Tracts surréalistes, Tome I, 1933
1933
L'A.E.A.R. S'INCLINE DEVANT LES VICTIMES ET FAIT APPEL AUX CORRESPONDANTS OUVRIERS
Profondément et douloureusement émue par le nouveau crime de la rationalisation mise au service de la guerre et du profit capitaliste, l'Association des Ecrivains et Artistes Révolutionnaires s'incline devant les victimes de toutes nationalités tombées à Billancourt.
Aux côtés des organisations syndicales, elle réclame une enquête ouvrière, des délégués à la sécurité élus par les travailleurs, des indemnités pour toutes les victimes.
Elle appelle les travailleurs des usines Renault à dénoncer, comme correspondants ouvriers, leur exploitation et les fabrications de guerre auxquelles ils participent.
Elle les invite à décrire leur vie et à rejoindre les rangs de l'A.E.A.R. qui les aidera à trouver leur forme d'expression littéraire ou artistique.
PROTESTEZ !
L'Association des Ecrivains et Artistes Révolutionnaires élève la protestation la plus véhémente contre les provocations fascistes en Allemagne, l'incendie du Reichstag, organisé par les chemises brunes, la terreur qui a présidé aux élections du 5 mars.
Les hommes appartenant à tous les partis qui composent l'A.E.A.R., écrivains et artistes professionnels, écrivains et artistes prolétariens font appel au front unique de tous les travailleurs pour venir en aide au prolétariat allemand.
Le fascisme, c'est, dans le domaine culturel, le dernier sursaut de la civilisation bourgeoise qui tente par la violence et le verbalisme révolutionnaire de revivifier les idéologies les plus caduques.
C'est l'expression la plus achevée du déclin irrémédiable et de la faillite de la pensée bourgeoise qui ne se fie qu'à la force brutale et qu'à la terreur.
C'est l'abandon de toute idée progressive.
C'est la régression certaine de la civilisation.
C'est la mise hors la loi de toute pensée qui ne se tourne pas en arrière...
C'est le pogrome et le retour à l'antisémitisme du Moyen Age.
Déjà, en Allemagne, comme en Italie, des milliers d'écrivains, d'artistes, de médecins, d'avocats sont chassés de leurs postes, ou jetés en prison.
Et l'on tue dans les prisons allemandes !
Kate Kollwitz et Heinrich Mann sont exclus de l'Académie.
Des écrivains comme Kisch, Ludwig Renn, Brecht, des avocats comme Apfel et Litten, des pacifistes comme Lebman Kuerbild et von Ossietzky, des médecins comme Bohnheim, Schinke, Hodann, sont emprisonnés.
Et encore la censure de la croix gammée ne nous laisse-t-elle apprendre qu'une faible partie de la vérité.
Tous ces camarades, dans les prisons et les camps de concentration, sont en danger ?
Unissons-nous pour les sauver !
Quelles que soient les provocations de Hitler - fils du traité de Versailles - sur le plan international, que ceux qui se réclament de la défense de la paix et qui veulent lutter sincèrement contre le fascisme ne se laissent pas troubler. L'impérialisme n'est jamais la paix.
Il n'y a pas de lutte des démocraties contre les fascismes...
Ceux qui pourraient le croire oublient qu'aux côtés de la démocratie française se rangent les « fascismes » assassins de Yougoslavie, de Roumanie et de Pologne...
L'ennemi, c'est l'impérialisme. Et, pour nous, en France, c'est l'impérialisme français.
A l'appel de quelques-uns des plus grands parmi les écrivains, artistes et savants français, l'A.E.A.R. invite tous les intellectuels à organiser contre la terreur en Allemagne et contre le traité de Versailles l'insurrection des consciences.
C'est sur le prolétariat seul que repose l'avenir de la civilisation.
Adresser les protestations au siège de l'A.E.A.R., 13, rue du Faubourg-Montmartre.
[Feuille rouge n° 2, mars 1933.]
