Littérature n° 16, septembre-octobre 1920
SOMMAIRE | |
Pierre Reverdy | Poèmes |
Jean Giraudoux | Suzanne seule à l'île de Pâques. |
Tristan Tzara | Poème. |
André Breton & Philippe Soupault | S'il vous plaît (pièce en 3 actes). |
Jean Paulhan | Si les mots sont des signes (fin). |
CHRONIQUE |
LITTÉRATURE
16 SOMMAIRE
PIERRE REVERDY POEMES
JEAN GIRAUDOUX SUZANNE SEULE A L'ILE DE PAQUES
TRISTAN TZARA POEME
ANDRÉ BRETON ET PHILIPPE SOUPAULT S'IL VOUS PLAIT (pièce en 3 actes)
JEAN PAULHAN SI LES MOTS SONT DES SIGNES (fin)
CHRONIQUE
par P.DRIEU LA ROCHELLE, LOUIS ARAGON, BENJAMIN PÉRET, PAUL ELUARD, PHILIPPE SOUPAULT, GEORGES RIBEMONT-DESSAIGNES, EZRA POUND.
DEUX FRANCS
DIRECTEURS
Louis ARAGON, André BRETON, Philippe SOUPAULT.
Rédaction : 41, Quai Bourbon, Paris (4e).
Administration : AU SANS PAREIL, 37, avenue Kléber, (16e).
PRIX DU NUMÉRO :
France : 2 francs ; - Etranger : 2 fr. 50.
ABONNEMENTS
Les 12 numéros : 20 fr. pour la France ; 25 fr. pour l'Etranger.
Il est tiré à part 10 exemplaires sur Hollande Van Gelder dont l'abonnement est de 60 fr. pour la France ; 80 fr. pour l'Etranger.
(La première année de LITTÉRATURE (12 numéros) : 20 fr.)
AU SANS PAREIL, 37, Avenue Kléber, Paris (16e)
TÉLÉPHONE : PASSY 25-22
PROCHAINES PUBLICATIONS
MAX JACOB
Le Laboratoire Central
Un vol. in-18 jésus.
GEORGES RIBEMONT-DESSAIGNES
L'EMPEREUR DE CHINE
Pièce en trois actes.
LE SERIN MUET, un acte.
Un vol. in-18 jésus.
Il a été tiré de ce numéro 10 exemplaires sur Hollande Van Gelder
N°
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POEMES
L'AMI DE L'HOMME OU PARASITE
En arrivant il entra les pieds joints, le front un peu trop haut - l'œil prenant la mesure des lignes du lambris - mais il n'enleva pas sa coiffure.
La marmite n'était pas posée au coin du feu, mais sur un grand fauteuil délabré, près de la table. Pourtant, c'était bien cette odeur... Pourtant l'eau bouillait tellement que quelques gouttes de sang tombèrent sur le tapis brûlant.
Dans la fumée, la marmite et le vieillard qui écrivait se confondirent. Et les pages des livres que ce grand inventeur recopiait furent tachées. Et même toutes les taches tombèrent sur les signatures - ce qui permit au vieillard - ses ongles retournés, son nez crochu, sa dent mauvaise - de les remplacer par la sienne et, et... ce sont les noms de nos meilleurs auteurs. Parfois en se relisant il lui arrivait de rougir. Pourquoi ? Où ai-je déjà vu ces mots, cette famille ? Mais avec le temps, on oublie ce qu'il faut oublier, on ne garde que ce qu'il faut garder.
Le chien remuait en grognant sur le tapis couleur de cendre. Il était si maigre, si réduit que déjà en naissant... s'il n'y avait la foi dans les miracles, quelques amis, des bienfaiteurs aux plus mauvais tournants...
P. 2
Bref il trouva des fruits assez mûrs à cueillir tout le long du chemin. Et quand il eut assez mangé les fruits des autres, il se crut lui-même un arbre. Mais un bien vieil arbre, un pauvre chien couché au pied d'un arbre - l'ami de l'homme.
Mais pour moi rien n'est une affaire de temps, ni de sentiment - mais de race.
Et il sortit le front toujours trop haut, les deux pieds joints, la tête encore couverte.
LE ROCHER BLANC
La pluie - la plus grosse fleur gonflée d'orgueil, de pierreries. Goutte à goutte l'or jaune des prairies, le rouge vif des revers soulevés par le vent et le long des chemins, des bordures des champs.
On se demande où finit ce creux entre les souches d'arbres et les couches du temps. Avec patience, les cris qui traversent les branches se font entendre loin. Les appels désolés cachés dans l'air et tout ce mouvement dans les soupentes. Le mélange et les écarts de pas sur ce terrain sec et résonnant.
Sous la pierre c'est l'ombre molle et peut-être un animal vivant. Car dans cet espace tout est comme la main et l'œil - tout se comprend.
LE VIEIL APPRENTI
Dans le bar - à travers les filets transparents du dégel - toutes les lumières s'étouffent et, peu à peu, le jour éclate, le jour naturel qui sort de chacune des bougies qui s'éteignent.
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Alors on voit la figure véritable du cocher traqué par les rôdeurs.
C'est le secrétaire du concierge (n° 7 dans les rayons de la police) qui conduit tous les autres numéros rangés le long du mur.
De loin c'est un épouvantail de basse taille en redingote flottante, acceptée d'office parmi d'autres aumônes, et en pantalon de velours, genre ouvrier d'art, maculé de céruse fraîche.
De près, mon Dieu, c'est toujours ce chiffonnier, ce même brocanteur, cette lignée de nez crochu et de commerce des vieux livres rognés et revendus pour neufs avec un nom supposé en signature.
LA PEAU DE NEGRE
Doucement la poudre de saveur, couleur des fonds tombe sur la moulure égratignée du cadre.
La tempête se déchaîne trop haut pour troubler le calme des buissons, des parcs lumineux et des sombres racines. La pierre - la pierre bouge en suivant le crapaud et c'est l'immensité, la densité, la lourdeur du sol sous le pas.
L'œil se détache peu à peu de cette terre - les dessous humides s'unissent et là où on ne mesure plus la profondeur il y a des rencontres imprévues, des sauts de joie, des regards pleins de haine.
Il nous manque encore du soleil.
Tout le monde est venu dans ce coin, ce recoin. Les plus noirs, les plus mous, les plus vagues sont venus de plus loin - mais... les instruments de la fanfare éclatent, le chef d'orchestre tombe, les fenêtres qui
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s'épanouissent et les fleurs se noient dans un nouveau silence, car ici il n'y a pas d'autre air que le silence.
Le morceau continue.
TROIS ETOILES
Dans le fond de la fosse au lieu d'un ours sévère - un vieux renard.
Ce qui surprend d'abord les touristes venus pour visiter cette guérite de gardien de square au ras du sol et même un peu au-dessous du niveau de la terre - c'est la couleur du ciel, du carré de ciel qui couvre la colline.
Puis ce sont les vêtements masculins de cette étrange femme un peu trop vieille.
Enfin tout est un sujet d'étonnement pour les visiteurs de l'inventeur.
Pourtant il faut encore lire la pancarte et laisser des arrhes sur les pourboires dus.
Car tout ici s'entretient de pourboires - même l'animal qui tient les barreaux de la cage - même l'homme qui soigne l'animal.
Mais la nuit l'homme, la femme, l'animal - c'est une illusion - il n'y a plus que le marchand de cartons peints qui, sur le seuil, fume sa pipe.
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LE BRUIT DES AILES
Sur la même pente
sur le même rail
l'arrêt de mort
le lac qui penche
Un miroir à cette heure où la montagne se balance
Sur deux bancs les noms inscrits représentent des hommes et ces deux hommes se regardent
Pourtant les yeux vides laissent entrer et sortir des lueurs
Contre le mur des larmes coulent
Et
entre les arbres réguliers
sous les premières branches
les formes passent
Derrière les troncs des arbres réguliers
les formes se cachent.
Et toutes les phrases qui arrivent jusqu'au bord des bancs viennent des feuilles
qui remuent sans que soufle le moindre vent.
PIERRE REVERDY.
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SUZANNE SEULE A L'ILE DE PAQUES
J'avais résolu de nager aussi jusqu'à la troisième île, malgré son aspect. A sept ou huit encablures, inculte comme un cuirassé, elle scincillait ses deux sœurs. Pas un arbre. Le vent soufflait sur elle les pollens par cueillerées, les duvets de tournesol par quarterons, et ces oiseaux à bec long par qui se marient les palétuviers, et ces insectes gonflés de graines de fraisiers qui remplacent en Polynésie le marcotage, - mais on la sentait stérile. Négresse près des deux favorites, épouse illégitime du Pacifique, elle n'avait pas non plus sa bague en récifs et je n'étais pas sans inquiétude sur l'abordage. A mesure que je nageais vers elle, j'avais déjà assez de connaissance de la mer pour sentir les poissons moins nombreux ; je traversais des zônes d'un liquide qui me supportait à peine, et qui devait être du pétrole, puisqu'en sortant de l'eau, je vis mes tatouages à demi effacés. Je longeai une heure entière une falaise à pic et qui devait être en pierre ponce, puisque mon côté gauche, pour l'avoir effleuré trois fois, redevint blanc comme en Europe ; et par un escalier, un vrai escalier en pas de vis comme ceux qui mènent chez nous dans les caves, je montai, avec l'impression de m'enfoncer, sur la pointe des pieds et les coudes au corps, me gardant de petites sources qui devaient
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être des acides. C'est du dernier escalier que je vis les dieux. Ils étaient alignés par centaines comme des menhirs ; hautes de cinq, de dix, de quinze mètres, d'énormes têtes contemplaient ma tête encore au ras du sol, avec des nez tous froncés comme si tous m'avaient déjà senti monter, des yeux caves dont les plus proches de moi pleuraient de petites larmes sèches qui étaient de petites souris effrayées ; tous surpris dans une opération silencieuse, dont il m'avait semblé surprendre les miroitements, les scintillements. Mais je me sentais rassurée, de n'avoir touché leur île que de mes orteils. Je gravis les dernières marches.
Je les voyais tous de face éclairés de dos par le soleil, leur ombre dans cette revue rangée à leur pied comme un équipement. Tous l'esprit et le corps tendu comme le fils de Footit quand son père lui demande s'il sait que c'est que penser. Tous, à ma vue, se demandant, cherchant en eux s'ils le savaient. Tous poussiéreux comme des marbres de commode, offrant à un Kodak une proie superbe, et au cinéma juste le petit mouvement de leur ombre. Tous, par politesse pour un humain, essayant de m'accueillir par ce qu'ils croyaient la pensée ; celui-ci par un oiseau gris rampant qui le parcourait comme un fou, celui-là par une grenouille dans ses oreilles à rebords qui conservaient une eau plus pure que celle des orchidées ; celui-là, en laissant tomber de son corps géant un petit bras usé. Parfois j'avais l'impression qu'ils se relâchaient de leur immobilité, que là-bas on s'inclinait, qu'ici on remuait. Je poussais un grand cri, et le garde à vous reprenait.
On apprend vite à distinguer les Dieux. Un seul était vraiment beau, un seul m'eût plu, avec une belle
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raie et une belle pomme d'Adam comme en ont à Deauville les joueurs de tennis. Un seul vraiment intelligent, et auquel il eût été doux d'apprendre les quatre saisons, les quatre opérations. Il avait le nez levé, comme un fox. A mon âme un doux mouvement quand mon regard passait de celui qui avait un sourire passager à celui qui avait un sourire éternel. Certains paraissaient faux et truqués comme par des antiquaires, et ainsi que mon ami se campait en face d'une commode Louis XVI, qu'il la jugeait vraie s'il éprouvait il ne savait quelle émotion Louis XVI, je me placais en face de chacun, je le jugeais, j'éprouvais je ne sais quelle horreur calédonienne, quelle tendresse papoue. Certains que je croyais avoir vus déjà, je les retrouvais loin derrière, souriants de leur farce, parvenus à cette nouvelle place par une marche oblique ou droite comme le cheval ou le fou. Tous marqués au dos du même dessin comme un troupeau de dieux appartenant au même homme. Celui-là devinant presque, le plus habile, ce qu'était la pensée ; me parlant par la voix d'un crapaud caché dans sa tête, puis, gâté par le succès, sifflant par un serpent caché dans son pied... Autour de quelques-uns, sans que rien pût faire comprendre cette maternité, le sol couvert d'idoles de quelques centimètres. Tous immobiles encore comme s'il n'y avait qu'un seul dieu caché dans leur armée, qu'il s'agissait pour moi de découvrir, je cherchais, les touchant du doigt, et qu'en fait comme Ulysse recherchant Achille dans le régiment des filles... ; enfin je le trouvai !...
