Bruno Pompili, Strabismi 2. Leggere e scrivere
Compte-rendu par Lucrezia Mazzei
Bruno Pompili, Strabismi 2. Leggere e scrivere, Crav–B.A. Graphis, Bari 2008, 248 p.
Cet ouvrage en italien, qui a la même conception éditoriale que le premier tome, recueille des essais et des articles publiés par l’auteur, professeur à l’université de Bari, entre 1970 et 2004, dans des revues dont les numéros sont parfois difficiles à repérer.
à côté de plusieurs problèmes en relation avec les avant-gardes et des personnalités plus célèbres qui ont marqué l’histoire du surréalisme en particulier (Aragon, Breton), on retrouve des auteurs qui sont longtemps demeurés des écrivains « secrets », pour lesquels l’auteur a toujours eu la plus grande estime et affection (Duprey, Savinio, Courtot) et qui ont fait l’objet d’une quête courageuse, passionnée et originelle de sa part.
La consécration littéraire qu’ils atteignent aujourd’hui dans les oeuvres monographiques et anthologiques, tout en confirmant l’acuité de ses réflexions, ne suffit pas à elle seule à rendre compte de la valeur d’actualité des écrits de Bruno Pompili. C’est dans la double articulation de l’écriture et de la lecture que réside l’apport le plus fructueux de son ouvrage.
Convaincu, comme l’était Breton, que la médiocrité de notre univers dépend de la faiblesse de notre pouvoir d’énonciation, l’écriture qu’il aime et qu’il détecte n’est pas celle qui se limite à exprimer un noyau de pensées et de sentiments communs, à refléter le système de valeurs et l’organisation d’une société : sous cette forme figée, la parole est la pire des conventions. L’écriture, pour Bruno Pompili, doit viser haut et entreprendre une opération de grande envergure portant sur le langage, sur ses préstiges secrets et ses pouvoirs de révélation. Comme le fait remarquer Marc Eigeldinger, cette opération présente de nombreuses affinités avec les pratiques ésotériques. De même que l’alchimiste poursuit sa recherche à partir de la matière originelle, correspondant à l’état de la dissolution des substances, le poète est en quête de la matière première. À l’instar du mage, il se consacre à « procurer l’émancipation définitive du Verbe de l’humanité », comme le dit Éliphas Lévi. À travers le magnétisme des métaphores et des symboles, l’imagination remet toujours en cause les modalités expressives et les données du monde concret, car créer de nouveaux rapports entre les mots, c’est suggérer de nouveaux rapports entre les choses[1].
Si l’écriture est magique, la lecture doit le devenir aussi : elle doit consister à inventer des parcours, à les répéter jusqu’à en épuiser les possibilités de découverte. Lecteur généreux, Bruno Pompili cherche toujours à ne pas démériter de la confiance d’un auteur à l’égard de celui qui accepte ou choisit de lire. Disponible aux variables souvent compliquées des styles, il essaye de combler les blancs derrière les mots, il prête de la compréhension à de brusques tournants de la syntaxe.
S’initier à la vraie poésie est une expérience qui comporte des risques : elle est l’objectivation d’un désir et d’un rêve. Sa valeur réside dans sa capacité de communiquer la magie par laquelle elle-même a été générée. La lecture déchaîne un lent procès de modification intérieure, dont les répercussions sur le monde extérieur sont inévitables, compte tenu du principe de continuité existant entre la vie intérieure et la vie extérieure, principe que le Surréalisme à toujours fait sien.
Bruno Pompili va jusqu’à considérer la relation entre écriture et lecture comme un projet utopique, en tant que projection sur un temps long, d’un projet organique assimilable aux rythmes et aux modèles de développement de l’être biologique, dont il adopte les rapports fondamentaux, ceux qui président à son évolution.
Lire et écrire sont pour l’auteur deux actions contigües et celui qui, comme lui, exerce l’une et l’autre, hésite, perd souvent la mise au point : les mots, les syntaxes rythmiques, comme les passions alternantes, deviennent alors strabiques; mais c’est justement l’adoption d’un regard strabique qui permet d’ouvrir de larges perspectives à l’exégèse.
- Cf. Marc Eigeldinger, « Poésie et langage alchimique chez Breton », Lumières du mythe, Presses Universitaires de France, Paris 1983, p. 181.