Littérature n° 13, mai 1920
SOMMAIRE | |
Collectif | Manifeste du mouvement Dada |
Louis Aragon | MOI. |
Tristan Tzara | Tristan Tzara. |
André Breton | Bocaux Dada. |
Francis Picabia | Dada Philosophe. |
Paul Éluard | Développement Dada. |
Philippe Soupault | Littérature et le reste. |
Paul Éluard | Pâtisserie Dada. |
André Breton | Patinage Dada. |
Georges Ribemont-Dessaignes | Les plaisirs de Dada. |
Jean Arp | Manifeste du crocodarium Dada. |
Francis Picabia | L'ART. |
Paul Dermée | Dada tue-Dieu. |
Dr Val. Serner | Le Corridor. |
Walter Conrad Arensberg | Dada est américain. |
Tristan Tzara | Manifeste de M. Antipyrine. |
André Breton | Géographie Dada. |
Georges Ribemont-Dessaignes | Au Public. |
Céline Arnauld | Ombrelle Dada. |
Philippe Soupault | Machine à écrire Dada. |
Paul Éluard | Cinq moyens pénurie Dada ou deux mots d'explication. |
Louis Aragon | Révélations sensationnelles. |
Tristan Tzara | Manifeste de Monsieur Aa l'antiphilosophe. |
MERCVRE DE FRANCE
Paraît sur 18 feuilles
et donne
288 pages par numéro
soit par an
8 volumes de 864 pages
VENTE ET ABONNEMENTS
France Etranger
Un an .... 48 ” 55 ”
6 mois .... 25 ” 29 ”
3 mois .... 13 ” 15 ”
1 numéro.... 2 50 2 85
Les abonnements partent de tous les numéros
Tous les numéros anciens, quel qu'en soit le prix marqué, se vendent 2 fr. 50
26, RUE DE CONDÉ
PARIS
"L'EFFORT MODERNE"
Léonce Rosenberg
OEUVRES PAR :
Maria BLANCHARD, Georges BRAQUE
CSAKY, André DERAIN, FÉRAT
Juan GRIS, HERBIN
Irène LAGUT, Henri LAURENS
Fernand LÉGER, André LHOTE
Jacques LIPCHITZ
Jean METZINGER, Pablo PICASSO
Gino SEVERINI, Georges VALMIER
19, rue de la Baume
PARIS (VIIIe)
2e ANNÉE : N° 13, REVUE MENSUELLE, MAI 1920
LITTÉRATURE
VINGT-TROIS MANIFESTES DU MOUVEMENT DADA
PAR
Francis PICABIA, Louis ARAGON, André BRETON, Tristan TZARA, ARP, Paul ELUARD, Philippe SOUPAULT, SERNER, Paul DERMÉE, Georges RIBEMONT-DESSAIGNES, Céline ARNAULT et W. C. ARENSBERG.
13
DEUX FRANCS
Louis ARAGON, André BRETON, Philippe SOUPAULT.
Rédaction : 9, Place du Panthéon, Paris.
Administration : AU SANS PAREIL, 37, avenue Kléber (16e).
ABONNEMENTS
Pour 12 Nos : 15 francs, pour la France ; 20 francs, pour l'Etranger.
Il est tiré à part 10 exemplaires sur Hollande Van Gelder dont l'abonnement est de 60 francs pour la France ; 80 francs pour l'Etranger.
- Collection. complète de Littérature (12 numéros) : Prix 20 fr. -
LITTÉRATURE
publiera au cours de l'année 1920 des textes inédits de Blaise CENDRARS, Pierre DRIEU LA ROCHELLE, André GIDE, Max JACOB, Jean PAULHAN, Raymond RADIGUET, SERNER, Paul VALÉRY,
ainsi que
La main chaude, film ;
Etudes morales ;
Aventures de Télémaque ; par Louis ARAGON.
Les Pas Perdus ;
Lautréamont ; par André BRETON.
Fornications près des tables ; par Francis PICABIA.
Le serin muet, un acte ;
Zizi de Dada, un acte ;
Rate automatique (évènements du jour) par G. RIBEMONT-DESSAIGNES.
Epitaphes ;
Jacques Vaché ;
Mes amis et moi ; par Philippe SOUPAULT.
Monsieur Aa, l'antiphilosophe ; par Tristan TZARA.
Exemples ;
Les Nécessités de la Vie ; par Paul ELUARD.
PRIX DU NUMÉRO : France : 2 francs ; Etranger : 2 fr. 50.
Il a été tiré de ce numéro 10 exemplaires sur Hollande Van Gelder.
N° ...
P. 1
Ces manifestes ont été lus
Au Salon des Indépendants (Grand Palais des Champs Elysées) le 5 février 1920
Au Club du Faubourg, 6, rue de Puteaux le 7 février
A l'Université Populaire du Faubourg Saint-Antoine le 19 février
L'ordre de leur publication a été tiré au sort.
Manifeste du mouvement Dada
Plus de peintres, plus de littérateurs, plus de musiciens, plus de sculpteurs, plus de religions, plus de républicains, plus de royalistes, plus d'impérialistes, plus d'anarchistes, plus de socialistes, plus de bolcheviques, plus de politiques, plus de prolétaires, plus de démocrates, plus de bourgeois, plus d'aristocrates, plus d'armées, plus de police, plus de patries, enfin assez de toutes ces imbécilités, plus rien, plus rien, rien, rien, rien, rien.
De cette façon, nous espérons que la nouveauté qui sera la même chose que ce que nous ne voulons plus, s'imposera moins pourrie, moins égoïste, moins mercantile, moins obtuse, moins immensement grotesque.
Vivent les concubines et les concubistes. Tous les membres du Mouvement DADA sont présidents.
MOI *
(*) Puits profonds et Sources.
Tout ce qui n'est pas moi est incompréhensible.
Que je l'aille chercher aux rivages du Pacifique ou que je le ramasse dans les contrées de mon existence, le coquillage que
P. 2
j'appliquerai à mon oreille retentira de la même voix que je prendrai pour celle de la mer et qui ne sera que le bruit de moi-même.
