Rivages du Nord, Juin 2003 : Clavier affectif, Vingt poètes finlandais au regard du Surréalisme
Compte-rendu par Simone Grahmann
Rivages du Nord, Juin 2003 : Clavier affectif, Vingt poètes finlandais au regard du Surréalisme.
État des lieux établi par Väinö KIRSTINÄ et Philippe JACOB, introduction de Timo KAITARO ;
textes traduits du finnois par Karin TUOMINEN, Kari UUTTU et Philippe JACOB ;
illustrations de Juhani LINNOVAARA, 179 p.
L’ouvrage, constitué de trois grands ensembles, présente d’abord la perception et la réception du surréalisme en Finlande, dresse ensuite le portrait de deux peintres, Otto Mäkilä et Juhani Linnovaara, et se clôt sur un choix de poèmes et de textes poétiques de vingt poètes finlandais, qualifiés de surréalistes ou proches du surréalisme.
Timo Kaitaro, dans son essai intitulé « À propos du surréalisme en Finlande ; malentendus, retards, émergence », affirme qu’il n’y a jamais eu de groupe surréaliste en Finlande mais qu’il y a bel et bien eu un surréalisme en Finlande. Bien que la première réception finlandaise du surréalisme se soit caractérisée par des malentendus et qu’il ait fallu attendre un demi-siècle avant de voir les premières traductions de textes surréalistes, le surréalisme a laissé des traces dans la culture et la littérature. L’auteur explique qu’au moment de la naissance du surréalisme, la vie culturelle finlandaise était tournée vers l’Allemagne ; il déplore un manque de connaissance des mouvements d’art en général à cette époque-là. L’exposition du Groupe de Halmstad à Helsinki en 1934 donna enfin l’occasion de voir pour la première fois l’art relevant du surréalisme mais les critiques n’en avaient pas toujours des idées précises (on le rattachait plutôt au cubisme). Le peintre Otto Mäkilä, qualifié de surréaliste par des critiques dès le début des années 30, met lui-même en garde contre un rapprochement hâtif entre son art et le surréalisme, malgré la présence des traits stylistiques surréalistes dans son œuvre. Juhani Linnovaara, le seul artiste finlandais mentionné dans le Dictionnaire général du surréalisme et de ses environs (BIRO/ PASSERON, PUF, 1982), de son propre aveu, ne s’est « jamais familiarisé avec les doctrines de Breton et les théories du surréalisme ». L’auteur de l’ouvrage cite quelques artistes graveurs qu’il considère comme surréalistes : Hannula, Nieminen, Rouvinen, Tammenpää.
C’est seulement à la fin des années quarante qu’on peut rencontrer en Finlande des écrits qui dénotent une connaissance réelle du surréalisme. L’auteur cite l’étude de Kurjensaari de 1950, premier ouvrage à présenter le surréalisme de façon détaillée au public finlandais, mais les œuvres ne sont pas disponibles en finnois. En 1962 paraît enfin une anthologie de la poésie française moderne par la poétesse et traductrice Aale Tynni avec un choix de poèmes de surréalistes français, et en 1970, la traduction du Manifeste du surréalisme est publiée. En 1992 paraît la première étude universitaire sur le surréalisme finlandais, et en 2001, le premier ouvrage en finnois consacré au surréalisme français et international. L’auteur annonce la publication de la traduction de Nadja et des Champs magnétiques ainsi qu’une anthologie de la poésie surréaliste en langue française : Kirjo 4/2002 « Vingt poètes surréalistes français ».