LA MOBILISATION CONTRE LA GUERRE N'EST PAS LA PAIX
AU CONGRES INTERNATIONAL
CONTRE LA GUERRE
« Lénine fut toujours l'adversaire décidé, et pas seulement pendant la guerre, du mot d'ordre de paix lancé d'une façon abstraite. Il estimait que la propagande abstraite de la paix est seulement capable de semer des illusions, d'avoir une influence pernicieuse sur le prolétariat en lui inspirant une confiance humanitaire envers la bourgeoisie et en le rendant jouet entre les mains de la diplomatie secrète des pays belligérants ». (L'Internationale Communiste, n° 10-11, p. 455).
« Il faut lancer des mots d'ordre pour expliquer aux masses dans la propagande et l'agitation, la différence irréductible existant entre le socialisme et le capitalisme (impérialisme) et non pas pour concilier deux classes ennemies au moyen d'un mot qui « groupe » les choses les plus diverses ». (Lénine, cité par L'Internationale Communiste, n° 10-11, p. 459).
C'est précisément à « concilier » deux classes ennemies que travaillent plus et mieux que jamais les promoteurs du Congrès International contre la guerre, dont le manifeste a paru simultanément dans Monde et dans L'Humanité du 27 mai dernier.
Qu'on en juge :
« Nous appelons tous les hommes, toutes les foules, sans tenir compte de leurs affiliations politiques, et toutes les organisations ouvrières - culturelles, sociales et syndicales - toutes les forces et toutes les organisations, en masses ! Qu'elles s'unissent à nous dans un grand congrès international contre la guerre ». (Extrait de l'appel de Romain Rolland et Henri Barbusse).
Ainsi la bonne volonté évangélique des intellectuels de tous les partis trouve l'occasion, une fois de plus, de se manifester et d'exercer ses ravages sous prétexte de paix sur la terre.
Nous tenons à dénoncer, une fois de plus, le rôle néfaste et profondément contre-révolutionnaire des intellectuels qui en prennent l'initiative. Barbusse auteur de Jésus et Romain Rolland apologiste de Gandhi sont actuellement dans le monde les propagateurs les plus dangereux d'un mysticisme humanitaire plus pernicieux à tout prendre que n'importe quelle théologie abstraite.
Comment ne pas déplorer qu'après avoir dénoncé l'activité contre-révolutionnaire d'Henri Barbusse, directeur de Monde :
« ... En se plaçant au-dessus des partis, cet organe s'est mis uniquement au-dessus du Parti Communiste ». (Littérature de la Révolution mondiale, n° spécial sur le Congrès de Kharkov, p. 107).
l'on puisse, malgré cela, lui laisser assumer une pareille tâche en compagnie de Romain Rolland dont on ne doit pas oublier l'abominable campagne en faveur de Gandhi :
« Chaque peuple égorge l'autre, au nom des mêmes principes, qui masquent les mêmes intérêts et les mêmes instincts de Caïns. Chacun, - nationalistes, fascistes, bolcheviks, peuples et classes opprimés, peuples et classes oppresseurs, - chacun revendique pour soi, en le refusant aux autres, le droit à la violence, qui lui paraît le Droit. Aujourd'hui, c'est bien pire : la Force est le droit. Elle l'a dévoré.
« Dans ce vieux monde qui s'écroule, nul asile, nul espoir. Aucune grande lumière ». (Romain Rolland : Mahatma Gandhi, Stock édit., Paris, 1930, p. 181) ;
de Gandhi qui « chaque fois que l'Etat du Sud-Afrique se trouva aux prises avec de graves dangers, suspendit la non-participation des Indiens et offrit aussitôt son aide. En 1899, pendant la guerre des Boers, (il) forma une Croix-Rouge indienne, qui fut deux fois citée à l'ordre du jour, avec éloge pour sa bravoure sous le feu. En 1904 la peste éclata à Johannesburg : Gandhi organisa un hôpital. En 1908 les indigènes se soulevèrent au Natal : Gandhi prit part à la guerre, à la tête d'un corps de brancardiers, et le gouvernement de Natal l'en remercia publiquement ». (Romain Rolland : Mahatma Gandhi, p. 20), de Gandhi qui avouait cyniquement : « Chers amis, nul Anglais n'a coopéré plus étroitement que moi à l'Empire, pendant vingt-neuf ans d'activité publique. J'ai mis ma vie quatre fois en danger pour l'Angleterre... » (Gandhi, lettre de 1920 à tous les Anglais de l'Inde, citée par Romain Rolland dans Mahatma Gandhi, p. 26).