JEAN GIRAUDOUX.
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Lorsque les chiens traversent l'air dans le diamant comme les idées et l'appendice de la méninge montre l'heure du réveil programme
à francis picabia dompteur de la
roulette cendre
à marcel duchamp encore une goutte
de hasard sur la combinaison des désapprécier
prix ils sont hier convenant ensuite tableaux
apprécier le rêve époque des yeux
pompeusement que réciter l'évangile genre s'obscurcit
groupe l'apothéose imaginez dit-il fatalité pouvoir des couleur
tailla cintres ahuri la réalité un enchantement
spectateur tous à effort de la ce n'est plus 10 à 12
pendant divagation virevolte descend pression
rendre de fous pour queu-leu-leu chairs sur une monstrueuse écrasant scène
célébrer mais leur 160 adeptes dans pas aux mis en mon nacré
fastueux de terre bananes soutint s'éclairer
joie demander réunis presque
de a la un tant que le invoquait des visions
des chante celle-ci rit
sort situation disparaît décrit cette 25 danse salut
dissimula le tout de ce n'est pas fut
magnifique l'ascension a la bande mieux
lumière dont somptuosité scène me music-hall
reparaît suivant instant devant s'agite vivre
affaires qu'il n'y a prêtait
manière mots viennent ces gens
TRISTAN TZARA.
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S'IL VOUS PLAIT
ACTE PREMIER
Un salon à 5 heures du soir.
Porte au fond. Fenêtres à droite et à gauche.
Deux fauteuils. Un pouf. Une table basse. Une lampe. Glaces.
PAUL : 40 ans, moustache à l'américaine ; courbé, cheveux gris.
VALENTINE : 25 ans.
FRANÇOIS : 27 ans, rasé.
SCENE I
PAUL. - Je t'aime. (Long baiser).
VALENTINE. - Un nuage de lait dans une tasse de thé.
Silence.
PAUL. - Quelle peine veux-tu que j'aie à choisir entre le passage des Tropiques et dès que tu ouvres les yeux ces aurores plus lointaines qui m'éblouissent ? Le phosphore blanc des lèvres des autres femmes m'avait jusqu'ici rendu l'amour impossible. Incertain de te trouver, j'écoutais la pluie des chevelures heurter les vitres de ma paresse et je n'apercevais au loin que le bouillonnement de l'air mécanique. Il faut avouer que je me suis longtemps laissé prendre aux trompeuses altercations de ce couple rigide : le réverbère et le ruisseau.
VALENTINE. - Parle sans crainte. Ces mots que tu vas dire, je les connais, mais qu'importe ! Voici que notre vie monte lentement avec tes yeux qui me regardent et qui m'oublient. Tu vas encore me bercer de souviens-toi, te souviens-tu ?
PAUL. - Il faut se tenir à une certaine distance du mur pour éveiller l'écho. Avec tous ceux que nous aimons, l'espoir est d'arriver les bras tendus à entourer le tronc de cet arbre supra-terrestre.
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VALENTINE. - Les mille et une nuits se fondent dans l'une des nôtres. J'ai rêvé que nous nous noyions.
PAUL. - Il y a longtemps que la charmante statue qui domine la Tour Saint-Jacques a laissé tomber la couronne d'immortelles qu'elle tenait à la main... Comment te plais-tu dans ton nouvel appartement ?
VALENTINE. - Le bureau de mon mari donne sur le Jardin du Palais-Royal.
PAUL. - Ah oui ! le jeu de barres.
VALENTINE. - Méchant. Et ces miettes de pain aux oiseaux : la solitude ? Les contrées de l'imagination sont d'un vaste !
PAUL, surprenant dans la glace un de ses propres jeux de physionomie. - C'est très justement qu'on a comparé certains regards à l'éclair : ils font apparaître les mêmes branches brisées, les mêmes jeunes filles blondes appuyées à des meubles noirs... Tu es plus belle qu'elles.
VALENTINE. - Je sais. Tu aimes les châtaignes étincelantes qui se fondent dans mes cheveux.
Silence.
PAUL. - L'as-tu entendu rentrer ?
VALENTINE. - La morale courante ; on pense à l'eau courante.
PAUL. - Le charme est dans cette chanson liquide admirable, l'épellation des enfants du catéchisme. Au besoin, de quoi parlez-vous ?
VALENTINE. - Une patience d'ange. J'ai une patience d'ange. Il louerait une villa, un pied-à-terre pour la saison. Beaucoup de lierre. Comme les autres hommes, il est tour à tour l'esclave de sa fatigue et de sa joie. (Arrangeant un pli de sa robe.) Ma robe te plaît ? (Il s'approche.)
PAUL. - La boîte des bras à l'intérieur de peluche bleue.
VALENTINE. - Amour.
PAUL. - La chair ou les perles. Scaphandrier dans les ondes de cristal. Tout ce qui tient à un fil.
VALENTINE. - Le paradis commence où bon nous semble. Le jour gris ardoise a des cornes d'autos bleues, la nuit on vole sur une palme argentée.
PAUL. - Que fais-tu demain ?
VALENTINE. - Les grands magasins seront ouverts : la jeunesse de tant de femmes.
PAUL. - A l'inspecteur qui se tient debout près de la porte : “ L'ascenseur, Monsieur, s'il vous plaît ? ”
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VALENTINE. - Le sourire des vendeurs. Une toute autre coqueterie.
Silence.
A quoi penses-tu ?
PAUL. - La douceur de vivre. Tout le monde s'en mêle. Les fils de la Vierge à hauteur de visage d'hommes, le chant des capitales.
VALENTINE. - Tu ressembles à ces employés qui, à l'arrêt des trains, passent avec un marteau le long des roues.
PAUL, distrait. - Je me suis souvent demandé quelle peut être en rapide et en amour la vitesse des mouches qui vont de la muraille arrière à la muraille avant du compartiment à couchette ou autre. (Revenant brusquement à elle.) Tu n'as pas froid ?
VALENTINE. - Quelle heure est-il ?
Silence.
Paul, mon bonheur est doux comme les oiseaux affamés. Tu peux jouer en baissant les paupières ou en fermant les poings. Je consens à être désespérée. J'ai tellement pensé à toi depuis l'autre jour !
PAUL. - Parle.
VALENTINE. - Les mots brillants que je voudrais dire filent au ciel comme les étoiles que tu regardais. Tu ne veux plus rire ? Lorsque tu es loin de moi, c'est ton rire que j'entends d'abord.
SCENE II
FRANÇOIS entre les mains tendues. - Chers amis, je viens vous faire mes adieux. (A sa femme.) C'est dommage qu'une promenade à Genève ne vous ait pas tentée. Je ne me console pas de partir seul.
VALENTINE. - Mon ami, je suis si fatiguée.
FRANÇOIS. - Plus fatiguée ?
VALENTINE. - Oui. Des vertiges. Ma tête est comme ces appareils qui sonnent annonçant le prix de la marchandise achetée. Je suis perdue dans ces parages. Avant l'arrivée de Paul, un rayon de soleil tombant sur la plante verte me tenait en haleine comme un roman d'aventure.
FRANÇOIS. - Vous devriez prendre une tasse de tilleul avec du cognac. Quelquefois j'ai des malaises semblables. Eh bien, je me fais faire une infusion bien chaude de tilleul et j'y verse
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quelques gouttes de cognac. C'est très efficace. Ne voulez-vous pas essayer ?
VALENTINE. - Non, je vous remercie, ce ne sera rien. Je vais déjà mieux. Je vous en supplie, qu'on ne s'occupe pas de moi, je me trouve déjà si ridicule.
PAUL. - Il n'y a rien là de ridicule. Voulez-vous que je sonne ?
VALENTINE. - Ne vous dérangez pas.
PAUL. - Vraiment ?
VALENTINE. - Vraiment.
FRANÇOIS. - C'est égal, une petite tasse de tilleul avec un peu de cognac ne vous ferait pas de mal.
Silence.
VALENTINE. - A quelle heure votre train ?
FRANÇOIS. - 19 heures 33.
VALENTINE. - Votre adresse.
FRANÇOIS. - Hôtel Bristol, Genève. J'espère que vous n'allez pas trop vous ennuyer. (A PAUL.) Tâche de la distraire. (Lui prenant le bras.) Je compte sur toi, mon vieux.
VALENTINE. - Qu'est-ce que tu vas faire là-bas ?
FRANÇOIS. - Te souviens-tu de Jean Le Houilleur ? Depuis longtemps, je devais aller le voir. Il a été mon meilleur ami.
VALENTINE. - Vous m'en avez souvent parlé.
FRANÇOIS. - C'est vous qui m'avez encouragé à partir, et je le regrette presque maintenant. Il m'est si facile de ne penser qu'à nous. Si seulement vous consentiez à quitter Paris ! C'est donc bien difficile de renoncer à ces courses, à ces soirées ? Je voudrais tant faire revenir le rose sur ce visage, ne plus vous voir ces yeux cernés.
VALENTINE. - A vous croire, bientôt ma vie serait en danger.
PAUL. - Cela passera. Ce sont les nerfs.
Silence.
FRANÇOIS, se lève, fait quelques pas s'arrête encore devant VALENTINE. - Demain, à cette heure-ci, je serai loin de vous. Ce sera la solitude douce et chaude. Il me semblera que je vous ai quittée depuis des semaines, depuis des mois, depuis des années. Les gens parleront et s'agiteront. Dire que la caresse de l'eau sur la berge m'émeut et m'attendrit déjà ! De la terrasse de mon hôtel, je vois passer sur le lac des voiles blanches. A l'heure où le soleil se couche, ce paysage m'enivre. Après avoir été tout le jour le grand lac silencieux, il devient au
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moment du crépuscule une contrée féerique et surnaturelle.
On frappe.
VALENTINE. - Entrez.
Entre un domestique.
LE DOMESTIQUE. - Monsieur, la voiture est en bas.
FRANÇOIS consulte sa montre.
VALENTINE. - Il ne faut pas vous mettre en retard.
FRANÇOIS. - Oh ! j'ai le temps.
Le domestique sort.
FRANÇOIS (changeant de ton). - Si je télégraphiais à Jean qu'il ne m'attende pas ?
Silence. Il paraît hésiter.
PAUL. - Reste donc.
FRANÇOIS. - On revient constamment sur ses pas, chose bien excusable. Je sais trop que pour moi la réalité est ici, dans cette amitié qui est la vôtre et l'incertitude dehors parmi les becs clignotants et les visages affairés. (VALENTINE se dirige vers la fenêtre, y demeure jusqu'au début de la scène suivante le front appuyé contre la vitre). Les gares sont de grandes tentations auxquelles on résiste tant qu'on peut. Sur quoi reposer les yeux quand qu'elles ne sont plus ? On n'emporte pas un souvenir, pas un morceau de papier peint. Rien que la sécheresse de l'indicateur et la faculté de lier conversation avec le premier venu. (Soupir) Ah ! (Appelant) : Valentine !
VALENTINE. - Quoi ?
FRANÇOIS, les bras ouverts. - Je m'en vais.
