Littérature (nouvelle série) n° 9, février-mars 1923
DIRECTEUR :
ANDRÉ BRETON
= Rédaction : 42, rue Fontaine, PARIS (IXe) =
Administration : LIBRAIRIE GALLIMARD, 15, boulevard Raspail, PARIS
LITTÉRATURE paraît le 1er de chaque mois
SOMMAIRE
Arthur Rimbaud | Deux sonnets inconnus. |
Louis Aragon | Agadir. |
André Breton, Robert Desnos, Benjamin Péret | Comme il fait beau. |
Francis Picabia | Électrargol. |
Paul Eluard | Pour se prendre au piège. |
Max Ernst | Avis. |
Roger Vitrac | Peau-Asie. |
Jacques Baron | Campagne. |
M.-A. Cassanyes | Exposition Picabia. |
Francis Picabia | Académisme. |
Francis Picabia | État d'âme. |
Louis Aragon | Il m'est impossible de considérer la mort de Marius Plateau... |
Louis Aragon | Manège de cochon |
HORS-TEXTE : MONSIEUR... par Man RAY
PRIX DU NUMÉRO
France : 2 francs. - Etranger : 2 fr. 50
ABONNEMENTS
Les 12 numéros : 20 francs pour la France et 25 francs pour l'Étranger
La Collection de la première série de LITTÉRATURE comprend 20 numéros dont plusieurs sont épuisés et se vend 40 francs
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DEUX SONNETS INCONNUS DE RIMBAUD
I
Les anciens animaux saillissatent, même en course,
Avec des glands bardés de sang et d'excrément.
Nos pères étalaient leur membre fièrement
Par le pli de la gaîne et le grain de la bourse.
Au moyen-âge, pour la femelle, ange ou pource,
Il fallut un gaillard de solide gréement ;
Même un Kléber, d'après la culotte qui ment
Peut-être un peu, n'a pas dû manquer de ressource.
D'ailleurs l'homme au plus fier mammifère est égal ;
L'énormité de leur membre à tort nous étonne ;
Mais une heure stérile a sonné : le cheval
Et le bœuf ont bridé leurs ardeurs et personne
N'osera plus dresser son orgueil génital
Dans les bosquets où grouille une enfance bouffonne.
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II
Nos fesses ne sont pas les leurs. Souvent j'ai vu
Des gens déboutonnés derrière quelque haie
Et dans ces bains sans gêne où l'enfance s'égaie
J'observais le plan et l'effet de notre cul.
Plus ferme, blème en bien des cas, il est pourvu
De méplats évidents que tapisse la claie
Des poils ; pour elles c'est seulement dans la raie
Charmante que fleurit le long satin touffu.
Une ingéniosité touchante et merveilleuse
Comme l'on n'en voit qu'aux anges des saints tableaux
Imite la joue où le sourire se creuse.
Oh ! De même être nus, chercher joie et repos
Le front tournés vers sa portion glorieuse
Et, libres tous les deux, murmurer des sanglots ?
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AGADIR
(1) Avant-propos a une histoire littéraire contemporaine.
Un petit nombre de faits éclatants, moins par leurs effets que par leur valeur parlante, marque d'un sceau commun toute une génération ; et de les avoir connus, de les avoir reçus comme un choc vers le même âge, vers le même instant de leur esprit, unit d'une façon mystérieuse, indélébile, quelques milliers d'individus si dissemblables qu'on ne comprend pas dês l'abord ce qui crée entre eux cet air de famille, cette parenté vexante. La date de naissance, un graphologue expert pourrait la deviner à l'écriture, par la ressemblance des écritures strictement contemporaines, et ce n'est encore qu'une grossière image de la réalité : les manières de penser, les associations d'idées, voilà qui constitue les traits de cette ressemblance, voilà ce qui nous permet d'écrire avant toute chose le mot de génération, ce qui rend naturel que je parle ici de ma génération. C'est d'elle, que je le veuille ou non, que je puis écrire l'histoire.
La mentalité poétique d'une époque. Elle naît dans l'infinie variation des circonstances de ces quelques éclairs soudains qui commençaient ma première phrase. Ce sont des traumas affectifs capables d'ébranler ces hommes qui apprennent à vivre. Leur violence est singulière et dépasse de beaucoup celle de ces traumas décelables au départ des psychoses individuelles : ils forment le fond de la psychose d'une nation ou d'un monde. Le mal du siècle, disait-on hier, croyant tout expliquer. Cela pourrait aussi, si nous étions lunés autrement, se nommer le bien du siècle. Au vrai, il s'agit ici d'un fait incontestable, en dehors de toute appréciation morale ; il est temps de considérer l'histoire, surtout la nôtre, avec des yeux froids. Ceci ne veut pas être un cours de pathologie.