Comment pourrait-on nier dans ces conditions que les menées les plus bassement idéalistes ne sont pas couvertes par ce pseudo-révolutionnarisme, et que tout ce délire ne va pas jusqu'à espérer l'agenouillement des masses trahies dans la capitale de la S.D.N. pour une prière pour la paix et un Credo tel que celui-ci :
- Je crois aux Védas, aux Upanishads, aux Puranas, etc. ;
- Je crois aux Varnashramas Dharma (Discipline des castes), etc. ;
- Je crois à la protection de la vache dans un sens beaucoup plus large que le sens populaire, etc...
« Je ne désavoue pas la culte des idoles » (Gandhi : Credo, cité par Romain Rolland dans le même livre).
Comment ne pas voir une menace grave dans de telles bouffonneries quand s'étalent jusque dans L'Humanité, organe central du Parti Communiste français, les bouses cléricales dignes de La Croix, d'André Baillon :
Il y a plus de livres que dans la bibliothèque de Westmalle qui n'en possède qu'un, mais il n'y a pas plus de lecteurs. Les mots sont vains. Un seul suffit : Dieu. (L'Humanité, juin 1932).
....
- Mon Père, j'avais autrefois de la fortune : je l'ai gaspillée ; c'est mal, n'est-ce pas, d'abuser ainsi des dons de Dieu ?
- Il ne vous a pas trop puni, puisqu'il vous a fait la grâce d'être pauvre. (L'Humanité, juin 1932).
....
- J'ai une bibliothèque.
- Oui, mon enfant.
- Dans cette bibliothèque, il y a des livres qui ne sont pas tous bons.
- Brûlez les mauvais, mon enfant.
- Mais j'y tiens.
- Comment pouvez-vous tenir à ce que vous dites mauvais ? Brûlez, ce sera votre pénitence.
- Bien, mon Père. (L'Humanité, juin 1932).
LE COUP DE POUCE.
Mon âme lavée à neuf, je veux, avec l'aide du Père Isidore, la polir dans les coins.
Je retourne le voir.
- Mon Père, est-il permis d'écrire des livres ?
- Peuh ! mon enfant ; occupation inutile, souvent dangereuse.
- Mais de bons livres, mon Père ; des histoires édifiantes... par exemple la vie d'un saint.
Le Père se méfie :
- Avec prudence, mon enfant, avec prudence.
- Et développer un sujet que j'aurais trouvé dans la Bible ?
- Dans la Bible, mon enfant ! ... Mais la Bible a été écrite sous l'inspiration du Saint-Esprit. Vous ne prétendez pas faire mieux que le Saint-Esprit, je suppose ?
Habitué aux péchés de ses paysans, de bonnes betteraves, simples et rondes, le Père finit par s'effrayer de la forme biscornue des miennes.
- Ecoutez, mon enfant, je ne suis guère versé dans tous ces problèmes. Peut-être pourriez-vous consulter un autre confesseur ?
Mais je suis fidèle, moi. Je préfère me damner avec sa morale, que me sauver avec une autre plus accommodante.
(L'Humanité, juin 1932).
Est-ce là littérature prolétarienne ? On n'a pas oublié comment ce populisme fut jugé à Kharkov :
« Populisme : ce groupe qui se propose de représenter la vie des masses travailleuses, fournit surtout une littérature paysanne, littérature spécifiquement réactionnaire ». (Littérature de la Révolution mondiale, n° spécial consacré au Congrès de Kharkov, p. 104).
Monde a été depuis sa fondation la tribune de cette littérature spécifiquement réactionnaire, organe des éléments indésirables ou dissidents de droite du Parti Communiste et des éléments gauchistes des partis socialiste et radicalsocialiste, il a toujours tenté de dériver par-là les mots d'ordre et l'idéologie de la IIIe Internationale au profit de la IIe :
« Sous sa forme actuelle Monde est le promoteur des idéologies hostiles au prolétariat. Comme tel, ce journal est un obstacle à la création en France d'une littérature révolutionnaire et prolétarienne, et le fait d'en être le directeur est en contradiction avec l'appellation d'écrivain révolutionnaire ».