VALENTINE. - A jeudi. (Elle lui tend le front).
FRANÇOIS, à Paul. - Au revoir, mon vieux. (Poignée de mains).
SCENE III
Silence. Valentine est toujours à la fenêtre. La porte se ferme.
PAUL, appelant - Valentine !
VALENTINE. - Quoi ?
PAUL. - Une porte se ferme et notre vie commence.
VALENTINE, allant à lui. - Je connais cette voix fausse comme les nuages. (Bruit d'auto-qui s'éloigne).
PAUL. - Tu n'as donc pas compris que tous ces gestes, que tous ces mots qui s'approchent de toi meurent si tu ne les accueilles pas.
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VALENTINE. - Regarde moi et je croirai aux tristesses de chaque oui, aux réveils pénibles comme le sable.
PAUL. - J'ai le droit de te mentir.
VALENTINE. - J'ai vu dans chaque reflet mon image et j'ai peur de ne pas te croire. Tu mens ? Et je veux que tu me dises non.
PAUL. - A quoi bon ! Tu sais bien qu'il faut que tu souffres. Un jour, une heure, comme un arbre isolé dans la campagne de ton enfance, vaut bien tous ces mois lointains qui ne sont que demain. Le doute s'appuie doucement sur toi et tu l'abandonneras comme une ingrate.
VALENTINE. - Je vais retrouver l'air et le froid et je saurai enfin que tu n'es plus là.
PAUL. - Je ne suis sincère que quand je puis te mentir. Les paroles que tu aimes, je les sais par cœur.
VALENTINE. - Parle, je t'en supplie. Chaque silence dévore nos minutes. Mon cœur bat comme à l'arrivée des trains. Je suis la route de mes rêves. Le but est tout proche. Nous n'allons pas tarder à nous séparer et le sommeil s'étend autour de nous.
PAUL. - Ecoute...
VALENTINE. - Tu souris...
PAUL. - Mon sourire, je ne puis le fuir. Il s'impose à mo comme un songe.
VALENTINE. - Est-ce que nous savons pourquoi je souffre ? Je ne sais même pourquoi je tremble. J'ai peur. Tu m'écoutes ?
PAUL, sec. - Oui, parfaitement.
VALENTINE. - Je voulais te dire...
PAUL, même jeu. - Quoi ?
VALENTINE. - Tu sais. Pourras-tu souvent venir nous voir ?
PAUL, même jeu. - Je ne sais pas. Nous verrons.
VALENTINE. - Je voudrais te quitter tout de suite et ne plus entendre tes paroles qui tombent lourdement sur moi. Le bruit de tes pas me fait mal.
PAUL. - Tu es si loin !
VALENTINE. - Je suis près de toi comme la terre.
PAUL. - Il faut s'éloigner et ne pas regarder derrière soi. Il s'agit de bien autre chose. La tendresse ne nous appartient pas : c'est ce vague brouillard qui ne suffit pas à cacher le sang qui coule dans nos veines et la souffrance de nos mains.
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VALENTINE. - Ma tête se penche ; mes yeux se ferment. Je voudrais être l'horizon que tu n'atteindras jamais. Je sentirais ton désir douloureux et tes regards.
PAUL. - L'Occident s'approche. Les jolis clairs de lune que l'on donne à notre naissance, ce sont ceux dont tu parles. Le ciel est beau, dis-tu, (regardant du côté de la fenêtre) ce n'est jamais qu'un coucher de soleil.
VALENTINE. - A présent du moins, les larmes savent te toucher.
PAUL. - On aperçoit au loin l'aventure et les destins. C'est trop près encore. Les mois, la couleur des yeux et les reflets des jours de pluie séduisent. Quelquefois, le soir, je retourne mes poches.
VALENTINE. - Sais-tu l'heure vraiment ?
PAUL. - Puisque tu n'oublies que le silence et la moiteur de nos paupières, la soirée peut s'avancer sans que j'y prenne garde. Tout le mystère me laisse calme comme les rameaux que l'on jette sur notre tombe le lendemain et la lumière des veilles, la pluie et le temps gris. Que signifie tout cela et les autres choses ? Ces bruits derrière moi, crois-tu que je les redoute ? Je préfère lire sur ton visage les joies imaginaires et les tristesses que j'ai tant connues. J'ignore mon âge. (Il allume une cigarette).
VALENTINE. - Je t'entends encore. L'épouvantail que tu agites et ces mots qui me font serrer les dents, je les aime comme les dernières secondes de la nuit. A la distance où nous sommes, tes bras me serrent à m'étouffer. Ce qui vient après vaut-il d'être vécu ? Le grand feu de bois qui nous éclaire dans notre chair et qui chante fait tomber de nous comme une écorce des ombres sans volonté. L'amour ne me fait pas peur. Il n'existe peut-être que le désir et je suis enfin la plus forte. Vois de quelle protection je jouis. Tu ne peux rien, en cet instant, contre un seul de mes gestes, regarde. (Elle met les deux mains derrière la tête, légèrement renversée à droite, les yeux fermés. On voit descendre à droite une masse de cheveux.) Que fais-tu de moi ?
PAUL dépose sa cigarette dans un cendrier. Bruit d'auto qui s'arrête devant l'hôtel. PAUL tire lentement un revolver de sa poche, vise à peine. VALENTINE tombe sans un cri. On entend plusieurs coups de sonnette précipités. Très calme. PAUL range le revolver et rallume la cigarette éteinte).
(RIDEAU)
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ACTE DEUXIEME
Un bureau à 4 heures de l'après-midi.
Au mur du fond, une immense carte de France.
Fenêtre au fond. Porte à droite et à gauche.
Machine à écrire sur une table devant la fenêtre. Valise près de la porte.
Téléphone et gros memorandum sur le bureau.
Fauteuils, chaises.
LÉTOILE, 40 ans, rasé, rosette de la Légion d'honneur, lunettes d'écaille.
UNE DACTYLOGRAPHE, brune, jolie.
LEFEBVRE.
UN MONSIEUR.
UNE DAME.
DEUX DAMES QUETEUSES.
UN JEUNE HOMME.
TROIS HOMMES.
DEUX AGENTS.
UN INSPECTEUR DE POLICE.
UN GARÇON DE BUREAU.
SCENE I
LÉTOILE, dictant. - Je vous serais très obligé de me donner votre accord dans le plus blef délai possible. Veuillez agréer, etc.
La dactylographe retourne à sa table et commence à taper.
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SCENE II
LEFEBVRE, ayant frappé plusieurs fois sans obtenir de réponse, ouvre la porte et passe la tête. - J'entre, patron ? (Il entre).
Patron, je n'ai pas perdu ma journée. Voici qui, j'espère, ne vous laissera pas indifférent. Cet après-midi, à Nogent-sur-Marne, j'ai vu des gens s'amuser à mettre en marche deux locomotives garées.
LÉTOILE. - Très bien.
LEFEBVRE. - Le jeu n'a pas été aussi drôle que l'imaginaient les bons plaisants parce que les locomotives ont versé dans un fossé. Sinon elles auraient traversé deux maisons, ce qui eût été le comble de la joie pour les farceurs. (Benoît). Il serait temps de comprendre que toute richesse, toute force particulières contribuent à la richesse et à la force de tous et que c'est s'appauvrir soi-même que de lancer les locomotives dans les rues ou de casser les vitres des wagons quand les trains ont du retard.
LÉTOILE. - Idiot. Va t'asseoir dans la salle d'attente à côté de la femme qui est près de la fenêtre. Empare-toi de son réticule et apporte-moi les lettres qui s'y trouvent. Merci.
LEFEBVRE sort.
SCENE III
LÉTOILE fait un appel téléphonique.
Elysées 40-52. (Un temps). Allo ! l'imprimerie Bellègue ? Ici, Létoile. Prenez un papier. Les épreuves me seront apportées demain soir à six heures. Ecrivez : Au bon vieux temps, dans nos petits villages, quand un habitant avait passé de vie à trépas, le sacristain faisait sonner la cloche de l'église. Pour faire connaître aux habitants l'âge du défunt, il accompagnait son glas de tintements dont le nombre indiquait l'âge du trépassé et l'on disait : “ comme il était vieux. ” Actuellement, si les sacristains des paroisses des grandes villes suivaient cette ancienne coutume, nous entendrions bien plus souvent des tintements peu nombreux et nous dirions fréquemment : “ Hélas ! comme il était jeune. ” On meurt jeune maintenant. La faute en est aux conditions de l'existence qui ont changé. Nous nous surmenons ; la vie trop active épuise nos
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forces. Faisons donc entendre d'autres sons de cloches, ceux-ci joyeux et réconfortants, ce que nous appellerons le joyeux carillon de la paresse, c'est-à-dire l'inutilité des efforts. S'adresser à Létoile, 47, rue du Sentier.
(Toute cette tirade doit être débitée d'un ton cassant.)
LÉTOILE accroche le récepteur.
Il passe un pardessus, relève le col et pose son chapeau sur le bureau ; ensuite il sonne ; on introduit aussitôt un homme d'une quarantaine d'années, distingué.
SCENE IV
(LÉTOILE parle avec chaleur, il ne quitte pas des yeux son interlocuteur pendant toute la scène).
LÉTOILE. - Monsieur, je m'excuse de ne pouvoir vous accorder que quelques instants. J'allais sortir quand on m'a remis votre carte. Veuillez vous donner la peine de vous asseoir.
(Il reste debout.)
LE MONSIEUR. - Hier au soir, ma femme et moi nous rentrions du théâtre. Je dois vous dire que le cabinet de toilette est assez éloigné de notre chambre. Avant de se déshabiller, ma femme pose sur la cheminée son collier et ses bagues. Je me tenais dans le bureau.
LÉTOILE. - Pardon, Monsieur, fumiez-vous ?
LE MONSIEUR, après avoir réfléchi. - Oui, quelques minutes après...
LÉTOILE. - Vous dites quelques minutes.
LE MONSIEUR, troublé. - Enfin, une dizaine de minutes. Les bijoux avaient disparu.
Silence.
LÉTOILE. - J'ai hâte de savoir ce qui me vaut l'honneur de votre visite.
LE MONSIEUR, inquiet. - Vous êtes bien M. Létoile ?
LÉTOILE. - Parfaitement.
LE MONSIEUR. - Je viens de la part de ces affiches dont vous avez fait recouvrir les murs délabrés ou non. Ce sont, en cas de besoin, des promesses plus douces que savoir nager. Chacun sait qu'un Létoile jouit des mêmes facultés que Dieu : il voit tout, entend tout, nul ne s'en doute. Depuis longtemps
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je vous tiens pour le héros de notre roman de chevalerie moderne. Vous allez me tirer d'affaire en un clin d'œil.
LÉTOILE. - Ces questions d'intérêt regardent la police. En toute autre occasion, Monsieur, je me ferai un plaisir de vous être agréable.
Il va ouvrir la porte. Le monsieur se lève, salue et sort.
SCENE V
LÉTOILE retire son pardessus.
LEFEBVRE entre, lui remet des lettres et sort sans un mot.
LÉTOILE range les papiers dans un tiroir.
SCENE VI
On frappe.
Entre le garçon de bureau.
LE GARÇON. - Ce sont deux dames qui demandent à parler à Monsieur pour une bonne œuvre.
LÉTOILE, se frottant les mains. - Faites entrer immédiatement.
Les deux dames entrent. Agées, minables, elles tiennent un petit carnet à la main.
LÉTOILE, sans un mot, leur indique un siège.
Il se renverse dans son fauteuil, allume un cigare et attend. La première dame quêteuse tousse.
LÉTOILE, tirant de grosses bouffées de fumée, d'un ton tranchant. - La fumée ne vous dérange pas.
La dame semble très incommodée.
LA 2e DAME QUETEUSE :
Avez-vous quelquefois, Monsieur, quand vient le soir,
Pris garde à la pauvresse errant sur un trottoir ?
