte : tandis que l'Angleterre, encore perplexe, s'interrogera sur l'attitude la plus conciliable avec les intérêts britanniques, lancer l'Europe continentale à l'assaut des frontières occidentales de l'U.R.S.S. simultanément attaquée en Asie par le Japon et la Chine fascistes.
La neutralité de l'Amérique étant assurée, le plan fasciste d'hégémonie mondiale apparaît réalisable. Pour mieux dire, sa réalisation est d'ores et déjà commencée.
Vouloir maintenant empêcher de se constituer en Europe deux blocs hostiles témoigne (d') une conception politique qui retarde au moins de quinze ans. Les deux blocs sont aujourd'hui des réalités, non seulement sur la carte, mais, ce qui est plus grave, dans les esprits. Aujourd'hui la moitié « nationaliste » de la France, empoisonnée par une presse stipendiée, est, consciemment ou non, acquise au fascisme et prête à se prostituer à Hitler et à Mussolini. Si donc le Front populaire, qui prétend gouverner, continue à ménager libéralement ses ennemis de l'intérieur et à « sanctionner » impérieusement ses amis de l'étranger, demain la « France » du passé et de la mort pourra espérer réduire, anéantir, celle de l'espoir et de la vie - de l'espoir et de la vie qui ne reconnaissent aucune frontière. Ce ne sont pas seulement aujourd'hui deux Espagnes qui s'entr'égorgent.
Ressaisis-toi, Front populaire ! Au secours de l'héroïque Frente popular ! Non plus avec des discours et des motions, mais avec des volontaires et du matériel !
Renouvelle-toi, Front populaire ! Rejette loin de toi les ganaches et les traîtres ! Ils se sont déjà découverts ! Entreprends sans délai une épuration impitoyable ! Souviens-toi de l'avertissement de Saint-Just : « La révolution est dans le peuple et non point dans la réputation de quelques personnages ».
Front populaire ! Organise d'urgence les masses ! Constitue, exerce, arme les milices prolétariennes sans lesquelles tu n'es qu'une façade ! L'instant est venu de mettre à profit ce vieil argument de tes adversaires : l'affirmation concrète de la force est le premier garant de sécurité !
Paris, le 20 août 1936.
Appel aux Hommes
Du 19 au 24 août dernier, s'est déroulé soudain à Moscou, sur un rythme précipité, un procès politique qui laisse derrière lui, avec les cadavres des seize inculpés, une profonde stupeur. Les principaux accusés avaient été les compagnons et les collaborateurs immédiats de Lénine. Incarcérés depuis dix-huit mois après un premier procès déjà étrange, ces hommes, connus dans le monde entier comme artisans essentiels de la Révolution d'Octobre et fondateurs de la IIIe Internationale, ont pris soudain figure de contre-révolutionnaires et même de bandits de droit commun. Pêle-mêle avec de louches comparses, on les a, selon l'expression du ministère public, abattus « comme des chiens enragés ».
Devant une cause aussi singulière, l'opinion mondiale attendait qu'on lui révèle, à la charge des inculpés, des documents précis, des actes réels. En vain. On l'a mise en face d'un vrai déluge d'aveux, d'aveux énormes, sordides, monotones : les plus notoires survivants du Bolchevisme d'Octobre s'y déshonorent frénétiquement ; un Trotsky y passe et repasse, habillé en agent de la Gestapo hitlérienne. Comment ont été obtenus ces aveux, plus stupéfiants encore que le vague de l'accusation ? Cette scène, en tout cas sinistre, dissimule-t-elle ou non quelque vaste machination ? Nous l'ignorons.
Mais, devant la réalité, quelle qu'elle soit, que recouvre le procès de Moscou, tous ceux, ouvriers ou intellectuels, pour qui la Révolution d'Octobre a signifié une étape décisive vers la justice sociale et déjà, dans la nuit de la guerre des nations, une magnifique renaissance humaine, tous se sont sentis bouleversés. Tous ils veulent, nous voulons SAVOIR.
Nous voulons savoir d'abord - et cela suffit - par simple souci de la dignité humaine.
Nous voulons savoir par solidarité profonde avec le peuple de l'U.R.S.S. A tue-tête les ennemis de la liberté et de la justice, nos La Rocque et nos Doriot, dénoncent comme le centre de perdition : MOSCOU, MOSCOU ! Contre leur pernicieuse sottise, nous ne possédons, dans une époque anxieuse comme la nôtre, qu'une seule arme efficace : la vérité. Il nous la faut donc cette vérité, et entière, et quelle qu'elle soit.
Les travailleurs français depuis plusieurs mois ont repris conscience d'eux-mêmes ; ils se rouvrent à l'espérance. Mais ils sentent aussi que « l'émancipation des travailleurs sera l'oeuvre des travailleurs eux-mêmes », ou jamais ne sera. Pour qu'ils puissent accomplir leur tâche de paix et de justice, il faut avant tout qu'ils voient clair, qu'ils luttent en pleine clarté. Le procès de Moscou barre soudain leur route d'une ombre immense. Cette ombre doit être dissipée ; elle doit l'être au plus tôt.
Ainsi que l'ont demandé déjà divers groupements ouvriers, nous demandons qu'une commission d'enquête internationale, absolument libre, disposant de tous documents, pouvant faire comparaître tous témoins, soit appelée à examiner publiquement le procès de Moscou, ses origines, sa conduite, ses conclusions, et puisse ainsi se prononcer publiquement sur l'ensemble de l'affaire. Nous demandons simplement la plus élémentaire justice.