Il est difficile de préjuger du retentissement d'un fait sur le monde. Qui sait pourquoi des faits énormes, et qui dès l'abord retiendraient un véritable historien, ont eu si peu d'importance pour les enfants que
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nous avons été ? J'ai quelque plaisir aujourd'hui à les négliger soigneusement. Depuis l'Exposition Universelle, grand soleil couché dans les limbes de nos mémoires, qu'est-ce qui se leva sur ces dix premiers ans du siècle, qui pût éclipser, je ne dis pas la Tour Eiffel, la grande Roue ou l'un de ces pavillons orientaux dont la splendeur se perpétua dans les intérieurs bourgeois grâce à quelque objet acheté ou aux conversations des repas quotidiens, mais le TAPIS ROULANT, cette merveille des merveilles, sur lequel au début de notre âge défile les yeux écarquillés une procession monstrueuse accourue par les mers et par les routes avec la naïve foi de la science et de la raison ? A peine si Port-Arthur jette un feu rouge à l'est de nos yeux puérils ; nous n'entendons que l'écho de l'aventure de Jacques Lebaudy, empereur du Sahara. Déjà le mirage africain s'éteint dans nos cervelles enfantines. Nous sommes des Peaux-Rouges, des trappeurs, et nous jouons le drame des prairies occidentales. Nous chassions encore les chevelures tandis que se poursuivait cette ennuyeuse et incompréhensible plaisanterie d'Algésiras, qui alimentait les chansons de nos aînés. Nous les chassions toujours, lorsque le vent tourna, et, lourd des sables blancs du désert, nous apporta, pendant des vacances qui furent plus belles que jamais, la voix du grand monarque, blanc vêtu, et ce nom plus mystérieux que l'arithmétique : Agadir.
Première panique. Ainsi sur les balançoires, à la descente, l'enfant découvre à la fois la pensée de la mort et celle de l'amour. Rappel soudain des Chambres. Voici que les hommes s'envisagent périssables. « Nous vivons, me dit tout à coup quelque imbécile, dans des temps historiques », et ce personnage falot, par ce propos ridicule, m'apprend du coup à me considérer sur le plan dramatique, enfant des époques sauvages, galérien des siècles barbares. Une année déjà, vers le premier mai, les propos terrifiés des grandes personnes m'avaient évoqué les visages grimaçants de la foule révolutionnaire à la fenêtre du dauphin dans les caves du Musée Grévin, et huit jours j'avais regardé en silence la panoplie de l'antichambre et le verrou de la porte d'entrée. Cette fois la convulsion semblait plus authentique. Et cette certitude profonde de la défaite inévitable. Quelques images simples, empruntées à la guerre de 70, traduisaient pour nous l'inquiétude de nos familles. C'étaient le tableau des Dernières Cartouches, les petites
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histoires du sièges dans les Contes du Lundi, les noms de Sedan et de Bazaine, vocables sans représentations, mais dont on connaît bien la signification honteuse, avec cette voix sourde, ce poing fermé qui les accompagne. Et aussi une petite chanson très mélancolique :
Ils ont brisé mon violon
Parce qu'il avait l'âme française.
Tout ce peuple de jeunes Buffalos s'arrête un peu étonné de cette nouvelle page de manuel scolaire : il avait cru que la plus pressante occupation du monde était de savoir dissimuler la trace de ses pas, ou sortir d'une couverture en lui laissant la forme du dormeur. Est-ce la sonorité du mot qui les retint - AGADIR-AGADIR - on ne saura jamais ce qui fit lever pour la première fois la tête à ces inventeurs et à ces apaches.
Pendant deux ou trois ans, ils comptèrent les évènements d'après ce Noël magnétique : « C'était avant Agadir, c'était tout de suite après Agadir... » puis ils jouèrent aux détectives et oublièrent le fantôme blanc des officiers et des joueurs de manille.
Louis ARAGON.
ACADÉMISME
A André Breton.
Quand Ingres écrivit : « Le dessin est la probité de l'art », il pensait que le dessin et la peinture étaient purement arts d'imitation.
Messieurs les charpentiers constructeurs élèvent un échafaudage autour d'une cathédrale construite par Ingres.
Ils regardent cette cathédrale, les enseignes lumineuses et les machines ainsi que la grenouille regardait le bœuf... Ce qu'ils appellent bâtir c'est fabriquer, leur art est un cancer s'alimentant de la jobarderie d'amateurs crédules ; un homme est très rarement intéressant, une bande d'ouvriers sent toujours mauvais.