Comme un spectre dans l'ombre, et d'allure furtive,
Vous la voyez passer et repasser, craintive,
Maigre, déguenillée, et pressant dans ses bras
Un pauvre corps d'enfant que vous ne voyez pas :
Cher fardeau qu'un haillon emmaillote et protège
Et qui repose en paix sous la pluie et la neige,
Trouvant, près de ce sein flétri par la douleur,
Son seul abri, sans doute, et sa seule chaleur !
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Elle vous tend la main. Suppliante et muette,
Sous les rayons blafards qu'au loin le gaz projette,
Elle glisse rapide, et, dans les coins obscurs,
Au détour des maisons ou le long des vieux murs
S'approche, d'un regard vous disant sa misère...
LÉTOILE. - Combien voulez-vous ?
LA 1e DAME. - Mon Dieu, Monsieur, ce que vous dictera votre cœur.
LÉTOILE ouvre un tiroir et leur tend un billet sans un mot.
Les deux dames se confondent en remerciements, rangent l'argent et font mine de se retirer.
LÉTOILE. - Un instant. (Il sonne).
Entre le garçon de bureau.
Allez me chercher immédiatement deux agents.
(Aux deux dames). Vous vous expliquerez au poste.
LES DEUX DAMES (interloquées). - Mais, Monsieur, pour qui nous prenez-vous ?
LÉTOILE. - Oui ou non, êtes-vous des voleuses ?
LA 1e DAME, tirant une carte de son sac. - Nous sommes autorisées par la Préfecture de Police.
LÉTOILE, qui a examiné la carte avec soin. - En ce cas, vous allez me rendre ces cinq cents francs.
Les dames tremblantes s'exécutent. LÉTOILE froisse le billet en les regardant et le jette au feu.
Les dames, décontenancées, se sont assises.
Silence.
LÉTOILE déplie un journal.
Les dames se retirent l'une derrière l'autre. La première laisse tomber le carnet que la seconde ramasse.
SCENE VII
On introduit une dame portant une voilette.
LA DAME. - Monsieur, je désirerais vous parler personnellement.
LÉTOILE. - Bien, Madame. (Se tournant vers la dactylo) Mademoiselle, vous sténographierez notre conversation. (Péremptoire) Je vous écoute, Madame.
LA DAME (elle tient un mouchoir à la main.) - Voici à peine un an que je suis marié et je comprends que très loyalement mon mari aime une autre femme. Il ne le sait pas encore lui-même
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sans doute, mais mieux que quiconque je mesure l'abîme prodigieux qui déjà existe entre nous. Il ne s'agit plus que de me sacrifier. (Silence ; quelques larmes). C'est pour cela simplement que je suis venue vous trouver. Il faut que je me sépare de mon mari. Je lui ferai don de son indépendance.
LÉTOILE. - Vous êtes absolument décidée à divorcer ?
LA DAME. - Absolument.
LÉTOILE. - Vous croyez sans doute faire le bonheur de votre mari. Quelle erreur ! Il est faux que l'homme soit d'autant plus heureux qu'il est plus indépendant. Le bonheur est fait d'équilibre ; il implique des habitudes, une discipline, bref un frein au besoin de jouissance. Si les deux époux ne se sentaient pas tenus par une autorité plus forte que leur caprice, la facilité qu'ils éprouveraient à se séparer leur rendrait la moindre contrariété intolérable. La liberté est belle comme le soleil, mais il ne vous appartient pas d'arracher votre mari à ses habitudes. Chaque chose à sa place est une liane plus douce que l'haleine des femmes. Tout ce qui est aujourd'hui, le pli d'un rideau, la lumière dans ce même coin, est donc définitivement mort pour lui. Il ne lui reste plus qu'un souvenir qui le poursuivra comme une chauve-souris... Vous pouvez compter sur moi, Madame : dans deux mois environ, le divorce sera prononcé en votre faveur. Je vous convoquerai pour les formalités indispensables.
LA DAME, qui donne des signes d'inquiétude depuis un moment. - Ecoutez, Monsieur, je vais encore réfléchir, je vais voir.
LÉTOILE, sec. - Je ne vous le conseille pas. Réfléchir, c'est toujours revenir sur ses pas.
LA DAME. - Je ne sais plus que faire. (Larmes).
LÉTOILE, énergiquement. - Vous n'avez rien à faire. Signer quelques pièces uniquement.
Il se lève. La dame à son tour se lève, indécise. Elle sort.
SCENE VIII
LÉTOILE. - Mademoiselle. (Il dicte).
Office de Publicité, 40, rue Richard Lenoir.
100,000 FR. DE RÉCOMPENSE.
Un vol mystérieux a été commis ces jours derniers, à Paris, dans la pension de famille Chardin-Lamothe, 172, boulevard Pereire. Un coffret, garni de pierres précieuses d'une valeur inestimable, a disparu dans des circonstances très graves. A la ligne.
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On soupçonne deux jeunes femmes voyageant sous les noms d'emprunt de Marcelle de Sivry, d'une part, et Blanche Valfort, dite La Mariole, d'autre part, être les auteurs du délit. A la ligne.
L'audace méritant plus que jamais d'être encouragée, on tient à leur assurer une carrière brillante. Toute personne qui aidera à retrouver leurs traces pourra faire valoir ses droits à la récompense promise en s'adressant à M. Létoile, 47, rue du Sentier. Point.
(Il sonne).
SCENE IX
Le garçon entre et pose sur le bureau un vase avec des fleurs. LÉTOILE en place une à sa boutonnière. On introduit un jeune homme, moustache blonde frisée, souriant.
LÉTOILE, après lui avoir serré la main. - J'ai peut-être ce qu'il vous faut. Enchanté de vous être utile à quelque chose. Vous m'êtes vraiment sympathique.
LE JEUNE HOMME. - Ses yeux, de quelle couleur ?
(Il reste debout. LÉTOILE s'appuie légèrement au bureau).
LÉTOILE. - Ah ! l'on dit que notre société se perd, mais des organismes comme le vôtre me répondent de sa santé. En vous comme en la femme que je vous destine, je distingue les éléments d'une force qui trouvera à s'exercer intégralement dans le mariage. Jeune homme, vous témoignez d'une grande sagesse : la vie est une route qui en lacets se déroule, les panoramas y sont variés et le voyageur aime à communiquer ses impressions. Si le chemin est monotone, à deux il est moins long. Si plusieurs sentiers se préscntent, on prend conseil l'un de l'autre et si quelque difficulté surgit, on s'encourage et l'on franchit mieux l'obstacle. En chantant, les deux compagnons gravissent le premier versant de la colline ; lorsqu'arrive la vieillesse, appuyés au bras l'un de l'autre, ils descendent à petits pas la pente opposée, devisant des souvenirs d'autrefois et leur visage s'éclaire d'un sourire éternel.
LE JEUNE HOMME. - Est-elle musicienne ?
LETOILE. - Sous peu de jours ce sera la rencontre dans un endroit public, thé, jardin, théâtre. La présentation par Létoile. Sourires... compliments... quelle heureuse coïncidence ! On a si souvent entendu parler l'un de l'autre ! C'est charmant.
LE JEUNE HOMME, attendri. - Monsieur Létoile, comment vous remercier ?
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LÉTOILE, lui serrant les mains. - Vous ne me devez rien, mon ami, c'est de bon cœur.
SCENE X
On frappe.
LÉTOILE. - Entrez.
Entre le garçon de bureau.
LE GARÇON. - Monsieur, les agents sont là.
LÉTOILE. - Bien ; faites entrer. (Aux agents). Saisissez-vous de cet homme.
LE JEUNE HOMME. - Que se passe-t-il ? Vous êtes complètement fou !
LÉTOILE. - Résister est inutile. (Aux agents). J'accuse formellement cet homme du meurtre de sa maîtresse, Madame Valentine Saint-Cervan. Ma déposition sera courte. Je vous rejoins au commissariat dans un instant. (Les rappelant.) Emportez cette valise, qui contient les pièces à conviction.
SCENE XI
LÉTOILE se promène un moment de long en large et s'arrête devant la carte de France.
LA DACTYLO. - Monsieur, pourrai-je disposer de mon après-midi de demain ?
LÉTOILE. - Je vous permets d'aller au Bois de Boulogne.
LA DACTYLO. - Merci, Monsieur.
LÉTOILE, la regardant fixement. - Vous êtes belle, mon enfant. (Elle baisse les yeux). Auriez-vous peur de moi ? (Elle s'approche). Est-ce que vous comprenez ce qui se passe ici ? Le fanatisme est une lampe merveilleuse à la clarté de laquelle l'ennui prend des contours inquiétants comme cette carte de France. Vous pensez sans cesse aux amis de rencontre avec lesquels on s'étend sur l'herbe ou on devise en riant. Je n'y vois d'autre inconvénient que cette grande poussière soulevée par les autos sur la route.
LA DACTYLO. - Nous avons eu aujourd'hui un temps superbe.
LÉTOILE. - Il m'arrive de faire les cent pas pendant des heures entre deux numéros de maisons ou quatre arbres d'un square. Les promeneurs sourient de mon impatience, mais je n'attends personne.
LA DACTYLO. - Je ne vous oublierai jamais.
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LÉTOILE. - L'oubli comme le vent assemble les feuilles sur le pas des portes, puis les chasse.
LA DACTYLO. - Il y a d'autres tourbillons, la griserie des soirs de fête et les ordres contradictoires que vous donnez. C'est comme à l'approche de minuit les bras du plaisir, quand l'inquiétude de la mère et des frères cesse de compter, qu'on perd toute notion de la faute et qu'on s'adosse les yeux fermés au tuteur d'un arbre. Tout semble alors finir ; il n'y a pas à craindre d'être réveillée. Les grands magasins de la Ménagère pourraient prendre feu ; toutes les prières pourraient venir : le paradis terrestre est loin ; on retourne momentanément au nickel solaire et on participe de cœur aux actes de barbarie qui se commettent en tous les points du globe.
LÉTOILE. - Votre manière de déplier le journal m'enchante, mais ce jeune homme que je viens de faire arrêter ne vous avait rien fait.
LA DACTYLO. - Le hasard épelle les couleurs que nous aimons. Il ne tient pas qu'à nous de jouer notre bonheur sur la verte.
Elle va se blottir dans un angle de la pièce.
LÉTOILE. - L'apparition du danger coïncide avec vos cheveux noirs et ces petites mains sur le mur. (Elle étend les bras contre les cloisons). Qu'est-ce que cela veut dire : Défense de passer ? Les réticences adorables de votre bouche terniraient la palme du martyre aussi aisément qu'une petite glace de poche. Mais il n'y a aucune exaltation dans mon cas. L'action m'importe aussi peu que le reste, et si vous regardez attentivement ma cravate, vous ne croirez pas voir le joli cachemire des illusions perdues.
SCENE XII
LEFEBVRE entre sans frapper.
LEFEBVRE. - Patron, les camarades et moi aurions à vous parler.
Il est suivi de COURTOIS, HIRSCH ET LEVY.
Vous nous avez fait promettre de vous obéir sans discuter, mais on ne peut pas toujours travailler sans savoir ce qu'on fait.
LÉTOILE. - Que voulez-vous que je vous dise ?
HIRSCH. - C'est comme au bagne ici. A la sueur de son front passe de changer de place un tas de pierres, si on n'est
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condamné ensuite au travail inverse. On ne tient pas plus tôt une piste qu'on l'abandonne.
LÉTOILE. - Que vous importe ? N'êtes-vous pas payé ?
COURTOIS. - N'empêche qu'on a honte de voir passer entre ses mains, comme un caissier, tant d'argent inutile. Il est dur de restituer les portefeuilles. Après inventaire, qui sait si ces actes de probité apparente ne finiront pas par avoir raison de leurs auteurs ? (Approbations).
COURTOIS. - L'autre jour, nous nous déguisons séparément sur votre ordre et vous nous faites suivre les uns par les autres.