Tous les mots, si tout-à-coup je ne me contente plus de les garder dans ma main comme de jolis objets de nacre, tous les mots me permettront d'écouter l'océan, et dans leur miroir auditif je ne retrouverai que mon image.
Le langage quoiqu'il en paraisse se réduit au seul Je et si je répète un mot quelconque, celui-ci se dépouille de tout ce qui n'est pas moi jusqu'à devenir un bruit organique par lequel ma vie se manifeste.
Il n'y a que moi au monde et si j'ai de temps en temps la faiblesse de croire à l'existence d'une femme, il me suffit de me pencher sur son sein pour entendre le bruit de mon cœur et me reconnaître. Les sentiments ne sont que des langages pour faciliter l'exercice de quelques fonctions.
Je porte dans mon gousset gauche mon portrait très ressemblant : c'est une montre en acier bruni. Elle parle, elle marque le temps, et elle n'y comprend rien.
Tout ce qui est moi est incompréhensible.
LOUIS ARAGON.
Tristan Tzara
Regardez-moi bien !
Je suis idiot, je suis un farceur, je suis un fumiste.
Regardez-moi bien !
Je suis laid, mon visage n'a pas d'expression, je suis petit.
Je suis comme vous tous ! (1).
- Je voulais me faire un peu de réclame.
P. 3
Mais demandez-vous, avant de me regarder, si l'iris par lequel vous envoyez des flèches de sentiment liquide, n'est pas caca de mouche, si les yeux de votre ventre ne sont des sections de tumeurs dont les regards sortiront une fois par une partie quelconque de votre corps, sous forme d'écoulement blennhoragique. Vous voyez avec votre nombril - pourquoi lui cachez-vous le spectacle ridicule que nous lui offrons ? Et plus bas, des sexes de femmes, à dents, qui avalent tout - la poésie de l'éternité, l'amour, l'amour pur, naturellement, - les beaftecks saignants et la peinture à l'huile.
Tous ceux qui regardent et qui comprennent, se rangent aisément entre la poésie et l'amour, entre le beafteck et la peinture. Ils seront digérés, ils seront digérés.
On m'a accusé récemment d'un vol de fourrures. Probablement parce qu'on me croyait encore parmi les poètes. Parmi ces poètes qui satisfont leurs besoins légitimes d'onanie froide dans des fourrures chaudes : H a h u, je connais d'autres plaisirs aussi platoniques. Appellez votre famille au téléphone et pissez dans le trou réservé aux bêtises musicales gastronomiques et sacrées.
DADA propose 2 solutions :
PLUS DE REGARDS.
PLUS DE PAROLES. (2).
- Plus de manifestes.
Ne regardez plus.
Ne parlez plus.
Car moi, caméléon changement infiltration aux attitudes commodes - opinions multicolores pour toute occasior, dimension et prix - je fais le contraire de ce que je propose aux autres. (3).
- Parfois.
j'ai oublié quelque chose :
où ? pourquoi ? comment ?
c'est à dire :
ventilateur d'exemples froids servira au serpent fragile de cavalcade et je n'ai jamais eu le plaisir de vous voir my dear rigide
l'oreille sortira d'elle-même de l'enveloppe comme toutes les fournitures marines et les produits de la maison Aa et Co le chewing-gum
P. 4
par exemple et les chiens ont des yeux bleus, je bois la camomille, ils boivent le vent, DADA introduit de nouveaux points de vue, on s'assoit maintenant aux coins des tables, dans des attitudes glissées un peu à gauche et à droite, c'est pourquoi je suis fâché avec Dada, demandez partout la suppression des D, mangez du Aa, frottez-vous avec la pâte dentrifice Aa, habillez-vous chez Aa. Aa est un mouchoir et le sexe qui se mouche, l'écroulement rapide - en caoutchouc - sans bruit, n'a pas besoin de manifestes ni de livre d'adresses, il donne 25 % de rabais habillez-vous chez Aa il a les yeux bleus.
TRTZ. 20-2-1920.
Bocaux Dada
Comment t'appelles-tu ? (Il hausse les épaules).
Où es-tu ? - Au Grand Palais des Champs Elysées.
Quel jour sommes-nous ? - Jeudi... février 1920.
Quel est ton métier ? - Je labourais, je taillais les vignes.
Et tes parents ? - Le père, c'est un innocent, un homme sans intelligence ; aussi bien l'un comme l'autre, la mère aussi ; c'est moi qui faisais tout.
La douzaine d'œufs coûte six francs ; quel est le prix d'un œuf ? - Six francs.
Pourquoi ris-tu ? - C'est les autres qui me font rire.
Crois-tu en Dieu, à la Sainte Vierge ? - Ils font toujours leur travail.
Comment le sais-tu ? - Je le sais.
As-tu bien dormi ? - Je rêve après les taubes, après les sangliers, que je tombe dans les puits, qu'on me court après pour me battre.
Comment te trouves-tu ? - Vous êtes beaucoup trop bon pour moi. Je languis partout ; je voudrais passer aux rayons X. J'étais bien intelligent jusqu'au mois dernier.
Que désires-tu ? - Je ne sais pas.
ANDRÉ BRETON.
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Dada Philosophe
A André Breton
CHAPITRE I
DADA a le regard bleu, sa figure est pâle, ses cheveux sont bouclés ; il a l'aspect anglais des jeunes hommes qui font du sport.
DADA a les doigts mélancoliques, à l'aspect espagnol.
DADA a le nez petit, à l'aspect russe.
DADA a le cul en porcelaine, à l'aspect français.
DADA songe à Byron et à la Grèce.
DADA songe à Shakespeare et à Charlot Chaplin.
DADA songe à Nietsche et à Jésus-Christ.
DADA songe à Barrès et aux couchers de soleil.
DADA a le cerveau comme un nénuphar.
DADA a le cerveau comme un cerveau.
DADA est un artichaut bouton de porte.
DADA a la face large et svelte et sa voix est cambrée comme le timbre des sirènes.
DADA est une lanterne magique.
DADA a la queue tordue en bec d'aigle.