(Littérature de la Révolution mondiale, n° déjà cité, p. 111).
Cette critique de Monde telle qu'elle a été faite à la Conférence de Kharkov est plus que jamais à l'ordre du jour, et reste dans le cadre de l'activité critique surréaliste, telle qu'Aragon la définissait dans le n° 3 du Surréalisme au service de la Révolution, quand dans ses derniers moments de lucidité, il dénonçait Barbusse comme contre-révolutionnaire.
Depuis lors, Aragon ayant abjuré toute intelligence et toute honnêteté, s'est converti aux plus sinistres méthodes de crétinisation des masses. Nous le voyons maintenant exprimer avec une désinvolture de bas-bleu rouge ces singulières revendications :
Chômeurs, voulez-vous à la fin que ça cesse ?
....
Chômeurs, qu'on ne vous chasse plus de sous les ponts ?
....
Chômeurs, qu'on vous foute la paix sur les bancs ?
(La Lutte anti-religieuse et prolétarienne, Avril 1932).
Prières à la vache pour obtenir la paix, pleurnicheries idiotes sur la misère, voilà où nous en sommes et voilà où nous ne permettrons pas qu'on en reste.
NOUS ADHERONS AU CONGRES INTERNATIONAL CONTRE LA GUERRE ET DEMANDONS A Y ETRE REPRESENTES.
Et si nous y adhérons, en dépit des réserves très graves que nous avons cru devoir formuler quant aux personnalités de Barbusse et Rolland, c'est que nous faisons, comme nous n'avons jamais cessé de faire, toute confiance aux masses et aux organisations ouvrières révolutionnaires qui doivent y prendre part pour avoir raison du confusionnisme des intellectuels auxiliaires de leurs oppresseurs :
« Les communistes peuvent et doivent savoir convaincre les masses travailleuses qu'ils sont les seuls partisans conséquents et honnêtes de la paix, qu'eux seuls indiquent l'unique voie juste vers la paix universelle. Mais, ce faisant, nettement et sans équivoque qu'une pareille paix ne peut être obtenue qu'après le renversement violent du régime capitaliste dans le monde entier, et en aucun cas avant ». (L'Internationale Communiste, n° 10-11, p. 458).
Ainsi seront enrayées les menaces d'un idéalisme bondieusard. Ainsi et seulement ainsi seront mis hors d'état de nuire toutes les séquelles du christianisme, tous les représentants, quelle que soit leur défroque, de Dieu sur la terre, de Dieu « ce complexe d'idées nées de l'assujettissement de l'homme à la nature, affermissant cette oppression, assoupissant la lutte de classes. » (Lénine).
L'idéalisme et la mystique de la non-violence sont les bases et les soutiens de tous les impérialismes, de toutes les oppressions.
« Le IXe Congrès des syndicats de l'U.R.S.S., en face de la guerre impérialiste déjà déchaînée en Extrême-Orient et de l'intervention armée menaçant la dictature prolétarienne, s'adresse à toutes les classes exploitées et à tous les peuples opprimés, en les exhortant à agir résolument contre toute nouvelle guerre impérialiste. L'expérience de la classe ouvrière de l'U.R.S.S. a démontré que les voies et les moyens pour s'affranchir de la guerre, pour sortir de la crise, c'est la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile (Lénine), la lutte sans merci sous le mot d'ordre : « L'ennemi principal se trouve dans notre propre pays ». (Liebknecht : L'Internationale Communiste, n° déjà cité, p. 449).
Mais si les prolétaires de tous les pays savent où est leur principal ennemi, qu'ils n'oublient pas que les bourgeoisies « nationales » ont le siège social de leur cartel à Genève sous le signe de la non-violence.
En réponse au pacifisme officiel qui fait se muer les anges gardiens de la paix en ministres de la guerre ; en réponse à la plus vieille des formules impérialistes : « Si vous voulez la paix, préparez la guerre » ; en réponse encore à l'hypocrite mot d'ordre de guerre à la guerre, nous disons : « SI VOUS VOULEZ LA PAIX, PREPAREZ LA GUERRE CIVILE ».