Agitation.
LÉTOILE se lève et, les mains dans les poches, va regarder à la fenêtre. - Je ne dois aucune explication. Si vous n'êtes pas content, je ne vous retiens pas.
Il se rassied.
Silence.
LÉTOILE. - Lefebvre, soyez aux Buttes-Chaumont à la tombée de la nuit. Tâchez d'inspirer confiance à la première personne que vous verrez s'attarder sur le pont. Trouvez moyen de la conduire ici.
LEFEBVRE interroge des yeux ses camarades.
LÉTOILE. - C'est compris ?
LEFEBVRE. - Oui, patron.
LÉTOILE (à LEVY). - Une goutte d'eau sphérique met deux minutes à tomber du nuage où elle s'est formée. En admettant qu'avant sa chute elle se soit divisée en dix gouttes sphériques égales entre elles et indépendantes, quel temps aurait mis ce paquet de gouttelettes à tomber ? J'ai besoin de le savoir aujourd'hui même. (Aux deux autres). Je vous remercie.
Ils sortent.
SCENE XIII
Sonnerie du téléphone.
LÉTOILE (à l'appareil). - Allo ! oui, c'est moi... Pas mal merci... Rien... Plus tard ? Est-ce qu'on sait... J'ai vu depuis longtemps tous les arbres perdre leurs feuilles... Là-bas c'est tout ce qu'on rêve, mais là-bas n'existe pas. Il n'y aura jamais qu'ici... Je regarde les gouttes de pluie qui sont toutes les secondes de ma vie couler le long des vitres... Les heures qui ne reviendront jamais plus semblent être des siècles... Tant
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mieux ! Les joies que j'ai le plus longtemps désirées je n'en veux plus, parce qu'elles sont à portée de mes deux mains. Je connais demain, après-demain et tous les autres jours... L'avenir est cette même glace que l'on a toujours devant les yeux... Les oreilles bourdonnent : ce sont les cloches de l'orgueil...
SCENE XIV
Entre précipitamment LEFEBVRE.
LEFEBVRE. - La police, patron, vous n'avez que le temps de fuir.
LÉTOILE, lointain. - Tu êtes sûr de ce que tu dis ?
On frappe.
LÉTOILE. - Qui est là ? (silence) Entrez.
L'INSPECTEUR. - Monsieur Létoile ?
LÉTOILE. - C'est moi-même.
L'INSPECTEUR. - Je suis porteur d'un mandat d'arrêt contre vous. Veuillez me suivre.
LÉTOILE. - Le temps de donner un ordre, je suis prêt.
L'INSPECTEUR. - Vous êtes inculpé...
LÉTOILE. - Qu'est-ce que vous voulez que ça me fasse ?
(RIDEAU)
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ACTE TROISIEME
Un café à trois heures de l'après-midi.
Portes au fond et à gauche.
Horloge à droite. Deux joueurs sous l'horloge.
MAXIME, 30 ans, blond, barbe en pointe.
GILDA, grue.
UN MARCHAND ALGÉRIEN.
Au lever du rideau, les joueurs posent en silence les cartes sur le tapis. GILDA, ailleurs, boit une liqueur rouge. Il pleut.
SCENE I
Le garçon passe et essuie une table quelconque. Il soulève le rideau et regarde dehors.
1er JOUEUR. - Garçon, un demi.
La partie recommence. Le garçon apporte la consommation, s'asseoit au fond de la salle et ouvre un journal. Silence.
2me JOUEUR. - Si j'avais su, je n'aurais pas coupé.
1er JOUEUR. - Vous avez eu tort.
Il bat les cartes. On entend crier “ La Patrie. ” (GILDA tire une petite glace de son sac, se poudre et se met du rouge aux lèvres.
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SCENE II
Entre MAXIME, un parapluie à la main. Il s'asseoit au fond).
MAXIME. - Voyons... donnez-moi un raphaël citron et de quoi écrire.
Il semble chercher ses mots et regarde autour de lui. On voit qu'il prête à GILDA une attention de plus en plus marquée.
MAXIME. - On n'y voit plus. (Il va s'asseoir près de Gilda). Quel temps.
GILDA. - Il pleut.
Silence.
MAXIME. - Vous ne vous ennuyez pas ?
GILDA. - Pourquoi ?
MAXIME. - Vous attendez quelqu'un ?
GILDA. - Non. (Elle sourit).
MAXIME va s'asseoir en face d'elle. - Vous permettez ?
Silence.
GILDA. - Je rêvais que j'étais encore en pension. Je porte une dernière fois ce col de dentelle. On a beau surveiller ma correspondance, un inconnu ce soir escaladera le mur du parc. Il me dira : “ Vous avez pleuré, à cause de la nacre de mes joues. ” La nuit viendra. Bientôt il n'y aura plus que les moulins à vent.
MAXIME. - C'est à prendre ou à laisser. L'élégance intérieure et les actes de désespoir les plus fous. Sortir de l'église en jetant des dragées.
GILDA. - Vous n'êtes pas comme les autres.
MAXIME. - Comment ne pas se dire plusieurs fois par jour : cela ne se retrouvera jamais !
Silence.
GILDA. - Vous n'avez pas achevé votre lettre.
MAXIME. - A quoi bon donner plus longtemps signe de vie ? Il est trois heures et quart et je vous vois.
GILDA. - L'instinct de plaire ressemble à un puits. Croyez-moi, les bagues ne sont rien. Il y a à Paris sur les grands boulevards une pente si douce que presque personne n'a pu s'empêcher d'y glisser.
MAXIME. - Les plus touchantes mappemondes, ce sont les globes argentés dans lesquels le garçon de café range de temps à autre une serviette. Les oiseaux en cage aiment ces petites
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sphères brillantes. Cela revient au même, chanter avec la rue, ou la machine à coudre.
GILDA. - Je connais la liberté par certaines attaches plus fines.
MAXIME. - Le royaume des cieux est peuplé d'assassins. Il y a plus haut une escarpolette qui vous attend. Ne levez pas la tête encore.
GILDA. - Le photographe dit : Ne bougeons plus.
MAXIME. - Je n'ai pas envie de mourir.
GILDA. - On a osé vous faire du chagrin ?
MAXIME. - Je ne crois pas ; je viens d'entrer.
GILDA. - C'est la couleur naturelle de vos yeux ?
MAXIME. - Le coude sur la table comme les méchants enfants. Le fruit d'une première éducation chrétienne est, s'il faut en croire les livres, tout ce qu'il y a de doré.
GILDA. - On trouve, dans les cabanes de pêcheurs, de ces bouquets artificiels où il entre des pervenches et jusqu'à une grappe de raisin.
MAXIME. - Il faut soulever le globe s'il n'est pas assez transparent. La fontaine de l'Observatoire au lever du soleil.
GILDA. - C'est beau les chansons des rues et des bois.
Silence.
MAXIME. - Je ne vous aimerai pas toujours.
GILDA. - Je ne demande d'autre vérité que l'arc-en-ciel en sortant. On m'a dit autrefois, il y a si longtemps, que j'étais belle ; aujourd'hui, je sais que je suis simplement jolie.
MAXIME. - Regardez le vol des oiseaux ou les couchers de lune.
GILDA. - Les numéros que l'on jette dans sa vie, les dates des jours de tristesse sont loin de mes lèvres.
MAXIME. - Les couloirs et les nuages forment ma vie tout entière. Je ne connaissais que la lueur de ma lampe. Vous êtes près de moi.
GILDA. - Je suis grande ce soir et ma tête seule existe.
MAXIME. - Vous êtes une enfant ou le sommeil de l'été.
GILDA. - Je vous suivrai jusqu'à votre mort lorsque vous m'aurez dit au revoir dans quelques minutes.
MAXIME. - Le passé et l'avenir ne sont maintenant que le présent. Les crieurs des halles, la soif et tous ces petits insectes quotidiens. Il fait jour et je suis là.
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GILDA. - Les paroles me brûlent comme la lumière des théâtres.
MAXIME. - Vous pensez encore aux aurores. Vous dites : là-bas. Je suis près de vous.
GILDA - Je songe aux forêts.
MAXIME. - Les sentiers des champs au petit jour. Les animaux fous et les mendiants aveugles nous écoutent.
GILDA. - Pourquoi riez-vous ?
MAXIME. - Midi : l'heure des colombes et très tard le soir. Devant moi votre regard et vos épaules. Les fleurs que nous aimons tous les deux. La chaleur danse à toute vitesse. Encore ces mêmes pensées qui tombent et qui volent : les papillons de la souffrance et le rêve plus doux que l'agonie.
Silence.
GILDA. - Les automobiles sont silencieuses. Il va pleuvoir du sang.
MAXIME. - A travers les vignes, les rongeurs creusent sans penser au lendemain. Les paysannes ne connaissent pas les éventails. Donnez-moi votre main et j'aimerai votre vie.
GILDA. - Appelez-moi Gilda.
MAXIME. - Ecoutez, écoutez.
GILDA. - Je suis là.
MAXIME. - C'est demain.
GILDA - La distance, les réseaux des points cardinaux. Il y a des drapeaux et d'immenses rubans de laine couvrent la terre. Croisez vos mains et respirez doucement.
Silence. Depuis quelques instants, MAXIME tient entre l'index et le majeur droits le pied d'un verre vide et lui fait décrire des huit obliques sur le marbre. Vient d'entrer un de ces marchands ambulants de tapis, châles, ceintures, etc. Il a commencé par faire ses offres aux joueurs.
SCENE III
L'ALGÉRIEN s'approche de MAXIME. Il présente un peau tigrée qu'il porte sur l'épaule et sous laquelle il étend et laisse retomber alternativement le bras. Silence.
L'ALGÉRIEN. - Porte-monnaie.
Silence. Maxime, même jeu.
L'ALGÉRIEN. - Descentes de lit.
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Silence.
Bretelles. (Il montre des bretelles).
Silence. LE GARÇON entre et l'aperçoit.
LE GARÇON. - Allons, fichez-moi le camp.
L'ALGÉRIEN se retire lentement.
SCENE IV
MAXIME. - Où habites-tu ?
GILDA. - Mais non, mais non.
MAXIME. - Qu'est-ce tu as ?
GILDA, lui donnant la main. - Laisse-moi partir seule.
MAXIME. - Garçon.
LE GARÇON. - C'est trois francs, Monsieur. (Ils se lèvent).
GILDA. - N'insiste pas, mon petit. Tu regretterais. J'ai la vérole.
MAXIME. - Ça ne fait rien. (Ils sortent).
(RIDEAU)
Suit un long entr'acte
ACTE QUATRIEME
NOTA. - Les auteurs de S'IL VOUS PLAIT désirent que le texte de l'acte quatrième ne soit pas imprimé.
ANDRÉ BRETON ET PHILIPPE SOUPAULT.
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Si les mots sont des signes ou Jacob Cow le Pirate (1)
(1) Voir les nos 14 et 15.
(Fin)
V. JACOB COW LE PIRATE.
Mac Orlan avait coutume de raconter qu'étant tombé, avec ses marins et ses nègres, aux mains de Cow, ce pirate les fit ranger sur le pont. Il passait ensuite de l'un à l'autre :
“ Comment t'appelles-tu ?
Dick Smith, de Chicago.
Bien. A la mer ! ”
On jette Dick Smith. Quand c'est au tour de Mac Orlan :
“ Je m'appelle Jacob Cow ”, dit-il.
Alors, tant est grande la terreur que ce nom inspire, Jacob Cow lui-même regagne en hâte son bateau corsaire, fait larguer les voiles et disparaît.