La philosophie de DADA est triste et gaie, indulgente et large. Les cristaux vénitiens, les bijoux, les soupapes, les bibliophiles, les voyages, les romans poétiques, les brasseries, les maladies mentales, Louis XIII, le dilettantisme, la dernière opérette, l'étoile resplendissante, le paysan, un bock qui s'égoutte petit à petit, un nouveau spécimen de rosée, voilà une physionomie de DADA !
Incomplications et incertitudes.
Changeant et nerveux, DADA est un hamac qui berce un doux balancement.
CHAPITRE II
Une étoile tombe sur un fleuve, laissant un sillage d'exemplaires. Le bonheur et le malheur ont la voix silencieuse et nous parlent à l'oreille.
Soleil noir ou brillant.
Au fond de la barque, nous ignorons le chemin qu'il faut choisir.
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Un tunnel et revenir.
L'extase devient angoisse dans l'idylle du foyer.
Les lits sont toujours plus pâles que les morts, malgré le cri désespéré de l'homme.
DADA embrasse dans l'eau de source et ses baisers doivent être le contact de l'eau avec le feu.
DADA est Tristan Tzara.
DADA est Francis Picabia.
DADA est tout puisqu'il aime aussi les purs esprits, la nuit qui tombe, les feuillages qui soupirent et les amants, pressés dans les bras l'un de l'autre, buvant éperdument à la double et divine source de l'Amour et de la Beauté !
CHAPITRE III
DADA a vingt-deux ans depuis toujours, il a un peu maigri depuis vingt-deux ans. DADA est marié avec une paysane qui aime les oiseaux.
CHAPITRE IV
DADA vit sur un coussin peplum, il est entouré de chrysan-thèmes qui portent des masques parisiens.
CHAPITRE V
Les passions humaines lui apparaissent sur les rives de l'optimisme, déchiquetées par l'antique poésie de Baudelaire
CHAPITRE VI
"Mais je deviens idiot !" s'écria DADA.
Le désir de s'endormir.
D'avoir un valet de chambre.
Un valet de chambre idiot, à l'autre bout de la chambre.
CHAPITRE VII
Le même valet de chambre ouvrit la porte, et, comme toujours, refusa de nous laisser entrer. De loin nous avons reconnu la voix de DADA.
FRANCIS PICABIA.
Martigues, 12 février 1920.
P. 7
Développement Dada
L'homme a le respect du langage et le culte de la pensée ; s'il ouvre la bouche, on voit sa langue sous globe et la naphtaline de son cerveau empeste l'air.
Pour nous, tout est une occasion de s'amuser. Quand nous rions, nous nous vidons et le vent passe en nous, remuant portes et fenêtres, introduisant en nous la nuit du vent.
Du vent. Ceux qui sont venus avant nous sont des artistes. Les autres sont des malins. Exploitons les malins, plaçons-nous et l'idiot aussi à la place de la tête et de la main.
Nous avons besoin de distractions. Nous resterons ce que nous sommes ou ce que nous serons. Nous avons besoin d'un corps libre et vide, nous avons besoin de rire et nous n'avons besoin de rien.
PAUL ELUARD.
Littérature et le reste
On m'a répété plus de deux cents fois (peut-être trois cents) que deux et deux font quatre. C'est tant mieux, ou tant pis. Mais la main qui est là, ouverte devant vous, ces cinq doigts existent, ou n'existent pas. Je m'en moque comme de l'an quarante. Les beaux mots bordés de plumes ou de petites fusées odorantes, les périodes construites avec des cailloux transparents ne valent pas les deux sous que je vous jette à la figure.
Qui donc osera semer dans vos cervelles plus maigres et plus petites que les feuilles des saules, cette plante ridicule qu'on appelle l'ivraie ou le blé. Qu'on s'amuse si l'on veut à m'arracher les yeux et à regarder ce qui pousse sur le fumier qui me sert de cerveau. Vous n'y verrez rien, parce qu'il n'y a rien. Vous tous qui êtes gonflés d'idées et de principes comme des oies et qui me ressemblez comme des frères, allez vous promener dans les champs et rappelez-vous que le blé qui lève est un roman de Monsieur René Bazin.
Mais moi, qui suis tout seul ici devant ces murs de plâtre, j'ai compris que tous mes amis, assassins ou littérateurs, sont aussi bêtes que moi. Les plus coupables sont ceux qui s'amusent à se prendre au sérieux.
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- Pourquoi avez-vous écrit un manifeste ? m'a-t-on crié.
J'écris un manifeste parce que je n'ai rien à dire.
La littérature existe, mais dans le cœur des imbéciles.
Il est absurde de diviser les écrivains en bons et en mauvais. D'un côté, il y a mes amis, et de l'autre, le reste.
Quand tous mes contemporains auront compris toutes ces choses, peut-être qu'à ce moment, on respirera plus aisément et qu'on pourra ouvrir les yeux ou la bouche sans risquer d'être asphixié. J'espère, d'ailleurs, que ces gens dont je parlais et qui ont pour moi le plus délicieux mépris ne comprendront jamais rien. C'est la grâce que je leur souhaite.
Qu'ils hurlent au nom de la morale, de la tradition ou de la littérature, c'est toujours le même hurlement, le même vagissement. Leur sourire dédaigneux m'est aussi doux que la rage de leurs épouses majestueuses. Ils peuvent me mépriser ; ils n'arriveront jamais à savoir ce que je pense de moi-même, parce que ma vie s'écoule dans le sens des aiguilles d'une montre.
Tous ces gens qui sont ici n'auront même pas le courage de siffler pour exprimer leur dégoût. Moi, j'ai le courage de siffler et de crier que ce manifeste est idiot et plein de contradictions, mais je me consolerais tout à l'heure en me disant que cette fameuse littérature, la fleur de pissenlit qui est née dans le diaphragme des crétins, est encore plus bête.
PHILIPPE SOUPAULT.
Pâtisserie Dada
La table est ronde, le ciel est fort, l'araignée est menue, le verre est transparent, les yeux ont dix couleurs différentes, Louis Aragon a la croix de guerre, Tzara n'a pas la syphilis, les éléphants sont silencieux, la pluie tombe, une automobile se déplace plus facilement qu'une étoile, j'ai soif, les courants d'air sont inutiles, les poètes sont des pelotes à épingles - ou des cochons, le papier à lettre est commode, le poêle tire bien, le poignard tue bien, le revolver tue mieux, l'air est toujours trop profond.
