Tracts surréalistes, Tome I, 1921-1923
1921-1923
[LETTRE À « L'UNIVERSITÉ DE PARIS »]
Monsieur et Cher Confrère,
A la page 18 du numéro 236 (33e année) du 25 novembre 1921, à propos d'une revue tout au plus belge : « Enquête : le dadaïsme, sa renaissance, sa vie et sa mort ». Vous voudrez bien faire savoir à vos lecteurs que la mort [de] Dada est tout de même moins inquiétante que la vie de M. Florent Fels qui se permet (page 11 du numéro précité) de nous parler des moeurs édifiantes de nos jeunes gens nationaux, André Salmon et Max Jacob, et des vingt ans de MM. Gabory, Radiguet, Malrot, Sauvage, Fels et Jules Renard. Malgré tout le dégoût que nous éprouvons pour ce personnage (quel personnage ? - Fels) et l'ennui qui dort dans ses lunettes comme une tomate dans une cloche à melon, nous croyons indispensable de répondre à cet individu, comme on mouche les enfants de 14 ans qui n'ont pas la force de... sans devenir rouges. Je vous le demande un peu, confondre André Gide et Max Jacob, Cocteau et la baronne d'Oetingen, parler de Dostoïewski, Gogol, Stendhal, Restif, Laccos, Sade (ta bouche, bébé !), Scarron, Rabelais, Ronsard, Michel Zevaco, Louis Feuillade et tant d'autres (sic), qu'il n'a d'ailleurs jamais lus (nous non plus, mais pour d'autres raisons), pratiquer la scatologie en faisant allusion aux petits amis de Jacob, « assailli d'une foule de jeunes hommes » (sic), oublier que M. l'abbé Fleureau n'est autre que M. André Gide !
Nous vous prions d'excuser le ton un peu plaisant de cette lettre (il nous est difficile, vous le comprendrez, de vous parler sérieusement), mais nous insistons pour qu'elle soit publiée. Nous sommes décidés à ne plus laisser passer aucune ordure dans le genre de la lettre de M. Fels et de vos divers articles sur M. André Gide et consorts.
Nous envisageons d'ailleurs d'autres sanctions.
N'y revenez pas.
[L'Université de Paris, 25 février 1922.]
LETTRE OUVERTE AU COMITÉ LAUTRÉAMONT
Nous apprenons qu'un groupe d'amateurs, auquel se sont mêlés adroitement quelques critiques d'avant-garde, a pris l'initiative de célébrer le cinquantenaire de la mort d'Isidore Ducasse, comte de Lautréamont. La cérémonie anniversaire doit avoir lieu le 22 mars, place Vendôme. On a pu remarquer l'extrême discrétion avec laquelle nous avons laissé passer les fêtes du tricentenaire de l'esprit français. Les monuments, tant qu'ils ne commémorent qu'Apollinaire ou Jules Simon, ne requièrent pas autrement notre attention. Mais nos lecteurs, qui n'ont pas oublié les Poésies d'Isidore Ducasse parues ici même, comprendront que nous trouvions cette fois la plaisanterie douteuse. Non, nous ne permettrons pas que Lautréamont serve à remonter le niveau des morts pour la patrie (M.P.L.P.). Nous sommes prêts à tout pour empêcher cette mascarade.
Ce n'est pas à nous de faire observer que le prétexte même de cette petite fête est mal fondé, puisque le centenaire de Ducasse est échu l'année dernière.
LA REDACTION
[Littérature nouvelle série, n° 1, 1er mars 1922.]
DECLARATION SUR L'AFFAIRE UBU
Charles Chassé a déclaré que Jarry n'était pas l'auteur d'« UBU ROI ». Nous ne voulons pas plus discuter avec monsieur Chassé qu'avec messieurs Souday, Thérive, et autres critiques.
Pour nous, UBU ROI n'a rien à faire avec les comédies de Molière et de Shakespeare et les romans de Rabelais.
Il est fâcheux d'ailleurs qu'on ait profité du tricentenaire de l'un de ces messieurs pour nous infliger ce petit cours de littérature comparée.
Qui s'amuserait à prendre au sérieux un homme qui, comme le commandant Morin, a passé trente ans de sa vie dans l'armée ?
Devant l'évidence, nous nierons qu'UBU ROI soit l'oeuvre de messieurs Chassé et Henri Morin.