Nous en usons avec les mots comme si Jacob Cow à chaque fois devait s'enfuir. Aussi bien est-il des termes défendus, ceux qui touchent aux diables et aux bêtes dangereuses. Belette n'offre qu'un compliment : petite belle l'autre nom étant égaré. Les anciennes maladies qui reviennent, c'est sous de nouveaux mots : la censure, l'an dernier, interdisait que l'on parlât de peste. Et les jeunes filles, à qui l'on parle la première fois, refusent de nous abandonner leurs noms (redoutant de donner ainsi quelque prise sur elles). “ Je n'avais jamais eu le cafard, dit Alcée, avant de connaître le mot ”. Etrange exigence, à tout moment menacée, à tout moment maintenue : nous ne supporterions plus de parler, faut-il croire, si les mots un instant cessaient d'être les choses mêmes.
- Cow cependant, dans le vrai ne s'enfuit pas. Béril ne se laisse pas séduire à la rime, non plus qu'à la réclame du sucre. “ Ils nous achètent ”, pense-t-il.
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Sans doute ; et la réflexion de Marc-Aurèle n'est point telle qu'on ne la puisse aisément réfuter. Le calembour est peu considéré. Par où l'on remarquerait que les cas, où l'on supposait prendre sur le fait cette confusion des mots avec les choses, étaient aussi bien ceux où la confusion déjà menaçait ruine : comme si son défaut seul, et déjà sa fissure retenait notre attention.
Notre exigence aussi bien, avec ce défaut, prend un nouvel aspect.
VI. FLATTERIES AU LANGAGE.
Mire parle, et se laisse parler. Sans effort, il déplace et rapproche ou bien écarte les villes, de l'or les jours ou les nuits. La langue cependant vient à lui fourcher, et nous demandons : “ Est-ce bien ce mot qu'il cherchait ? ” Quelque auditeur se plaint : “ Nous ne nous entendons pas, réplique Mire ; comprenez mieux mes paroles, j'ai voulu dire... ” Aussitôt se montrent les mots, et tels que des signes : c'est ou le sens se trouve menacé, ne joue pas, retombe de son haut, de façon que l'on y distingue la pensée d'un côté, de l'autre le mot inerte. Comme un joueur de tennis, qui vient de manquer son coup, regarde avec étonnement un bras, une raquette, tout à l'heure parties de lui, à présent étrangers, et faits d'une matière difficile.
L'idée du signe porte, à côté de cet échec et juste à son occasion, la marque d'une confiance. Elle nous informe que les mots, quoi qu'il en semble - et celui-là même qui vient de décevoir - appartiennent aux idées, qu'il est entre eux une convenance naturelle, qu'ils vont refaire sens. Idée pratique, de défense, et non pas la simple observation que l'on avait pu croire ; elle répète : chaque idée a son mot, chaque mot son idée. Un peureux ainsi se dit : “ Comme je suis calme, s'est surprenant comme je suis calme ”, et s'encourage.
Par là se réjoignent les faits que tout d'abord l'on opposait. C'est bien parce qu'ils veulent le rendre signe, et sur lui obtenir ce succès, que Cilia et Atlys, à partir du mot qui les déroute, vont imaginer quelque pensée, dont ce mot ne soit plus que l'apparence ; telle est leur défense contre un langage, dangereux ou gênant, où il se
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doit remarquer pour tel, au point qu'il convient de dire que les gens parlent et s'expriment contre ce langage - au lieu que ce soit par lui.
Tel homme pratique estime que l'humanité, dans son ensemble, est composée de canailles ; il ajoute que chaque canaille est bonne à quelque chose, quand on sait la prendre. Or notre idée du signe relève d'une sagesse de même ordre. Je veux qu'elle nous évite de lourdes déceptions : tout de même, trop défiante, soucieuse toujours d'imaginer le pire, elle néglige la première ressource des mots, leur naïve ressource.
(Ces deux hommes qui se rencontrent, et disent : “ Comment ça va ? - Ah, Sadoul a été condamné à mort ”, ou cette jeune femme à son ami : “ On m'appelle qui ? - Georgette chère, Georgette en or - L'avare ! Pas plus ? ”, il faut admirer à quelle réalité leur langage du premier coup atteint. Où les œuvres littéraires, qui devraient prétendre à une réalité voisine, ou plus indépendante encore, cependant semblent hésitantes, et comme effacées, l'on insinuera que c'est pour avoir trop facilement accepté comme idéal cet état du langage le plus faible, où les mots à chaque moment font signe de nous manquer,
et le seul dont tiennent compte les doctrines suivant lesquelles l'écrivain exprime les choses, ou s'exprime lui-même, la sincérité est sa vertu maîtresse et l'émotion son état de grâce, plus elle est intense, et, dit-on, personnelle - quelques autres encore...)
JEAN PAULHAN.
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CHRONIQUE
JEAN BERNIER : La Percée.
Un jeune danseur fit un faux pas en août 1914. Sa glissade se prolongea sur une plaque de boue et de sang. Il se retrouva un an plus tard, le derrière dans la crotte, au bout de ce rouleau. Le déclic de la blessure n'allait-il pas remettre les choses au point ? En tout cas, le jeune danseur, après cette sortie dans la nuit glaciale, fangeuse, basculant sur un orage inouï, ne se retrouvait-il pas au chaud entre ceux-là qui s'assuraient que la limite du monde, c'était ces rideaux bien clos ?
Mais le jeune homme avait perdu la tête. Il va maintenant de l'un à l'autre, racontant d'impossibles histoires d'amour. Il aurait croisé dans les ténèbres un peuple douloureux, plaintif et patient. Il a même laissé chez un marchand de vin le récit de sa divagation dans ce parc à la française, aux allées taillées dans la terre entre des quinconces étranges d'où s'échappait une odeur suspecte.
Malheureusement, de dangereux littérateurs, une fiole noire à la main, ont rôdé autour de son encrier où il n'y avait d'abord que le sang le plus pur.
PIERRE DRIEU LA ROCHELLE.
CLÉMENT PANSAERS : Le Panpan au cul du nu nègre.
L'objet et le sujet ne peuvent se regarder sans rire. Cache-cache des qualités, cache-cache des quantités. Une main ouverte est une main fermée. Nous écrivons à l'encre noire noire fixe. Mais nous blanchissons à l'air. Ce qui se sépare de nous est immanquablement notre caricature, ne nous ressemble déjà plus. De là ce ricanement des pages qui tournent. Cette petite rime vulgaire : l'écho de nos pas sur les pavés. Le mouvement d'hyperextension que je puisse effectuer avec mon pouce gauche me procure une satisfaction plus complète qu'aucune autre ici-bas. Il en est de même de quelques associations d'idées, lesquelles me sont particulières. Je ne me méprise pas tous les jours. Si les rêveries eurent longtemps la faveur des poètes, c'est qu'à ces courses de haies avec soi-mêmes, l'auteur arrivait toujours bon premier. Les examens de conscience se font au détriment de l'humilité ou de la gravité. Tour à tour avocat du pour et du contre, je me plais à ces montagnes russes de la sincérité.
P. 37
ANDRÉ GIDE : La Symphonie pastorale.
L'auteur de ce livre, comme je lui avais mandé sans plus n'en pas aimer le second cahier, me répondit :
“ Votre phrase sur la Sym. Past. m'étonne. Vous n'aimez pas la seconde partie... Serait-ce que vous aimiez la première ?... J'espère bien que non ! Ça ne serait pas la peine d'avoir écrit les Caves... ”
CÉLINE ARNAULD : Poèmes à claires-voies.
A côté du Plutarque des écoles chrétiennes, rangeons le Rimbaud des demoiselles. Il y a une histoire très obscure sur la femme et le serpent. Lequel des deux séduisit l'autre et ce qu'il en advint, à une certaine époque les livres ne parlaient que de cela. Depuis ce temps, on a inventé l'ombrelle, serpent apprivoisé et immobile, et les femmes font elles-mêmes des livres avec des volants, des fronces, des jours, des festons (1).
(1) Ainsi que Tristan Tzara, De Max, Madame de Noailles, Hélène Vacaresco, Carmen Sylva, Madame Céline Arnauld, roumaine, est française par le mariage.
LOUIS DELLUC : Photogénie.
Si nous aimons tant le cinéma, c'est dans l'espoir d'y recommencer la vie. Nous reprenons à nouveau l'histoire de toutes les illusions perdues. La même aventure. Je consens à me tromper toujours par enthousiasme. La crainte de la sottise, il est puéril de me l'opposer. Qui ne s'est jamais senti à la merci d'une passion ? Dès lors rien ne peut plus nous paraître si sûr, si connu, si fidèle que nous nous refusions à l'épreuve, même insensée, d'une lumière, d'une exaltation retrouvée.
Je n'avais jamais vu le visage d'une femme, ni son corps, ni cette souplesse, prestige même de la vie. Il m'a fallu cet éclairage inattendu, cette mise au point singulière pour que j'apprisse à jouir d'un charme sensible, transmis à travers les siècles aveugles qui l'ont ignoré avant moi. La sensualité humaine se renouvelle une fois encore comme un plumage après la mue. On peut bien me railler de croire qu'avant l'apparition des clartés mouvantes à l'écran, personne n'avait défailli au vertige lisse de la peau ou sous le soleil défini d'un sourire : par delà les scepticismes, les déceptions, les erreurs, le cinématographe, aux yeux d'une génération, restera la meilleure hypothèse poétique pour l'explication du monde.
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JOHN MILLINGTON SYNGE : Le Baladin du Monde Occidental.
Les mots prononcés nous engagent toujours pour la vie. Je regrette la moindre exclamation : c'est un mensonge, et comment l'oublier maintenant ? Il tient dans mon existence cette place que je lui ai donnée.
La faiblesse des hommes pareille aux jolis ciels de moutons s'étire sur les coteaux verts où les femmes agitent des dentelles avec leurs mains usées. Le plus petit fait s'explique par l'absurde. Une crainte sans nom parcourt les campagnes inconnues de l'esprit en sifflant des légendes stupides. Tout est obscur, excepté la tentation. Le désir saute gauchement d'un pied sur l'autre ; il n'est jamais de longue durée.
Au delà des mots, qu'avez-vous mis comme des pots de confiture sur les armoires ? Epouvantails affolés par leurs ombres, nous restons tous plantés au milieu du monde et nous nous regardons les uns les autres avec des sourires sournois.
CARLOS DE LAZERME : Les jours passés...
Le krach du beau vers, panama des poètes, n'est pas encore connu de tous : nombre d'entre eux s'efforcent toujours d'habileté à gagner cette monnaie de singe verbale. L'étude des bons auteurs révèle à la longue quelques procédés mécaniques pour faire passer un frisson bref dans l'échine du lecteur. Aussi Monsieur de Lazerme est-il en droit d'attendre des critiques mille comparaisons flatteuses (et justifiées en somme) avec Baudelaire, Rimbaud, Apollinaire ou tous autres noms à son choix.
ROBERT DE SOUZA : Terpsichore.
Trente ans ou la vie d'un joueur. Nous aura-t-on assez répété qu'erreur ne faisait pas compte ? Les plus obscures faillites ressemblent à la fin d'un monde ; toutes les agonies se déroulent au milieu de la même indifférence. De temps en temps, si quelqu'un demande : Le symbolisme est-il mort ? la vieille muse à voix cassée vient faire sa petite Sarah Bernhardt pour les jeunes gens aux dents longues. La moquerie irréfléchie ou l'admiration par pitié, voilà tout ce qu'ils trouvent devant ces contorsions pénibles comme la mendicité. Et quelle envie nous prendrait sinon de jeter le manteau sur Noé ivre, quand à la fin du volume nous lisons avec consternation la longue liste des ouvrages à disparaître ?
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JEAN DE TINAN : Un document sur l'impuissance d'aimer, suivi d'Erythrée.