Tout cela, nous l'avalons, et si nous le digérons, nous nous en foutons absolument.
PAUL ELUARD.
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Patinage Dada
Nous lisons les journaux comme les autres mortels. Sans vouloir attrister personne, il est permis de dire que le mot DADA se prête facilement aux calembours. C'est même un peu pourquoi nous l'avons adopté. Nous ne savons pas le moyen de traiter sérieusement un sujet quelconque, à plus forte raison ce sujet : nous. Tout ce qu'on écrit sur DADA est donc pour nous plaire. Il n'est pas un fait-divers pour lequel nous ne donnerions toute la critique d'art. Enfin la presse de guerre ne nous a pas empêchés de tenir le maréchal Foch pour un fumiste et le président Wilson pour un idiot.
Nous ne demandons pas mieux que d'être jugés sur nos apparences. On raconte partout que je porte des lunettes. Si je vous avouais pourquoi, vous ne me croiriez jamais. C'est en souvenir d'un exemple de grammaire : "Les nez ont été faits pour porter des lunettes ; aussi j'ai des lunettes." Comment dites-vous ? Ah oui, cela ne nous rajeunit pas.
Pierre est un homme. Mais il n'y a pas de vérité DADA. On n'a qu'à prononcer une phrase pour que la phrase contraire devienne DADA. J'ai vu Tristan Tzara sans voix pour commander une boîte de cigarettes dans un bureau de tabac. Je ne sais pas ce qu'il y avait. J'entends encore Philippe Soupault réclamer avec insistance des oiseaux vivants chez les marchands de couleurs. Moi-même, en cet instant, je rêve peut-être.
Une hostie rouge, après tout, vaut une hostie blanche. DADA ne promet pas de vous faire aller au ciel. A priori, dans les domaines de la littérature et de la peinture, il serait ridicule d'attendre un chef-d'œuvre DADA. Nous ne croyons non plus, naturellement, à la possibilité d'aucune amélioration sociale, si nous haïssons par-dessus tout le conservatisme et nous déclarons partisans de toute révolution, quelque qu'elle soit. "La paix à tout prix" c'était le mot d'ordre de DADA en temps de guerre comme en temps de paix le mot d'ordre de DADA c'est : "La guerre à tout prix."
La contradiction n'est encore qu'une apparence, et sans doute la plus flatteuse. Je ne me connais pas la moindre ambition : il vous semble pourtant que je m'anime : comment l'idée que mon flanc droit est l'ombre de mon flanc gauche, et inversement, ne me rend-elle pas tout-à-fait incapable de bouger ? Au sens le plus général du mot, nous passons pour
P. 10
des poètes parce qu'avant tout nous nous attaquons au langage qui est la pire convention. On peut très bien connaître le mot Bonjour et dire Adieu à la femme qu'on retrouve après un an d'absence.
DADA vous combat avec votre propre raisonnement. Si nous vous réduisons à prétendre qu'il est plus avantageux de croire que de ne pas croire ce qu'enseignent toutes les religions de beauté, d'amour, de vérité et de justice, c'est que vous ne craignez pas de vous mettre à la merci de DADA, en acceptant une rencontre avec nous sur le terrain que nous avons choisi, qui est le doute.
ANDRÉ BRETON.
Les plaisirs de Dada
Dada comme tout le monde a des plaisirs. Le principal plaisir de Dada est de se voir chez les autres. Dada excite le rire, la curiosité, ou la colère. Comme ce sont là trois choses très sympathiques, Dada est très content.
Dada est d'autant plus content qu'on rit de lui sans préparation. L'Art et les Artistes étant des inventions très sérieuses surtout lorsque cela ressort du Comique, on vient au Comique pour rire. Ici rien de cela. Nous ne prenons rien au sérieux. On rit donc, mais pour se moquer de nous. Dada est très content.
La curiosité est éveillée aussi. Les hommes sérieux, qui au fond savent comment on prépare les miracles dans le genre de ceux du Père la Colique ou des Larmes de la Vierge, se disent qu'il serait plus amusant de s'amuser avec nous. Ils ne veulent pas non plus faire crouler tout le Sacré Cœur de l'Art, les voici qui se frottent à nous pour avoir notre recette. Dada n'a pas de recette, mais il a toujours faim. Dada est très content.
Pour la colère, cela est délicieux. C'est comme ça que commencent les grandes amours. Le seul souci pour l'avenir serait d'être trop aimé. Il est vrai que resterait la faculté de renverser les rôles et à notre tour de rire, désirer, ou nous mettre en colère. Mais en attendant quelle somme de profit. La belle gueule de quelqu'un qui vomit les injures est grande ouverte, et Dada sait très bien jouer au basse-boule. Dada est très content.
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Dada aime aussi jeter des pierres dans l'eau, non pour voir ce qui va arriver, mais pour considérer stupidement les petites vagues. Les pêcheurs à la ligne n'aiment pas Dada.
Dada aime sonner aux portes, frotter les allumettes pour enflammer les cheveux et les barbes. Il met de la moutarde dans les ciboires, de l'urine dans les bénitiers, et de la margarine dans les tubes de couleur des peintres.
Il vous connait et connait ceux qui vous mènent. Il vous aime, et ne les aime pas. Avec vous, on peut s'amuser. Vous aimez probablement vivre. Mais vous avez de mauvaises habitudes. Vous aimez trop ce qu'on vous a appris à aimer. Les cimetières, la mélancolie, le tragique amoureux, les gondoles vénitiennes. Vous hurlez à la lune. Vous croyez à l'art et respectez les Artistes.
Il suffit de démolir tous vos petits châteaux de cartes et vous restituer votre entière liberté pour que vous soyez les amis de Dada. Méfiez-vous de ceux qui vous mènent. Ils se servent justement de votre amour inconsidéré du toc et du ténor pour vous conduire par le bout du nez, pour leur plus grand bien.