Il n'est rien de plus fallacieux que l'opposition du terme de paix au terme de guerre, en régime capitaliste. Il nous paraît impossible de justifier, sinon d'une manière toute relative, le mot d'ordre de paix mis en avant par les organisateurs du Congrès de Genève, à une époque où l'impérialisme multiplie de tous côtés ses exactions. Tout au moins importe-t-il de dégager un tel mot d'ordre des illusions déplorables qu'il ne peut manquer de faire naître et contre lesquelles s'inscrivent, avec un relief croissant, les événements symptomatiques dont la scène mondiale est le théâtre : bien plutôt que de voler au secours d'une passivité déjà trop grande par l'évocation des « atrocités » soi-disant (sic) inhérentes à la guerre, convient-il d'attirer l'attention et la colère du prolétariat sur les crimes journaliers dont le capitalisme se rend coupable. Dans la paix comme dans la guerre, les risques sont identiques pour ceux qui se soulèvent contre leurs oppresseurs. Nous pensons particulièrement ici à l'abominable sentence qui vient de frapper les marins des croiseurs péruviens Almirante Grau et Coronel Bolognesi qui se révoltèrent le 8 mai dernier pour protester contre la mauvaise nourriture et les excès de la discipline : huit condamnés à mort exécutés sur l'heure, quatorze condamnés à 15 ans de prison, douze à 10 ans de la même peine par la Cour martiale du dictateur Sanchez Cerro qui avait, pour la circonstance, rétabli la peine de mort. Nous nous élevons avec indignation contre cette vengeance de lâches et comptons sur les organisations révolutionnaires du prolétariat pour qu'elles mènent contre ses auteurs l'action qui s'impose. C'est sur la dénonciation de tels crimes et leur explication rationnelle par les contradictions dans lesquelles le capitalisme se débat que nous entendons que soit porté l'accent de l'intervention à laquelle, à Genève, les masses ouvrières sont conviées.
[Juin 1933]
IL FAUT VISITER L'EXPOSITION SURRÉALISTE
Objets désagréables, chaises, dessins, sexes, peintures, manuscrits, objets à flairer, objets automatiques et inavouables, bois, plâtres, phobies, souvenirs intra-utérins, éléments de rêves prophétiques, dématérialisations de désirs, lunettes, ongles, amitiés à fonctionnement symbolique, cadres, détérioration de cheminées, livres, objets usuels, conflits taciturnes, cartes géographiques, mains, buste de femme rétrospectif, saucisses, cadavres exquis, palais, marteaux, libertins, couples de papillons, perversions d'oreilles, merles, oeufs sur le plat, cuillers atmosphériques, pharmacies, portraits manqués, pains, photos, langues.
Vous souvenez-vous encore de cette époque où la peinture était considérée comme une « fin en soi » ?
Nous avons dépassé la période des exercices individuels.
Autre chose est l'autorité. Celle-ci, la peinture surréaliste a su l'acquérir aux dépens de tout opportunisme personnel.
Le temps passe.
Par le caractère affectif de vos rendez-vous.
Par les recherches expérimentales du surréalisme.
Nous ne voulons pas reconstruire des arches. Partisans sincères du mieux, nous avons essayé d'embellir un peu, physiquement et moralement, la physionomie de Paris.
En tournant le dos aux tableaux.
Le mot délit n'a, en général, pas été compris.
Vous souvenez-vous ?
[Juin 1933.]