Ecrire un livre sur l'impuissance d'aimer ressemble singulièrement à écrire un livre sur l'impuissance d'écrire. L'esprit de contradiction amène périodiquement les jeunes gens à douter de cette passion qui fut la foi des générations précédentes. Il n'y a pas à s'inquiéter de cette petite fièvre de croissance. Le tort de Jean de Tinan est sans doute d'en avoir fait sa carrière. Pour avoir donné un sens plus précis au dicton de l'amour et l'eau fraîche, il crut tenir le système mais cela ne lui enseigne point à se passer de ces interjections continuelles, menue monnaie du symbolisme, ni de ses souvenirs scolaires qu'il utilisa dans ses romans comme tout bon élève dans un style. Guetteur du livre à faire, il eut accueilli avec joie l'amour qui lui eut fourni le sujet attendu ; à son défaut il se saisit du plus petit fait-divers de sa vie et donc, voilà Aimienne ou le Détournement de Mineure ; ou telle autre confession d'un jeune homme qui se cherche des péchés. L'incapacité d'atteindre à l'enthousiasme, la belle recommandation, ma parole ! Cette psychologie en chambre sent un peu le renfermé. Jean de Tinan fut à la mode en même temps que les faux-cols trop hauts qui écorchent le menton.
LOUIS ARAGON.
* * *
ODEO : l'homme cochon (CASINO DE PARIS).
Dans les villages d'Europe, on rencontre plus de gallinacées que d'automobiles. Ces dernières ne s'apercoivent guère que dans un mélange bizarre de volatiles divers. Ces croisements de races ne sont pas sans danger. On peut arriver par là à des confusions regrettables, mais identifier Odéo ou Mme Aurel ne me paraît pas chose possible. Odéo passe par la fenêtre et ressort des lattes du plancher, c'est ce qui s'appelle en terme de pyrotechnie Cach' ton piano. Excellente occasion pour voyager dans la rate de son voisin : les bagages n'étant pas visités, on peut sans crainte emporter des avocats à sonnettes et des banquiers à répétitions. L'influence des graines sur les conditions climatériques d'un pays est une chose à déterminer, mais ne paraît pas d'une importance capitale. Pourtant celui qui nous intéresse n'est-il pas doué de propriétés remarquables et Marigny n'aurait-il pas trouvé le sérum contre le suicide neurasthénique qui devient presque une évidence lorsqu'on apprend qu'une âme partie d'un postérieur humain murmurait en s'envolant vers Dieu : Il est né le divin Enfant !
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JEAN COCTEAU : Carte Blanche.
Je vide mes poubelles. Tu vides tes poubelles. Il vide ses poubelles, etc. Toute l'année, il a fait cela mais comme il est trop paresseux pour descendre les vider sur le trottoir, il les jette par la fenêtre. Que croyezvous qu'il advint ? Contravention ? les bonnes gens ont ouvert la bouche et reconnaissants ont avalé les débris de vaisselle provenant des dernières scènes de ménage et des pommes avariées barbouillées de fiente de perroquet. Pendant ce temps-là, le chien de pic urinait dans un violoncelle et cela s'appelait les larmes de l'année. La fenêtre ouverte, j'ai regardé venir le Zeppelin avec le secret espoir que l'équipage allemand avait dissimulé quelques bombes et allait laisser tomber un peu de bruit sur le dortoir parisien. Il y avait des gens qui brisaient des statues en riant. Le maréchal Foch, Deschanel, Landru, Henry Bordeaux, Sarah Bernhardt, les Académies Française, de Médecine, de Pharmacie, de l'Ameublement et de l'Amour Libre arrivèrent sur les lieux pour essayer d'obtenir que la victoire de Samothrace soit épargnée. L'un de ceux qui brisaient des statues en riant saisit une lance d'arrosage, branchée sur une conduite d'eau chaude et fit un banc de homards cuits. Au même moment on pouvait chronométrer une course de stylographes sur des feuilles de buvard. J'aperçus à terre un tas de papiers maculés : sur l'un d'eux Carte Blanche. Je relevai la tête. Il vidait toujours ses poubelles.
BENJAMIN PÉRET.
* * *
COLETTE : Chéri.
A midi tapant neuf, c'était bel et bien inscrit : percer un livre à coups de couteau, parce qu'on en a assez de ne pas avoir autre chose à percer.
ANDRÉ BRETON ET PHILIPPE SOUPAULT : Les Champs magnétiques.
Silence obtenu de la vie, le même qu'on obtint jadis de l'amour. Personne n'écoute plus, personne n'entend plus.
Acharnement, vitesse en sourire, en sang, en ignorance de cause. Tout se dilate gentiment devant les secondes, devant un cadran énorme pour les sourds.
Mais c'est l'âge des aveugles.
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HENRY CÉARD : Sonnets de guerre.
Lourd regards de bois, solidité, tranquillité des forêts. A chaque pas, le calme du chemin se renouvelle. Ma vieillesse, ma beauté, ma vieillesse, ma beauté. Mes amis, mes amours, mes amis, mes amours, mes amis se jettent au cou de marbre du vieillard que je connais si bien.
CHARLES BAUDELAIRE : Journaux intimes.
L'oubli joue dans les rêves un rôle constant :
“ Quand il se regarda dans la glace, il ne se reconnut pas et salua. ” Un beau résultat pour l'éternité.
“ Cherchant visiblement son nom ” qui n'existait plus, et vous nommez cet effort pour l'autre ou pour les autres, sans les connaître : sacrifice.
Seul, le style, “ la note éternelle, le style éternel et cosmopolite ”, prolonge le temps sans efforts :
“ Elle est belle et plus que belle, elle est surprenante. En elle le noir abonde : et tout ce qu'elle inspire est nocturne et profond. ”
Parler ainsi longtemps pour apprendre l'habitude.
LOUIS BERTRAND : Gaspard de la nuit.
Y a-t-il encore des jeux sur l'herbe et des décorations sur l'air ? Non, il n'y en a plus.
Y a-t-il encore des manteaux de flammes et des façons de se plonger dans la mer ? Non, il n'y en a plus.
Y a-t-il encore des yeux de nuit, des yeux de jour, des aveugles, des ailes rondes comme la terre et des enfants à tuer ? Non, il n'y en a plus.
PAUL ELUARD.
* * *
PAUL MORAND : Feuilles de température.
Le voyageur ferme quelques instants les yeux : à pas de loup, d'étranges compagnons s'approchent de lui. Le train s'arrête. Le voyageur s'aperçoit trop tard qu'il est seul dans le wagon-salon. D'un geste las, il allume un cigare.
Il neige. La ville est morte, la nuit.
A la hâte, il consulte l'indicateur. L'express part dans dix minutes. Le voyageur s'endort bercé par les flocons. Lorsqu'il s'éveillera, des palmiers géants et immobiles l'accueilleront. Paul Morand a trop chaud. Il est fatigué déjà. Il préfère s'en aller. Cette ville lui plaît trop. La terre tourne.
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J'ai trouvé derrière mes paupières
des paysages sans soleil
et des petites démences.
Il faut toujours partir.
Ces feuilles de températures, ce sont des bulletins météorologiques, des cartes postales adressées aux meilleurs amis. On lit au verso :
Pour moi, je poursuis
Mon petit bonhomme de chemin de croix
SAMUEL BUTLER : Erewhon. (Traduction Valéry Larbaud).
Valéry Larbaud a traduit avec dévouement ce long volume, “ d'essais humoristiques et satiriques ” et l'a doté d'une étude et d'un avertissement. Le traducteur compare avec insistance Samuel Butler à Swift. C'est jouer à l'auteur d'Erewhon un bien mauvais tour. J'ai cherché en vain, dans ce livre la verve, le cynisme, la puissance d'ironie de Swift. Butler est un anarchiste consciencieux. Les trois chapitres intitulés “ le livre des machines ” sont curieux pour un lecteur aussi peu sérieux que moi ; mais j'avoue ne pas comprendre qu'on puisse lire ce livre “ avec avidité ”.
L'humour de Samuel Butler est celui du compte-goutte.
LES PROPOS D'ALAIN (Tome I et II).
C'est dimanche...
Nous entrons le soir dans un café d'une petite ville de province. Dans un coin le pharmacien, le maréchal-ferrant, le juge de paix et le receveur des contributions indirectes, écoutent gravement Monsieur Alain qui parle, qui parle...
Personne ne s'aperçoit qu'il radote.
C'est lundi, c'est mardi, c'est mercredi... Monsieur Alain radote toujours. Ça peut durer encore longtemps.
SUZANNE GRANDAIS : Gosse de riches.
Le mauvais goût ne saurais nous déplaire, mais la bêtise a des bornes que la raison ne connaît pas. Pourquoi en regardant ce film, avons-nous envie de grincer des dents et de frapper des mains pour que la “ gosse de riches ” soit effrayée. J'avais beau hurler “ à la porte ”, Suzanne Grandais continuait toujours à sourire.
L'exaspération, la colère, la fureur, l'énervement, l'envie de casser tout et de tuer quelqu'un.
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“ Gosse de riches ! Gosse de riches ! ”
Suzanne au bain, Suzanne à la gare, Suzanne au bout du quai !
“ L'étoile française Suzanne Grandais s'est tuée en automobile. ”
“ Simplement les petites automobiles ”, dira Tristan Tzara.
HARROLD LLOYD : Le beau policemen.
Derrière ses lunettes, derrière ses prunelles fleurit l'arrière-pensée : herbe des animaux sourds et des arbres creux. Il lance avec componction des regards aux vieilles femmes qu'il suit pour leur faire oublier la vieillesse.
Dans les maisons, dans les ruelles court un chat plus petit que son ombre. Il joue, il joue sans savoir, sans comprendre. Il vit, il vit sans un cri, sans un mouvement. Tous les habitants imitent ce chat et son ombre. Le policemen, le gardien de la paix rompt le silence trop sinistre. Il sourit comme André Breton.
Une femme derrière moi, en voyant apparaître Harrold Lloyd sur l'écran s'écria : “ Il me semble l'avoir déjà vu quelque part. ”
Il existe des jeunes gens que l'on connaît sans les avoir jamais vu.
LE BLUFF MOREAS.
Le Parti de l'intelligence, les dandys, les néo-néo-classiques, les royalistes, les camelots de la Reine, les futurs candidats à l'Académie chantent les louanges de Jean Moréas (c'est parce qu'il est mort naturellement). Dans leurs journaux, dans leurs revues, chaque rédacteur cite des vers de Papadiamantopoulos. Chaque jour, ils lui dressent un nouveau tombeau.
Ils n'écrivent jamais que si les jeunes gens aimèrent autrefois ce poète, c'est qu'il était le plus magnifique rastaquouère de son temps.
PHILIPPE SOUPAULT.
* * *
RATE AUTOMATIQUE (Evénements du Jour).
Quelques-uns de ceux qu'on met sous son fauteuil et dont on ne sait s'ils vont vous mordre les mollets ou vous tapoter les souliers en disant : “ caro, carissimo ” - enfin, quelques connaissances disent de moi, à cause de mes griffes et de mes dents : Il est aigri, raté et aigri.
C'est que l'humanité en général est si bonne ou si mauvaise, suivant que l'on est optimiste ou pessimiste, qu'elle ne tolère même dans les
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descriptions anatomiques ou botaniques, qu'une de ces deux positions sentimentales. Il est permis de dire que tout va mal, précisément parce qu'on connaît un bien (dont on se réserve ordinairement l'exclusivité). Enumérer des apparences sans les avoir mensurées avec l'étalon tournesol, est un crime impardonnable. Je suis aigri.
Au fait, j'ai des réactions acides, et cela m'évite la tuberculose suspecte de tendresse pour moi, et me donne des nerfs qui parfois servent de cordes à arc. Je suis aigri parce que les flèches portent trop juste.
Raté. Evidemment. Une musaraigne est un éléphant raté ; un éléphant est aussi une musaraigne ratée. Mais l'un désirait-il l'autre ?
Peut-être me désirait-on au rang de David, de Victor Hugo, ou plus simplement de Monsieur Maurice Denis. C'est gentillesse, qui me touche. Je suis plus exigeant. Impératrice de Chine, Néron, un Pape, au besoin le dernier, cela a plus de relief, mais ne me suffit pas davantage à moins d'être le tout à la fois. Et là encore, hélas, quelle tristesse. Pour l'heure, je préfère mes plantes des Alpes réunies comme dans un harem.