Tenez-vous donc à vos chaînes de telle manière qu'on peut impunément user de vous comme d'ours à montrer dans les foires ? Ils vous flattent et vous appellent Ours sauvages, Ours des Carpathes. Ils parlent de la liberté et des grandes montagnes. C'est pour récolter les gros sous des bourgeois spectateurs. Pour une vieille carotte et l'odeur du miel, vous dansez. Si vous n'étiez pas lâches et affaissés parce qu'on vous a trop fait considérer les hauteurs et les abstractions inexistantes, et toutes les balivernes montées en dogmes, vous vous dresseriez, et vous joueriez comme nous au jeu de massacre. Mais vous avez peur de ne plus croire, et de nager comme des bouchons à la surface d'une cantare, avec le seul souvenir de la limonade gazeuse. Vous ne savez pas qu'on peut n'être attaché à rien et être joyeux.
Si le jour vient où vous vous secouerez, Dada fera sonner ses mâchoires en signe d'amitié. Mais si vous vous délivrez des punaises pour garder des poux, Dada fera jouer son petit soufflet à insecticide.
Dada est très content.
GEORGES RIBEMONT-DESSAIGNES.
P. 12
Manifeste du Crocrodarium Dada
Les lampes statues sortent du fond de la mer et crient vive DADA pour saluer les transatlantiques qui passent et les présidents dada le dada la dada les dadas une dada un dada et trois lapins à l'encre de Chine par arp dadaïste en porcelaine de bicyclette striée nous partirons à Londres dans l'aquarium royal demandez dans toutes les pharmacies les dadaïstes de raspoutine du tzar et du pape qui ne sont valables que pour deux heures et demie.
ARP.
L'ART
Le principe du mot BEAUTÉ n'est qu'une convention automatique et visuelle. La vie n'a rien à faire avec ce que les grammairiens appellent la Beauté. La vertu comme le patriotisme n'existe que pour les intelligences moyennes vouées toute leur vie au sarcophage. Il faut tarir cette source d'hommes et de femmes qui regardent l'Art comme un dogme dont le Dieu est la convention acceptée. Nous ne croyons pas en Dieu, pas plus que nous ne croyons à l'Art, ni à ses prêtres, évêques et cardinaux.
L'Art n'est et ne peut être que l'expression de notre vie contemporaine. La Beauté, institut, ressemble uniquement au Musée Grévin et ricoche facilement sur l'âme des marchands et connaisseurs de l'Art, gardiens du Musée église des cristallisations du passé.
Tralala Tralala
Nous ne marchons pas
Nous ne nous nourrissons pas à l'office de souvenirs et des représentations de Robert Houdin.
Vous ne comprenez pas, n'est-ce pas, ce que nous faisons. Eh bien, chers Amis, nous le comprenons encore moins, quel bonheur, hein, vous avez raison. - Mais croyez-vous que Dieu savait l'Anglais et le Français ??? ???
Vous lui expliquez la Vie dans ces deux belles langues Tralala Tralala Tralala Tralala Tralala Tralala.
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Regardez donc avec votre odorat, oubliez les feux d'artifice de la beauté à 100,000, 200,000 ou 199,000,000 de dollars.
Et puis j'en ai assez, ceux qui ne comprennent pas ne comprendront jamais et ceux qui comprennent puisqu'il faut comprendre n'ont pas besoin de moi.
FRANCIS PICABIA.
Dada tue-Dieu
Le plus ancien et le plus redoutable ennemi de Dada s'appelle DIEU !
Il se place entre nous et toutes choses.
Il montre ses yeux fourbes quand nous nous penchons sur notre verre.
Il couche avec nos maîtresses et s'interpose entre leur peau et la nôtre.
Il se juche sur les épaules des généraux victorieux, des vieillards couronnés par les chutes des artistes bien achalandés. Plus haut qu'eux, il attire l'adoration des regards grand écart.
Il est le faussaire, le spéculateur, le dupeur, le grand forceur et le suprême truffeur de cervelles.
Il empoisonne la vie d'un tas d'imbéciles. Dieu est idiot, Dieu porte goître, Dieu porte beau, Dieu porte à gauche.
Combien de poètes, de peintres, de musiciens - gens plus que tous autres ignares - se chaussent chaque matin d'un Dieu comme d'un préservatif et ainsi camouflés offrent à l'adoration des foules leur bedaine verte !
Mais nous crions : ASSEZ de tous ces Dieux embêtants et empestants qui grouillent comme une atroce vermine mangetout !
Faisons VITE quelques fumigations corrosives pour purifier l'atmosphère et quelques lavages à l'eau de vie pour bien décaper la Maison...
Et PARTOUT de la poudre à punaises Dada ! Hygiène au pair !
Dada tue-Dieu.
Dada tue-tout.
Dada anti-tabou !
PAUL DERMÉE.
P. 14
Le Corridor
1° De même que le prénom Apollonie, duquel on peut voir le Panthéon tout comme de la rue Soufflot, est moins joli qu'un dog-cart, il est complètement inutile de penser que le plus bête d'entre nous est tout-de-même moins bête qu'il le paraît, donc encore plus bête. Quand on aura fini de louer certains messieurs particulièrement louches, sous prétexte qu'ils se conduisent toujours comme il faut, c'est-à-dire de façon idiote, on s'amusera peut-être, si l'on est de ceux qui, sans besoin de l'ouvrir, rejettent comme fastidieux "Aloïse ou l'Amour perverti" (chez Albin Michel). Qui s'est jamais rendu compte que toute précaution est insuffisante ? Ne pas oser se rasseoir, à cause des tendres coliques de lecture à usure hystéro-maniaque et par crainte de produire un effet ridicule, n'est pas une raison de regretter de s'être levé. Il paraît qu'à la fin de la troisième année, des entraîneurs en deviennent sauvages. Les habitants de l'Europe centrale ne savent pas leur bonheur de tenir pour uniquement dangereuses les conversations simples ! Au surplus, tout en caressant ses souliers vernis, est-il bien consolant de se dire qu'il existe sur terre des hommes inutiles ? Non, malgré tout. Car, à l'occasion, leurs yeux sont aussi humides de plaisir. Ils vivent, comme les autres, entre l'érotisme mou comme du beurre et le fatras cérébral de telle façon que quelquefois la démoniaque la plus calée avoue son embarras. (C'est là leur plus grand crime !) Un malheur rend si gai que l'on embrasse et que l'on repousse alternativement chaque conduite jusqu'à ce que la dernière, vivant de l'espérance de ne pas en être une, ne soit plus à repousser. Néanmoins, que l'on ne prenne peut-être pas pour une boutade ces paroles de Napoléon, à qui l'on donnait à relire sa proclamation égyptienne : "C'est un peu hâbleur !" (Ce sont les paroles de l'excellent homme.) On ne pourra qu'avoir une orientation plus nette, lorsqu'on aura réussi à entrer en conversation avec sa propre prostate. Probablement. D'ici-là, la seule position vraiment digne de l'homme est de rester couché en effigie, mais toujours sur la partie du corps la plus comique, produisant ainsi un effet exorbitant sur le ciel.