Alfred Jarry a signé UBU ROI et en est mort. Jarry est un des hommes dont nous admirons sans réserve l'attitude, et nous défions qui que ce soit d'entamer sa personnalité par la contestation d'une de ses oeuvres.
Nous nous réjouissons qu'UBU ROI soit tenu pour une « c...ade » par les imbéciles. Nous n'avons pas souvent l'occasion de préférer un Paul Fort à un Binet-Valmer. Mais lorsqu'on nous met dans cette alternative à propos de Jarry, nous n'hésitons pas un seul instant.
Cette histoire ne comporte pas de morale.
Nous ajoutons, et il serait trop facile d'en faire la preuve à la manière de messieurs Morin et consorts, qu'UBU demeure un fait unique qui n'engage en aucune façon ce qui l'a suivi.
LA REDACTION
[Littérature nouvelle série n° 1, 1er mars 1922.]
[POUR GEORGES-ANQUETIL]
Georges-Anquetil, le sympathique directeur du Grand Guignol, actuellement sous les verrous, est, on ne l'a pas oublié, le créateur de « La Carte postale littéraire » (Ed. Aux Alliés). Littérature, qui poursuit dans un autre domaine une action parallèle à celle du Grand Guignol, ne peut manquer de protester contre l'incarcération de l'éminent sociographe. Par la même occasion, elle se fait un plaisir de rendre hommage à son beau talent poétique.
[Littérature nouvelle série n° 2, 1er avril 1922.]
[« LITTÉRATURE » AU TOURNANT]
Contrairement au bruit qu'on en fait courir avec persistance, Littérature n'est pas, comme nombre de publications d'avant-garde, sur le point de disparaître. Après un silence de trois mois qu'elle mit à profit pour s'épurer de certains éléments stationnaires et se concilier d'autres éléments entièrement nouveaux, elle est prête à poursuivre son action avec le concours administratif d'un grand éditeur et sous la direction unique de M. André Breton.
Littérature, qui dédaigne les causes gagnées, abandonne définitivement Dada et entend passer à un autre ordre de révélations. Au sommaire du prochain numéro : Aragon, Baron, Breton, Desnos, Huelsenbeck, Picabia, Soupault. Une tribune entièrement libre est réservée, dans Littérature, à tous ceux qui jugent dérisoires les diverses expressions assignées jusqu'à ce jour à la conscience moderne, se déclarent ennemis de toute vulgarisation mais ne se refusent pas à concerter une action véritable dont les effets ne se fassent pas sentir seulement en littérature et en art.
[L'Ere nouvelle, 24 août 1922.]
[RÉPONSE À L'ENQUÊTE : « LE SYMBOLISME A-T-IL DIT SON DERNIER MOT ? »]
Monsieur,
En réponse à votre enquête : « Le symbolisme est-il mort ? », nous répondons :
- Nous n'avons pas l'habitude d'être dérangés pour des choses semblables.
- Nous vous faisons grâce de ce qui reste encore : Jean Cocteau, Georges Gabory, la Noailles, Raymond Radiguet, André Salmon, Erik Satie.
- Nous n'avons pas lu l'article de M. Romains, et pour causes (sic).
- En voilà assez.
Salutations.
[Le Disque vert nos 4-5-6, février-mars-avril 1923.]
[LETTRE À CLEMENT VAUTEL]
Monsieur Vautel,
Nous avons pris par hasard connaissance de votre papier d'aujourd'hui. C'est, comme à l'ordinaire, du propre, toutefois nous nous permettons de vous faire observer qu'il ne sera jamais question d'élever une statue au pauvre petit scribouillard Léon (sic) Vautel, bien qu'il soit peut-être vérolé et dément et que la magnifique entreprise du Liséré Vert ne lui en ait pas encore attachés au derrière. Gérard de Nerval et Charles Baudelaire vous enculent (pas dégoûtés) et te font savoir par notre intermédiaire que tu vas bientôt te faire moucher. C'est ainsi que nous avons l'habitude de régler les petits différends de cet ordre.
Maintenant, si tu préfères que l'on s'en prenne à tes oreilles...
[QUI SONT LES MEILLEURS ROMANCIERS ET POETES MECONNUS DE 1895 À 1914 ?]
Lautréamont, Jarry, Nouveau, Apollinaire et Saint-Pol-Roux.
Dix signatures