Un seul vœu : dormir, dormir, dormir.
Entre deux aigreurs, quel charme de savoir ce que se dit autour de la Table. La Table voyage. Elle va de San Remo à Spa, doux lieux. Elle n'a pas encore été aux Iles Marquises ou à Malabar. Mais elle est le Pôle et l'Equateur à la fois.
La vieille manucure qui représente la France y vient faire sa besogne avec le petit jeune homme qui a un ventilateur dans la tête, collé à l'Angleterre, et l'astronome qui compte les étoiles que vous avez au fond de vos poches, à la florentine. Les autres sont tour à tour chiens pisseux ou excités et maquereaux homo-sexuels.
On règle le compte de cette étonnante femelle aux reins robustes et rompus, dont la chaleur subsiste et suinte jusqu'en ses sourires de style chaste. La vieille manucure qui s'y connaît lui tâte ventre par l'intérieur, parle du Saint-Esprit et exige qu'on lui remette les ovaires de la belle et ses trompes pour y souffler la Marseillaise. Le petit jeune homme qui lance de l'air vif par les narines et l'anus, pense qu'avec les poils des aisselles on peut faire de la toile, et exploiter de belles mines d'or dans les mâchoires. L'astronome regarde dans les yeux de la femme, y voit comme partout des étoiles que les cartes du ciel n'ont pas encore mentionnées. Il imagine l'accouplement : “ Comme nous pousserions de beaux cris, tous les deux ! ” - Quant aux chiens pisseux, suivant leur vocation qui est de puiser des projets dans un derrière qu'on renifle, ils savent que celui d'une ennemie sent toujours bon, et qu'on y peut satisfaire ses désirs à bon marché !
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C'est un triste concert. Nous voici en été. Les soirs sont lourds et tristes. Les musiques que l'on entend sortir de la bouche des égouts lorsqu'on longe les trottoirs pour y gagner sa vie au hasard des portemonnaie chus suivant ce que les poëtes appellent la loi de pesanteur, sont d'une sensualité de cul sale grattés à deux doigts. Une langue amoureuse vous introduit de la métaphysique dans la bouche et la langue indigène fait grincer contre les dents un sable métaphysique. Le cornet du téléphone fait dans l'oreille des taches de graisse. Isadora Duncan danse la musique qu'un nécrophore stérilise au nom de Chopin. Mais je vois le fil du téléphone entre ses jambes, et une sonnerie éclatante enveloppée dans de l'ouate précipite des nuages qui abritent les obscénités des chérubins la peau des muses en fin de scarlatine. En descendant les marches de l'escalier de la rue du Dôme on passe de la zône de la vanille à celle de l'oignon. Mahomet tombé de son wagon est un poëte réaliste. - Vous ne croirez jamais que je suis Mahomet ? - Toujours on va du chaud au froid et du froid au chaud, et l'on reste marchand de citron. Le poëte anti-poëte lui-même vend du citron. C'est pourquoi je ne casse pas les vitres des réverbères ou n'insulte pas les concierges. Je suis dame d'honneur d'une reine.
Une reine n'aime que son propre visage. Mais non tel qu'il est le matin. Elle lui peint jusqu'à l'intérieur des yeux. Ce qu'elle aime, c'est son œuvre - non telle qu'elle est - mais transposée, renversée et renvoyée par le miroir - non telle que celui-ci la retourne - mais sous le voile du souvenir de Babylone, des Evangiles, de Sapho, de Watteau ou de Femina.
Ainsi se repose une reine - et dit la vérité à tout le monde sauf à soi-même. Le plus doux mensonge on ne l'adresse pas à son mari, à sa maîtresse, à son père ou à son ami. Mais à soi-même. N'est-ce pas, poëte ? Un facteur l'apporte auquel on donne un pourboire. Un regard si pur, si pur.
Le canapé du pharmacien est langage sans pensée, et non pensée sans langage. Le premier regard est mensonge. Le premier mot le rend ineffaçable. Dieu n'a pas créé le monde ni l'homme ; il a créé le langage. Il est le menteur par vice congénital. Il se promène la main entre les cuisses et donne à la blanchisseuse la trace de ses mensonges.
Ni les larmes, ni la salive, ni la sueur, ni l'urine, ni le sperme lui-même ne peuvent oxyder l'effet de la jouissance du Dieu turbine.
Toute investigation dans le domaine colonial est vaine. Le cacao, l'oiseau-lyre et l'ornithorinque ne sont que des timbres-poste dont quelques fonctionnaires tiennent une Bourse.
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D'ailleurs la disparition de la monnaie métal, et l'absence de la monnaie papier ont répandu l'usage des timbres comme équivalent de marchandises.
G. RIBEMONT-DESSAIGNES.
LES REVUES REVUES.
Par notre souci d'équilibre et notre absence de goût, nous sommes arbitres, arbitres nous resterons, coupables. Il ne nous manque aucune échelle aux muscles tendus, nous ne sommes privés de rien.
Nous avons bien compris “ En Irlande ”, dans la Revue de Paris du 1er Août. Pauvre pays, de loin.
391 continue à paraître régulièrement avec la collaboration de Tristan Tzara, Francis Picabia et G. Ribemont-Dessaignes.
Bleu publie en italien une étude de Renée Dunan sur DADA et un article de Pierre Reverdy sur le cubisme.
“ Sans changer de direction, Je Sais Tout a changé de caractère. Sa présentation et ses articles y ont beaucoup gagné. Nous signalons cet effort dont il faut savoir gré à Jean d'Esme et à Antoine, ses directeurs littéraires et artistiques. Ce magazine est en effet un actif propagateur du goût et de la pensée français à l'étranger. ” (J. L. DURANDEAU : Crapouillot du 16 Juillet 1920).
Le Trait d'Union et Belles-Lettres répondent bien à l'idéal rapide de l'Œil de Bœuf et du Scarabée.
Rythme et Synthèse, Les Feuilles libres, Le Parthénon, Les Marges, Renaître, La Vie, Les Ecrits nouveaux, Les Revues, plus de revues que de jours courts et confortables.
Au lieu d'un poète, il y en a deux, puis il y en a mille : Jean Aicard, Antoine Albalat, Henri Barbusse, Henri Bordeaux, Gyp, Henri Lavedan, Maurice Maeterlinck, Marcel Prévost, Maurice Rostand, Paul Souday, Tristan Tzara et quelques autres ne collaboreront jamais à Pour le Plaisir.
Dans la Revue Hebdomadaire du 3 Juillet, Edmond Pilon parle du beau rêve à deux d'Alain Fournier et du Grand Meaulnes. Le 20 Juillet, la même revue a publié la fin des “ Amours romantiques d'Henri Beyle et de Victorine Mounier ”. Leur auteur déclare au beau milieu et sans ménagements que “ Beyle aurait pu s'en tenir là ”.
Nous sommes assez surpris des extraordinaires réflexions d'Albert Thibaudet sur Adolphe dans la Nouvelle Revue Française du 1er Août :
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“ Promis par ses talents au plus éclatant avenir, il n'aboutit à rien, se perd obscurément dans l'indifférence et l'inaction ; la réflexion n'étant pour lui qu'une manière d'employer le temps sans agir, son action exclut la réflexion comme sa réflexion excluait l'action, et il agit par brusque caprice : “ Avec votre esprit d'indépendance, lui écrit son père, vous faites toujours ce que vous ne voulez pas ”. Excellente condition, cette indépendance intérieure, pour que la dépendance vienne du dehors, et d'une femme experte par nature à la provoquer et à la maintenir ”.
Dans le même numéro, un article d'André Breton qui nous touche, la “ Reconnaissance à Dada ” de Jacques Rivière et la fin du romancinéma artificiel et plaisant de Valéry Larbaud.
Les cahiers idéalistes français (Juin 1920) : George D. Herron : “ La Paix de Paris ”, confession d'un Américain et appel à la jeunesse européenne.
Le Mercure de France (1er Août) : René Lauret : “ De la propreté ”. Je citerai toujours : “ D'ailleurs la plupart des mots qualifiés de malpropres ne sont tels que parce que nous le voulons bien ”.
Léon Baranger, Vincent Muselli, Tristan Derême et Fernand Divoire ont collaboré à l'Encrier n° 11 et Sébastien Voirol, Edouard Dujardin, Max Jacob et Pierre Reverdy au premier numéro de La Vie des Lettres.
The Little Review publie dans son numéro d'avril 1920 deux poèmes et des dessins remarquables de Jean de Bosschère dont nous ne connaissions plus, depuis longtemps, que ces vers :
Il connaît la vérité sur les mères, enfin.
Et le père et la mère se couchent au lit terrible de l'habitude !
Le nu navrant des soirs, - les bottines qu'ils ôtent, -
Le verre mis à sa place, - la montre sur le marbre,
La misérable chemise,
Les chiens qui aboient
Avec les locomotives et les chats,
Et voilà qu'il croit encore.
Et voilà qu'il croit encore,
L'homme burlesque
Qui s'est donné un univers
Et un dieu comme un incendie immense
Dont il sent la fumée ;
Et certes ce n'est peut-être qu'un bûcher
Fait avec les fanes de pommes de terre.
P. E.
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* * *
LETTRE ANGLAISE.
Vous me demandez de vous écrire les noms de ceux qui à mon avis ont essayé de détruire la bêtise dans le brumeux séjour britanique.
Il y a Thomas Hardy, âgé de neuf cent-quatre-vingt-huit ans, contemporain de Walter Scott, qui vit encore et qui a écrit “ The Mayor of Casterbridge ”. Il y a W. H. Hudson, contemporain du père Adam, qui décrit superbement la nature, les brebis, ou l'Amérique du Sud. Il y avait, il y a peu d'années encore, Henry James, qu'on ne connaît pas à Paris, où il avait vu Tourguenew jouer des charades (il avait aussi beaucoup embêté M. Gustave Flaubert, de sainte et vénérable mémoire).
Il y a le poète celtique, et celto-japonais W. B. Yeats, (dont l'enfant a actuellement la rougeole) qui fait, et qui a fait depuis trente ans la poésie symboliste-celtique, bougrement bien. Il a fondé le Théâtre Irlandais et fait représenter les comédies de Lady Gregory et les drames de Synge.
Il y a Ford Madox Hueffer qui a lutté contre la littérature officielle seul pendant vingt ans, notre meilleur critique, auquel on doit offrir chaque année le sang et les os de cent mille gosses.
Il y a James Joyce qui écrit de la prose pour tuer, et qui a publié “ Dubliners ” (des contes) ; “ The Portrait of the Artist as a Young Man ” (un roman) et “ Ulysses ” qui continue et qui meurt de faim.
Il y a Wyndham Lewis qui fait de la peinture vorticiste (qui n'est pas, entre nous, ni de la section d'or, ni de Picasso, ni du Futurisme, mais de lui (Lewis) même, et qui a écrit le roman “ Tarr ”.
Il y avait notre ami Gaudier-Brzeska, français, tué à la guerre, qui avait fait de la sculpture magnifique. Il y a, dans un format plus modeste, le malin T. S. Eliot qui a lu Laforgue plus soigneusement que les compatriotes du dit Jules, et qui y a ajouté quelque chose.
Et, sacré bon dieu de bois ! Il y a moi, votre très infidèle serviteur, qui écrit et qui a écrit trop, mais pas trop mal.
Et il y a les autres, que le bon dieu de plâtre peut détruire à son gré, la plupart, sans nuire à grand chose. Votre bien dévoué,
EZRA POUND.
P.S. - Mais j'espère qu'il ne détruira pas trop tôt, W. C. Williams, ni Aldington, ni Rodker, ni H. D., ni quelques jolies petites dames du métier.
Le Gérant : PHILIPPE SOUPAULT.