2° On n'est pas encore assez résigné à tout. Voilà ce qu'on devrait apprendre à l'école primaire et ce que, malade, il est bon de s'entendre dire sans cesse dans le dos.
3° Mais chacun renonce à la fermeté, pour peu qu'un autre
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lui semble se conduire niaisement, aussi vrai que le bon Dieu n'est qu'une médecine banale et que l'on n'aime presque plus rien, quand on a cessé de s'aimer soi-même. La joie dernière n'en est pas moins considérable. Il faut la voir se boucler entre les plis du ventre, lorsqu'on réussit, avant de s'endormir, à rattraper les filouteries qui le jour échappent objectivement au cerveau. Ce n'est évidemment pas avec cela qu'on soutire des gaz à un cadavre, si à la rigueur on en soutire à Maurice Barrès qui passe pour être encore vivant.
Dr VAL SERNER.
Dada est américain
Le cubisme est né en Espagne ; la France s'en est approprié les brevets sans garantie du gouvernement. Malheureusement, comme les allumettes françaises, le cubisme ne prend pas ; les surfaces de la boîte manquent de phosphore. M. Rosenberg est en train de fabriquer une boîte énorme, mais les allumettes qu'il y cache sont mouillées, surnageant sur un liquide moisi.
Le cubisme était espagnol, il est devenu alsacien-lorrain, il danse sur les tapis rouges officiels de quelques galeries parisiennes et mercantiles.
Impossible pour lui de crier : Vive DADA ; c'est un poitrinaire sur une chaise-longue ; toute jeunesse s'est envolée de ses yeux méchants ; il ne fait penser à cette vieille dame, Roch Grey, qui n'aime pas les enfants et parle avec le plus grand mépris des pouponnières.
J'ai été obligé de parler un peu du Cubisme, ayant été un de ceux qui attendaient beaucoup de ce mot géométrique ; je suis forcé d'avouer ma désillusion et, en même temps, ma joie à contempler DADA, le représentant mondial de tout ce qui est jeune, vivant, sportif ; Dada dont la religion ne sort pas d'une cathédrale appendicite.
DADA est américain, DADA est russe, DADA est espagnol, DADA est suisse, DADA est allemand, DADA est français, belge, norvégien, suédois, monégasque. Tous ceux qui vivent sans formule, qui n'aiment des musées que le parquet, sont DADA ; les murs des musées sont Père Lachaise ou Père la Colique, ils ne seront jamais Père Dada. Les vraies œuvres Dada ne doivent vivre que six heures.
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Moi, Walter Conrad Arensberg, poète américain, je déclare que je suis contre Dada, ne voyant que ce moyen d'être sur dada, sur dada, sur dada, sur dada.
Bravo, bravo, bravo. Vive Dada.
WALTER CONRAD ARENSBERG.
New-York
33 Ouest 67 street.
Manifeste de M. Antipyrine
L'auteur président étant malade a perdu son manifeste. Nous reproduisons, extrait de "La première aventure céleste de M. Antipyrine." (Zurich, 1916, Collection Dada, épuisé), le manifeste lu à la première soirée Dada, à Zurich, le 14 juillet 1916, à la salle Waag.
DADA est notre intensité : qui érige les baïonnettes sans conséquence la tête sumatrale du bébé allemand ; Dada est la vie sans pantoufles ni parallèle ; qui est contre et pour l'unité et décidément contre le futur ; nous savons sagement que nos cervaux deviendront des coussins douillets, que notre antidogmatisme est aussi exclusiviste que le fonctionnaire et que nous ne sommes pas libres et crions liberté nécessité sévère sans discipline ni morale et crachons sur l'humanité.
DADA reste dans le cadre européen des faiblesses, c'est tout de même de la merde, mais nous voulons dorénavant chier en couleurs diverses pour orner le jardin zoologique de l'art de tous les drapeaux des consulats.
Nous sommes directeurs de cirque et sifflons parmi les vents des foires, parmi les couvents, prostitutions, théâtres, réalités, sentiments, restaurants. Hohi, hoho, bang, bang.
Nous déclarons que l'auto est un sentiment qui nous assez choyé dans les lenteurs de ses abstractions et les transatlantiques et les bruits et les idées. Cependant nous extériorisons la facilité, nous cherchons l'essence centrale et nous sommes contents pouvant la cacher ; nous ne voulons pas compter les fenêtres de l'élite merveilleuse, car Dada n'existe pour personne et nous voulons que tout le monde comprenne cela, car c'est le balcon de Dada, je vous assure. D'où l'on peut entendre les
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marches militaires et descendre en tranchant l'air comme un séraphin dans un bain populaire pour pisser et comprendre la parabole.
DADA n'est pas folie, ni sagesse, ni ironie, regarde-moi, gentil bourgeois.
L'art était un jeu noisette, les enfants assemblaient les mots qui ont une sonnerie à la fin, puis ils pleuraient et criaient la strophe, et lui mettaient les bottines des poupées et la strophe devint reine pour mourir un peu et la reine devint baleine, les enfants couraient à perdre haleine.
Puis vinrent les grands ambassadeurs du sentiment qui s'écrièrent historiquement en chœur :
Psychologie psychologie hihi
Science Science Science
Vive la France
Nous ne sommes pas naïfs
Nous sommes successifs
Nous sommes exclusifs
Nous ne sommes pas simples
et nous savons bien discuter l'intelligence.