VIOLETTE NOZIERES
Tous les rideaux du monde tirés sur tes yeux
Ils auront beau
Devant leur glace à perdre haleine
Tendre l'arc maudit de l'ascendance et de la descendance
Tu ne ressembles plus à personne de vivant ni de mort
Mythologique jusqu'au bout des ongles
Ta prison est la bouée à laquelle ils s'efforcent d'atteindre dans leur sommeil
Tous y reviennent elle les brûle
Comme on remonte à la source d'un parfum dans la rue
Ils dévident en cachette ton itinéraire
La belle écolière du lycée Fénelon qui élevait des chauves-souris dans son pupitre
Le perce-neige du tableau noir
Regagne le logis familial où s'ouvre
Une fenêtre morale dans la nuit
Les parents une fois de plus se saignent pour leur enfant
On a mis le couvert sur la table d'opération
Le brave homme est noir pour plus de vraisemblance
Mécanicien dit-on de trains présidentiels
Dans un pays de pannes où le chef suprême de l'Etat
Lorsqu'il ne voyage pas à pied de peur des bicyclettes
N'a rien de plus pressé que de tirer le signal d'alarme pour aller s'ébattre en chemise sur le talus
L'excellente femme a lu Corneille dans le livre de classe de sa fille
Femme française et l'a compris
Comme son appartement comprend un singulier cabinet de débarras
Où brille mystérieusement un linge
Elle n'est pas de celles qui glissent en riant vingt francs dans leur bas
Le billet de mille cousu dans l'ourlet de sa jupe
Lui assure une rigidité pré-cadavérique
Les voisins sont contents
Tout autour de la terre
Contents d'être les voisins
L'histoire dira
Que M. Nozières était un homme prévoyant
Non seulement parce qu'il avait économisé cent soixante-cinq mille francs
Mais surtout parce qu'il avait choisi pour sa fille un prénom dans la première partie duquel on peut démêler psychanalytiquement son programme
La bibliothèque de chevet je veux dire la table de nuit
N'a plus après cela qu'une valeur d'illustration
Mon père oublie quelquefois que je suis sa fille
Ce qui tout à la fois craint et rêve de se trahir Mots couverts comme une agonie sur la mousse Celui qui dit les avoir entendus de ta bouche brave tout ce qui vaut la peine d'être bravé Cette sorte de courage est aujourd'hui le seul Il nous dédommage à lui seul de cette ruée vers une tonnelle de capucines Qui n'existe plus Tonnelle belle comme un cratère Mais quel secours Un autre homme à qui tu faisais part de ta détresse Dans un lit un homme qui t'avait demandé le plaisir Le don toujours incomparable de la jeunesse Il a reçu ta confidence parmi tes caresses Fallait-il que ce passant fût obscur Vers toi n'a su faire voler qu'une gifle dans la nuit blanche
Ce que tu fuyais
Tu ne pouvais le perdre que dans les bras du hasard
Qui rend si flottantes les fins d'après-midis de Paris autour des femmes aux yeux de cristal fou
Livrées au grand désir anonyme
Auquel fait merveilleusement uniquement
Silencieusement écho
Pour nous le nom que ton père t'a donné et ravi
On glisse où s'est posé ton haut talon de sucre
Tout est égal qu'ils fassent ou non semblant de ne pas en convenir
Devant ton sexe ailé comme une fleur des Catacombes
Etudiants vieillards journalistes pourris faux révolutionnaires prêtres juges
Avocats branlants
Ils savent bien que toute hiérarchie finit là
Pourtant un jeune homme t'attendait énigmatique à une terrasse de café
Ce jeune homme qui au Quartier Latin vendait paraît-il entre-temps L'Action française
Cesse d'être mon ennemi puisque tu l'aimais
Vous auriez pu vivre ensemble bien qu'il soit si difficile de vivre avec son amour
Il t'écrivait en partant Vilaine chérie
C'est encore joli
Jusqu'à plus ample informé l'argent enfantin n'est que l'écume de la vague
Longtemps après la cavalerie et la chevalerie des chiens
Violette
La rencontre ne sera plus poétiquement qu'une femme seule dans les bosquets introuvables du Champ-de-Mars
Assise les jambes en X sur une chaise jaune
La mère du vinaigre
Primauté du cuir incarné
Sur le fétide spectre chevillé
Une partition les combattants fraternisent
Sinon dans la maison des éclipses
Celle qui domine en se retirant fera l'obscurité
Tu cylindrais tes annexions avec des pavés dégagés de la tête des limaces