Ensuite sont entreprises des « Tentatives de s’expliquer le surréalisme », d’abord par Aaro Hellaakoski qui, dans son « Essai sur le Surréalisme », pense qu’il est « bien certain que le ton exacerbé du surréalisme n’est pas réalisable chez nous », que les lecteurs « n’y sont pas prêts, encore moins qu’ailleurs. » Il est convaincu que le surréalisme n’est pas un phénomène précisément défini, qu’il paraît être un « mouvement d’envergure qui n’est pas très au fait de soi-même ni de ses objectifs ». L’auteur va même jusqu’à prétendre qu’il s’agit là d’une tentative de « fuir la réalité » et de remplacer le sentiment réaliste par le sentiment esthétique et l’expression réaliste par l’expression esthétique, alors que Breton n’a jamais cessé d’insister sur l’importance d’explorer, de façonner, de changer la réalité même et d’intervenir sur le cours du monde et de l’existence immédiate. L’auteur s’obstine cependant dans son interrogation sur le sens profond du surréalisme : « Mais qu’est-ce que cet hyper-réalisme particulier que les surréalistes peuvent se donner comme but ? », pour se résigner à l’absence de clarté en raison d’une trop grande variété des réponses. Il suggère que le surréalisme littéraire paraît être une sorte de « trans-réalisme » exprimé par des moyens relativement conventionnels – ou bien de « l’hallucination mystique » ou bien encore le « reflet de l’inconscient guidé par l’intelligence » et le compare à la musique en raison d’une « abstraction bâtie à partir d’abstractions pures ». Apparemment, l’auteur entend par abstraction ce qui relève du domaine mental, psychique mais encore simplement théorique quant à la conception d’une société et d’une existence réelle. Utopie, peut-être, recherche spirituelle, sans aucun doute, mais abstraction pure, certainement pas puisque les surréalistes recherchaient une forme d’existence concrète et vivable et exploraient pour cela tous les domaines de l’humain.
Dans son texte poétique « Qu’est-ce que le surréalisme », le second auteur, Kari Saviniemi, reprend l’interrogation sur le sens de l’aventure surréaliste et donne une réponse à l’instar des surréalistes mêmes : « le surréalisme est un cosmos en pleine explosion sur les plaines de la conscience ». Et Kirsi Kunnas, dans « Lumière du surréalisme », définit le mouvement comme une manière de regarder et de voir à la fois vers l’extérieur et l’intérieur : « c’est comme traverser un miroir à double face ».
Dans la deuxième partie sont présentés deux peintres surréalistes :
D’abord Otto Mäkilä (1904-1955) par Ulla Vihanta. Pour qualifier l’artiste, l’auteur reste prudent quant à l’utilisation du terme de surréaliste. Bien qu’il fût le seul artiste à représenter la Finlande à l’exposition Surrealism i Norden (Surréalisme du Nord) de Lund en 1937, le critique d’art Vehmas remarqua que les caractéristiques surréalistes de la peinture de Mäkilä se situaient en dehors de celles du mouvement de Breton, à savoir un idéalisme qui défend les aspects spirituel et intellectuel de l’art ainsi qu’un certain néoromantisme. Le « surréalisme spiritualiste » de Mäkilä – appelé par certains « symbolisme fantastique » - a grandi dans une atmosphère de mélancolie annonciatrice de la seconde guerre. Son art exprime la souffrance d’un sage influencé par Schopenhauer et Maeterlinck et sa critique avait une autre cible. Mäkilä n’a jamais perdu confiance dans la culture et s’est dressé contre un monde qui avait oublié l’enchantement de l’Antiquité, sa simplicité noble et sa grandeur silencieuse. Pour lui, la vie était devenue un désert stérile et sa source s’était tarie pour de bon. Sa pensée marquée par l’ironie, le hasard, l’absurde se trouve déjà « contaminée » par l’existentialisme d’après-guerre. Il semble qu’il ait assez mal connu le surréalisme malgré un voyage à Paris entrepris au début des années 30, mais sans établir de contacts véritables avec les surréalistes. Sa succession contient peu de documentation relative au surréalisme européen. En 1945, dans une interview, il précise : « Je ne veux pas me figer dans le surréalisme, mais si mon état d’âme l’exige, je ne l’éviterai pas non plus. » L’essentiel dans l’acte artistique est pour lui l’effort vers le nouveau et l’expression de ce nouveau.
Le second : Juhani Linnovaara, prit connaissance du surréalisme probablement dans les années 50, appréciant particulièrement Dali et Miró. S’il affirme : « dans tout ce qui m’a plu artistiquement, il y a une espèce de surréalisme, avec sa part de mystère et d’inexplicable », il fut surtout sensible à l’art médiéval : les peintures de Bosch, Dürer et Memling, Bruegel qu’il découvrit lors de ses voyages en Europe ; ils « étaient les premiers « surréalistes » que je voyais – et probablement les plus importants pour moi. »
L’ouvrage se termine sur un choix de textes poétiques : à l’exception des poèmes des auteurs décédés, les poèmes ont été pour la plupart choisis par les auteurs eux-mêmes, sommairement présentés à la suite des poésies.