Mais nous, DADA, nous ne sommes pas de leur avis, car l'art n'est pas sérieux, je vous assure, et si nous montrons le crime pour dire doctement végétation, c'est pour vous faire du plaisir, bons auditeurs, je vous aime tant, je vous aime tant, je vous assure et je vous adore.
TRISTAN TZARA.
Géographie Dada
L'anecdote historique est d'importance secondaire. Il est impossible de savoir où et quand DADA prit naissance. Ce nom qu'il plut à l'un de nous de lui donner à l'avantage d'être parfaitement équivoque.
Le cubisme fut une école de peinture, le futurisme un mouvement politique : DADA est un état d'esprit. Opposer l'un à l'autre révèle l'ignorance ou la mauvaise foi.
La libre-pensée en matière religieuse ne ressemble pas à une église. DADA, c'est la libre-pensée artistique.
Tant qu'on fera réciter des prières dans les écoles sous forme
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d'explications de textes et de promenades dans les musées, nous crierons au despotisme et chercherons à troubler la cérémonie.
DADA ne se donne à rien, ni à l'amour, ni au travail. Il est inadmissible qu'un homme laisse une trace de son passage sur la terre.
DADA, ne reconnaissant que l'instinct, condamne à priori l'explication. Selon lui, nous ne devons garder aucun contrôle sur nous-mêmes. Il ne peut plus être question de ces dogmes : la morale et le goût.
ANDRÉ BRETON.
AU PUBLIC
Avant de descendre parmi vous afin d'arracher vos dents gâtées, vos oreilles gourmeuses, votre langue pleine de chancres.
Avant de briser vos os pourris -
D'ouvrir votre ventre cholérique, et d'en retirer, à l'usage des engrais pour l'agriculture, votre foie trop gras, votre rate ignoble et vos rognons à diabète -
Avant d'arracher votre vilain sexe incontinent et glaireux -
Avant d'éteindre ainsi votre appétit de beauté, d'extases, de sucre, de philosophie, de poivre et de concombres métaphysiques, mathématiques et poétiques -
Avant de vous désinfecter au vitriol et de vous rendre ainsi propres et de vous répoliner avec passion -
Avant tout cela -
Nous allons prendre un grand bain antiseptique -
Et nous vous avertissons -
C'est nous les assassins -
De tous vos petits nouveaux-nés -
Et pour finir il y a une chanson
Ki Ki Ki Ki Ki Ki Ki
Voici Dieu à cheval sur un rossignol -
Il est beau, il est laid -
Madame, ta gueule elle sent la laitance de souteneur.
Le matin -
Car le soir on dirait le cul d'un ange amoureux d'un lis -
C'est joli, n'est-ce pas ?
Adieu, mon ami.
GEORGES RIBEMONT-DESSAIGNES.
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Ombrelle Dada
Vous n'aimez pas mon manifeste ?
Vous êtes venus ici pleins d'hostilité et vous allez me siffler avant même de m'entendre ?
C'est parfait !! Continuez donc, la roue tourne, tourne depuis eu Adam, rien n'est changé, sauf que nous n'avons plus que deux pattes au lieu de quatre.
Mais vous me faites trop rire et je veux vous récompenser de votre bon accueil, en vous parlant d'Aaart, de Poésie et d'etc. d'etc. ipécacuanha.
Avez-vous déjà vu au bord des routes entre les orties et les pneus crevés, un poteau télégraphique pousser péniblement ?
Mais dès qu'il a dépassé ses voisins, il monte si vite que vous ne pourriez plus l'arrêter... jamais !
Il s'ouvre alors en plein ciel, s'illumine, se gonfle, c'est une ombrelle, un taxi, une encyclopédie ou un cure-dent.
Etes-vous contents maintenant ? Eh bien, c'est tout ce que j'avais à vous dire. C'est ça la Poéésie, croyez-moi.
- Poésie = cure-dent, encyclopédie, taxi ou abri-ombrelle, et si vous n'êtes pas contents...
A LA TOUR DE NESLE
CÉLINE ARNAULD.
Machine à écrire Dada
Depuis que nous sommes au monde, quelques paresseux ont essayé de nous faire croire que l'art existait. Aujourd'hui, nous qui sommes plus paresseux encore, nous crions : "L'Art, ce n'est rien."
Il n'y a rien. Quand tous nos contemporains auront accepté de gré ou de force ce que nous leur disons, ils oublieront vite l'immense farce qui a nom l'art.
Pourquoi s'obstiner.
Il n'y a rien :
Il n'y a jamais rien eu.
Vous pouvez crier et nous lancer à la tête tout ce qui vous tombera sous la main, vous savez très bien que nous avons raison.
Qui me dira ce que c'est que l'Art ?
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Qui osera prétendre connaître la Beauté ?
Je tiens à la disposition de mes auditeurs cette définition de l'Art, de la Beauté et tout le reste :
L'Art et la Beauté = RIEN.
Vous allez encore crier naturellement ou rire.
Ecoutez-moi.
Un jour, il y a quelques années, un nommé Jésus-Christ guérissait les aveugles et les sourds. Personne ne faisait attention à lui. Les médecins s'inquiétèrent et se réunirent. Puis, quelques-uns allèrent parler au ministre de l'hygiène et on décora le nommé Jésus-Christ des palmes académiques.
A mon tour, je veux vous ouvrir les yeux et vous riez.
Vous ne serez jamais sérieux.
PHILIPPE SOUPAULT.
Cinq moyens pénurie Dada ou deux mots d'explication
Vous déchirez une feuille de papier, de préférence la page 35-36 de poésie RON RON, vous l'allumez,
tous les livres DADA sont bien imprimés, cela doit tenir aux procédés DADA, qui existèrent.
La rue pavée de becs de gaz, les corridors à coulisse fournissent DADA.
DADA, au dernier moment, depuis longtemps pour d'autres, n'a ni fournisseurs ni procédés
mais on en fait courir le bruit activement, les grammaires, les dictionnaires et les manifestes étant encore nécessaires.
MORALE :
Nous voyons tout, nous n'aimons rien,
nous sommes indifférents,
In-di-ffé-rents,
nous sommes morts, mais nous ne pourrissons pas, parce que nous n'avons jamais le même cœur dans la poitrine, ni le même cerveau dans la tête.