Sanglot suivi de son venin
Urine eau-de-vie du rêve
Trouble la trame du tulle
Tu tires sur le jour
Ta perte est une larme
Elle présage une idylle
Défense de l'amour violence
Asphyxie instant du diamant
Paralysie douceur errante
Lorsque le pélican
Les murs de la maison se ressemblent
Une voix enfantine répond
Oui comme un grain de blé et les bottes de sept lieues
Sur l'un des murs il y a les portraits de famille
Un singe à l'infini
Sur l'autre il y a la porte ce tableau changeant
Où je pénètre moi
La première
Puis on devise sous la lampe
D'un mal étrange
Qui fait les fous et les génies
L'enfant a des lumières
Des poudres mystérieuses qu'elle rapporte de loin
Et que l'on goûte les yeux fermés
Pauvre petit ange disait la mère
De ce ton des mères moins belles que leur fille
Et jalouses
Violette rêvait de bains de lait
De belles robes de pain frais
De belles robes de sang pur
Un jour il n'y aura plus de pères
Dans les jardins de la jeunesse
Il y aura des inconnus
Tous les inconnus
Les hommes pour lesquels on est toujours toute neuve
Et la première
Les hommes pour lesquels on échappe à soi-même
Les hommes pour lesquels on n'est la fille de personne
Violette a rêvé de défaire
A défait
L'affreux noeud de serpents des liens du sang
De molles quantités d'herbes vénéneuses sous l'oreiller
parce que c'est dimanche
la tête pleine de rames et feuilles de mousseline aromatisées c'est la forêt aux cinq cent branches de talc
immense et rigide la nuit fait face au gouffre sous les orties qui se cachent
sous leurs bras d'enfant pleurant contre un mur
De dix ans plus belle que l'enfant
au piano étrangleur de résine
Mais soudain tu n'as rien oublié
les yeux baissés derrière un buisson la bouche sévère rageuse rêvant de baisers
On ne conduit pas sa fille comme un train
Le père Nozières
Dans la meilleure des républiques
Conduisait la locomotive
Du train de bien des présidents
Et quand il passait dans une gare
L'armée française lui rendait les honneurs
A mener le train de ces trains-là
On risque toujours quelque chose
Et ce quelque chose arriva
Combien de bonnes mères
Et combien de mauvais pères
Et combien de bons pères
Et de mauvaises mères
Aux rendez-vous de la morale bourgeoise
Te nommeront garce salope
Violette
O embrasseuse d'aubes
Fille d'une partie civile et d'un train
Fille de ce siècle en peau de cadenas
Malgré la boue et le temps menaçant
Malgré les jours livides et les nuits illusoires
Tu vivais O combien anxieusement
Te voilà muette ou presque à présent
A la faible lueur des quinquets
Du labyrinthe judiciaire
Nous ne sommes hélas pas nombreux
Violette
Mais nous ferons cortège à nos ombres
Pour effrayer tes justiciers
Au tribunal du corps humain
Je condamnerai les hommes aux chapeaux melons
A porter des chapeaux de plomb
Le lait d'éther violet trahit
le sinistre liquide de toilette des noces
où l'inceste mène à la bière
qui nie les insectes dévorants
les sérieux horizons
la notion des rizières
Elle était belle comme un nénuphar sur un tas de charbon
de ce charbon
que son père enfournait dans les trains présidentiels
au lieu du président
belle comme une perle dans une huître qui ne sera jamais pêchée
belle comme un jeune sabot
qui frappe des fesses paternelles
belle comme une hirondelle
nichant sous la gouttière d'une prison en démolition
et si jeune qu'on aurait dit
un raz-de-marée nettoyant une ville de tous ses curés
Papa
Mon petit papa tu me fais mal
disait-elle
Mais le papa qui sentait le feu de sa locomotive
un peu en-dessous de son nombril
violait
dans la tonnelle du jardin
au milieu des manches de pelle qui l'inspiraient
Violette
qui rentrait ensuite étudier
entre le mécanicien de malheur
et la mère méditant sa vengeance
ses leçons pour le lendemain
où l'on vantait la sainteté de la famille
la bonté du père et la douceur de la mère
La sienne son billet de mille francs cousu dans son sordide jupon
valait une concierge et son chien hargneux
une boîte de conserves bombée
plusieurs escouades de ces flics dont s'enorgueillit sa famille
Sur le père rien d'autre à dire
N'en parlons plus
Mais le fumier décoré d'une couronne comtale aura de l'avancement