Nous nous adressons aux hommes de tous les partis qui se disent dévoués à la libération des travailleurs, à tous ceux, quelles que soient leurs idéologies particulières, qui ne reconnaissent de progrès humains que lorsque sont authentiquement accrues la justice sociale et la dignité de l'homme. Qui d'entre ceux-là refuserait de demander LA VERITE ?
Signent aussi : Gaston Bergery et Georges Izard,
en déclarant que : 1. La ligne politique de leur organisation ne coïncide pas exactement avec les termes de l'Appel mais que l'essentiel est la conclusion sur laquelle l'accord est complet. 2. S'étant abstenus jusqu'à présent de critiquer le régime intérieur de la Russie, ils jugent nécessaire de poser la question du procès de Moscou parce qu'un tel sujet dépasse les limites de la politique intérieure et qu'il importe à tous les hommes par-delà les frontières.
Nous avons reçu également la déclaration suivante :
« Sans adhérer à tous les termes du présent Appel, nous nous déclarons en complet accord avec le désir de Vérité qui s'y exprime.
Nous sommes trop respectueux de la personne humaine et de ses droits pour ne pas demander la lumière complète sur le procès de Moscou.
Nous approuvons entièrement les propositions d'enquête formulées dans l'Appel. »
DÉCLARATION LUE PAR ANDRÉ BRETON LE 3 SEPTEMBRE 1936 AU MEETING : « LA VÉRITÉ SUR LE PROCÉS DE MOSCOU »
CAMARADES,
En notre simple qualité d'intellectuels, nous déclarons que nous tenons le verdict de Moscou et son exécution pour abominables et inexpiables.
Nous nions formellement avec vous le bien-fondé de l'accusation, que les antécédents des accusés dispensent même d'examiner en dépit des prétendus « aveux » de la plupart d'entre eux. Nous tenons la mise en scène du procès de Moscou pour une abjecte entreprise de police, qui dépasse de loin en envergure et en portée celle qui aboutit au procès dit des « incendiaires du Reichstag ». Nous pensons que de telles entreprises déshonorent à jamais un régime.
Nous nous associons, sinon à l'ensemble de ses appréciations politiques, du moins aux conclusions lucides de l'article d'Otto Bauer formulées avant-hier dans Le Populaire : « Ce qui s'est passé à Moscou, c'est plus qu'une erreur, plus qu'un crime, c'est un malheur effroyable qui frappe le socialisme du monde entier, sans distinction d'esprit et de tendance ». C'est, à notre sens, un malheur effroyable dans la mesure où, pour la première fois, à un grand nombre de camarades qui se laisseront abuser, la conscience révolutionnaire est présentée en bloc comme corruptible. C'est un malheur effroyable dans le sens où des hommes vers qui allait, malgré tout, ne fût-ce qu'en raison de leur passé plus ou moins glorieux, notre respect, passent pour se condamner eux-mêmes, pour se définir comme des traîtres et des chiens. Ces hommes, quelles que soient les réserves graves que nous puissions faire sur la solidité de certains d'entre eux, nous les tenons pour totalement incapables, fût-ce dans le désir de continuer à lutter, fût-ce à plus forte raison dans l'espoir d'échapper à la mort, de se nier, de se flétrir eux-mêmes à ce point. Mais où cela cesse d'être un malheur effroyable, c'est à partir du moment où cela nous éclaire définitivement sur la personnalité de Staline : l'individu qui est allé jusque-là est le grand négateur et le principal ennemi de la révolution prolétarienne. Nous devons le combattre de toutes nos forces, nous devons voir en lui le principal faussaire d'aujourd'hui - il n'entreprend pas seulement de fausser la signification des hommes, mais de fausser l'histoire - et comme le plus inexcusable des assassins.
Nous faisons, dans ces conditions, toutes réserves sur le maintien du mot d'ordre : « Défense de l'U.R.S.S. » Nous demandons que lui soit substitué de toute urgence celui de « Défense de l'Espagne révolutionnaire » en spécifiant que tous nos regards vont aujourd'hui, 3 septembre 1936, aux magnifiques éléments révolutionnaires de la C.N.T., de la F.A.I. et du P.O.U.M. qui luttent, indivisiblement à nos yeux, sur le front d'Irun et dans le reste de l'Espagne. Ces éléments, nous ne nous dissimulons pas que Staline et ses acolytes, qui ont passé un pacte d'assistance avec les états capitalistes, s'emploient tant qu'ils peuvent à les désunir. C'est, pour nous, une raison de plus d'attendre d'eux, de leurs forces et de leurs héroïsmes conjugués, le rétablissement de la vérité historique foulée aux pieds non moins systématiquement en U.R.S.S. qu'en Italie et en Allemagne.
Sous une forme concrète, nous nous proposons d'agir à l'intérieur du Comité de Vigilance des Intellectuels pour que soit menée en toute sévérité l'enquête réclamée par le P.O.I. sur les conditions dans lesquelles s'est déroulée, nous le savons déjà, sans le moindre égard, non seulement pour la personnalité des accusés, mais pour la sauvegarde de la dignité humaine, le procès de Moscou, et de contribuer à exiger s'il y a lieu - il y a lieu sûrement - réparation au nom de la conscience internationale, seul élément de progrès, de la conscience internationale dont, Camarades, nous sommes ici un certain nombre à tenir les prescriptions pour sacrées.
Nous saluons à nouveau la personnalité, de très loin au-dessus de tout soupçon, de Léon Trotsky. Nous réclamons pour lui le droit de vivre en Norvège et en France. Nous saluons cet homme qui a été pour nous, abstraction faite des opinions occasionnelles non infaillibles qu'il a été amené à formuler, un guide intellectuel et moral de premier ordre et dont la vie, dès lors qu'elle est menacée, nous est aussi précieuse que la nôtre.