Et nous aspirons ce qui est autour de nous, autour de nous, nous ne faisons RIEN, satisfaction Dada.
PAUL ELUARD.
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Révélations sensationnelles
Si lentement que j'ouvre les paupières, mes yeux n'arrivent à supporter qu'une seule lumière plus douce pour eux que votre colère à mon cœur : c'est l'amitié contre laquelle les doutes viennent mourir en petits ruchets impuissants. Elle me mène au bout du monde, elle me perd et j'attends.
Aujourd'hui, vous me voyez abominablement triste. Tout ce qui part de mon cœur est une fusée sans feu. Cette image va vous déplaire. Je commence déjà à vous ennuyer. Je ne vous injurierai même plus. On ne sait pas où commence la lassitude, on ne sait pas où elle finit. Je vous regarde et vous me regardez. Quelle opprobre anodin trouverez-vous à me jeter en guise de rameau béni ? Je ne cherche ni à vous imposer silence, ni à vous faire crier. Je ne connais plus aujourd'hui que ce grand vide en moi à cause de tous ceux qui sont mes amis comme les gouttes d'eau du fleuve sont les amies de la goutte qu'elles entraînent à la mer. Si vous voulez répondre de quelqu'un vous dites : Je suis sûr de lui comme de moi-même. Or, s'il existe au monde un homme dont je ne puis psychologiquement pas être sûr, c'est moi. J'ignore ma loi ; quel continuel changement permet que les autres me reconnaissent et m'appellent par mon nom ; je ne peux pas me voir de profil. A tout instant je me trahis, je me démens, je me contredis : Je ne suis pas celui en qui je placerai ma confiance. Il n'y a pas là de quoi désespérer. Mais vous savez bien qu'un regard de mes amis suffit à bouleverser mes projets, voilà pourquoi nous sommes amis. Je quitte tout pour perdre mon temps avec eux, je m'abandonne moi-même. Sans doute croyez-vous que j'ai en eux cette confiance que je me refuse ? Détrompez-vous. Je connais leurs travers, mille choses me choquent en eux. Ils font ce que je ne ferais pas pour tout l'or du monde.
Je les sais sans grande affection pour moi. Il y a longtemps que nous ne portons plus sur nous les petites balances qui servent à apprécier la valeur personnelle. Je ne crois pas en mes amis comme je ne crois pas en moi.
Mes amis sont ceux-là à la merci desquels je me suis mis pour des raisons imbéciles mais fortes en mon cœur. Il y a un torrent qui m'entraîne, et je le reconnais mon maître et je le flatte de la voix.
Vous qui restez figés dans cette salle comme une flaque de boue, ne me demandez pas le chemin que je prendrai pour sortir de ce monde, ni ce qui me plie à une force étrangère. L'homme dont le corps est
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pris désormais dans l'engrenage vous parle avec sérénité : n'écoutez pas les mots qu'il forme, entendez seulement le chant monotone de ses lèvres.
Aujourd'hui vous me voyez abominablement triste.
LOUIS ARAGON.
Manifeste de Monsieur Aa l'antiphilosophe
Sans la recherche de je t'adore
qui est un boxeur français
valeurs maritimes irrégulières comme la dépression de Dada dans le sang du bicéphale
je glisse entre la mort et les phosphates indécis
qui grattent un peu le cerveau commun des poètes dadaïstes
heureusement
car
or
mine
les tarifs et la vie chère m'ont décidé à abandonner les D
ce n'est pas vrai que les faux Dada me les ont arrachés puisque
le remboursement commencera dès
voilà de quoi pleurer le rien qui s'appelle rien
et j'ai balayé la maladie en douane
moi carapace et parapluie du cerveau de midi à deux heures d'abonnement
superstitieux déclanchant les rouages
du ballet spermatozoïde que vous trouverez en répétition générale dans tous les cœurs des individus suspects
je vous mangerai un peu les doigts
je vous paye le réabonnement à l'amour en celluloïd qui grince comme les portes de métal
et vous êtes des idiots
je reviendrai une fois comme votre urine
renaissante à la joie de vivre le vent accoucheur
et j'établis un pensionnat de souteneurs de poètes
et je viens encore une fois pour recommencer
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et vous êtes tous des idiots
et la clef du selfcleptomane ne fonctionne qu'à l'huile crépusculaire révolutionnaire
sur chaque nœud de chaque machine il y a le nez d'un nouveau-né
et nous sommes tous des idiots
et très suspects d'une nouvelle forme d'intelligence et d'une nouvelle logique à la manière de nous même
qui n'est pas du tout Dada
et vous vous laissez entraîner par le Aaïsme
et vous êtes tous des idiots
des cataplasmes
à l'alcool de sommeil purifié
des bandages
et des idiots
vierges
TRISTAN TZARA
La grève qui vient de se terminer et qui a interrompu notre publication pendant 2 mois, nous oblige aussi à mettre désormais Littérature à 2 francs. La plupart des revues vont être dans la nécessité d'augmenter aussi leur prix de vente, car aux nouveaux tarifs des salaires vient s'ajouter une hausse considérable sur papier et les prix de transports.
Le tarif des abonnements est fixé à 20 francs par an pour la France et à 25 francs pour l'étranger.
Bien entendu, les abonnements en cours seront servis jusqu'à leur achèvement sans augmentation de prix et nos abonnés n'ayant pas reçu les nos de mars et d'avril, non publiés, verront d'office la durée de leur abonnements prolongée de deux numéros, afin qu'ils ne subissent aucun dommage.
Dès que les évènements nous le permettront, nous examinerons s'il nous est possible de revenir à un prix de vente moins élevé et nous serons heureux dans ce cas d'en faire profiter nos fidèles lecteurs.
Le gérant : PHILIPPE SOUPAULT.
AU SANS PAREIL, 37, Avenue Kléber, Paris (16e)
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Dépôt général de toutes les publications DADA
DADA (TRISTAN TZARA, dir.r) ; CANNIBALE (F. PICABIA, dir.r)
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"391" ; "DIE SCHAMMADE."
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