à la brigade mondaine
avant d'épouser une riche héritière
la fille d'un quelconque M. Emile
tremblant dans son pantalon
Passons le nez bouché
Loin de là l'élève Violette Nozières
revient lentement du lycée Fénelon
dans l'espoir que son père sera rentré du jardin
Mais il a déjà préparé une serviette derrière le paravent
Plus tard ce sera sur les boulevards
à Montmartre rue de la Chaussée d'Antin
que tu fuiras ce père
dans les chambres d'hôtel qui sont les grandes gares de l'amour
Au croupier au nègre à tous tu demanderas de te faire oublier
le papa le petit papa qui violait
Mais la martyre
la mère laissée pour compte
manie la vengeance
comme on tient la chandelle
singe les héroïnes antiques de bouse sèche
pour venger la serviette
maculée
oubliée derrière le paravent
qui devait avoir plus d'un trou
Et tous ceux qui font uriner leur plume sur le papier de journal
les noirs flaireurs de cadavres
les assassins professionnels à matraque blanche
tous les pères vêtus de rouge pour condamner
ou de noir pour faire croire qu'ils défendent
tous s'acharnent sur celle qui est comme le premier marronnier en fleurs
le premier signal du printemps qui balaiera leur boueux hiver
parce qu'ils sont les pères
ceux qui violent
à côté des mères
celles qui défendent leur mémoire
Comme un cercle vicieux décrit par le frôlement des aiguilles d'une montre contre le froid
comme une légende née d'un jeu de mains d'aveugles
ainsi les murs égrènent le nom de Violette Nozières incendiaire de sa vie
créature à deux tranchants
symbolique autant que charnelle
Violette qui joua un drame de nuages sur un théâtre de montagnes lumineuses
c'est-à-dire une oeuvre irrationnelle dans la mesure où l'influence du soleil s'exerce sur le cours des métaux précieux
Violette nymphe baroque des dialogues souterrains jusqu'au dénouement
Violette fille d'un père qui fatalement tenait le grand premier rôle sexuel fixé par l'histoire comme une leçon de choses
j'entends l'histoire naturelle des jours sans pain dévorant les jours sans pluie
et non l'odieux arrangement éthique des faits et gestes révolus en usage dans l'enseignement conformiste donné au lycée Fénelon
Voici enfin dévoilée par une autre elle-même inviolable
la personnalité inconnue
poétique
de Violette Nozières meurtrière comme
on est peintre
Mais le comble
la grande soif de couleurs
O beauté suspendue entre ciel et tête
comme un lustre au-dessus d'un précipice
c'est le regard qui se cabre
contre un sort plein de taches de rousseur
où toute l'enfance revenue en rêve sur l'eau dormante
apprend une nuit à lire en soi
en feuilletant le mensonge doré sur tranche
Désenchantée à perte de vue
désespérée à tire-d'aile
avec de pareils yeux sortis de terre
plus grands que la part du lion parmi les hommes
on voit tous les poissons errants depuis le déluge
disputer aux dieux invertis la palme du crime
à l'horizon convers
On voit toutes les armes en rose
quand l'orgasme change la face du ciel
et le sang tomber la tête la première comme un drapeau
aux mains éparses dans le vent d'une défaite équestre
On voit le bras d'Oedipe toujours vert le long des siècles
fendre la foule des amours endimanchées
sans connaître la fin des nuits perlières
sans découvrir l'envers inculte de la fatalité
où les couronnes de roi s'ouvrent comme des coquillages
Et pareille à quelque métisse de la lumière et de l'ombre
on revoit l'androgyne des mers microscopiques
qu'un mal aux beaux yeux emporte
à travers une constellation de taupes
Partout des soupirs sous des ruines d'herbe
comme le mystère passe de main en main
jusqu'au désert
et de grands miroirs troublants en proie aux frissons des champs retournés
comme le sexe de la femme à barbe posé sur un tombeau
Alors perdue d'horreur et d'honneur au fond d'un bois de marbre
on entend les ménures
dont le chant attire les rivières sensationnelles
couvertes de bijoux et de fleurs
Maintenant que la mort saute de branche en branche
les cariatides ne soutiennent plus un coeur touffu
et sourient à l'avenir tout à tour sombre et brillant comme un chapeau haut de forme
qui ne connaît ni père ni mère.