Quant aux petites revues, soi disant modernes genre « Feuilles libres », elles vivent subventionnées par deux ou trois marchands ou gigolos, les premiers espèrent la fortune, les autres l'intelligence.
Tous cela, mes chers amis, est artificiel ; ce qui restera de notre époque est au-dessus des marchands et des éditeurs ; au-dessus de la boue imbécile des critiques et des habitués des salles de vente.
F. P.
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COMME IL FAIT BEAU !
A MAX ERNST.
Dans la forêt tropicale. A droite l'arbre généalogique laissant voir l'arbre à ressort qui monte et descend durant toute la scène. Un banyan occupe toute la gauche. Enormes pensées de toutes parts. Une glace tient lieu de fond.
Deux singes, un insecte-feuille. Au lever du rideau le premier singe complète à la craie l'arbre généalogique sur lequel figurent déjà un certain nombre de noms : Sade, Nouveau, Chirico, Cravan, Hegel, Vaché, Lebaudy. Sous la dictée du deuxième singe on le voit remplir les écussons vacants : Lautréamont, Henri Rousseau, Roussel, Néron, Apollinaire, Mongolfier, Freud, Rimbaud, Galilée, Jarry, Marat, Robespierre, Colomb, Fantômas, Deschanel, Rosa-Josepha et enfin Silexame. Ceci fait, le premier singe descend précipitamment de l'arbre généalogique et se recroqueville à terre.
DEUXIÉME SINGE. - J'ai une main qui n'a pas de poils, j'ai une main qui n'a pas de poils, (les deux bras étendus) elle est plus grande que l'autre. Les fruits, n'est-ce pas, il n'y a pas moyen de les prendre : ils ne se détachent pas des arbres et quand on appuie dessus, on s'aperçoit qu'ils sont sonores. (Agitation.) Il y a de l'eau dans les arbres ; il y a de l'eau. L'air est lourd, c'est, c'est lourd, c'est comme une chose, c'est presque comme une chose liquide.
L'insecte-feuille, demeuré jusque-là invisible, descend à terre.
PREMIER SINGE. - Prends garde à la grande face blanche parce que la grande face blanche roule et qu'elle peut écraser les mains. Quand elle passe, les sexes sont attirés par elle et elle a le pouvoir de transformer l'air en sable.
L'INSECTE-FEUILLE. - Voyez comme je suis belle avec ma robe mica à microbes.
PREMIER SINGE. - Le sable est partout, partout. Les arbres diminuent. Le sable monte. Je sens mon sexe qui s'allonge, qui s'allonge. Ce n'est plus qu'un point. Il disparaît comme un nuage. (Il pleure.)
DEUXIEME SINGE. - C'est parce qu'il se suspend par la queue qu'il est dans le sable.
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L'INSECTE-FEUILLE. - De grands pans de temps s'écroulent sur les cartes muettes comme des carpes. (Silence).
Un énorme ver traverse la scène et disparaît.
(Silence).
L'INSECTE-FEUILLE. - En amour tout veut dire ride.
LE TAMANOIR (entre en criant). - Je vous le demande pour la millième fois peut-être : ne m'expliquez pas la nature des choses.
LE KANGUROO (entrant). - C'est comme moi. Que voulez-vous que je dise quand on me raconte une histoire comme ça : « Le Président de Gourgues a fait meubler à Mademoiselle Baligny-Fontaine un salon en damas cramoisi. Mais elle n'a rien de plus beau que ses bras de cheminée : son feu est d'or. Le ciel de son lit est en glace. Elle ne voudrait jamais dormir tant elle a de plaisir à s'y voir. Des guirlandes portent cette inscription : « Fais le bien », on ne sait si c'est un précepte d'amour ou de l'Evangile.
L'INSECTE-FEUILLE. - De la misère hystérique voyez sortir les mots historiques.
PREMIER SINGE. - Voilà un bien étrange animal (il montre le banyan). Il a l'air d'une touffe de branches tordues qui se ramifieraient à l'infini. Il est violet pâle. Je ne sais pas son nom mais cet animal est très triste parce qu'il a perdu son soleil. Il n'a pas de quoi le regretter pourtant, son soleil : c'était un soleil de fougère. Il répète tout le temps : « J'ai perdu mon soleil. » Il commence à nous embêter.
L'ARAIGNÉE (entre et grimpe à l'arbre à ressort). - Comme le banyan la société toute entière n'est qu'un ensemble de solidarités qui se croisent.
LE KANGUROO. - J'ai lu ce matin dans le Times que le comte de Rochefort a donné quinze louis à la grande La Croix. A mon avis c'est payer trop cher une descente de croix. Il est convenu lui-même qu'elle donnerait à teter, comme les négresses, par-dessus ses épaules.
LE TAMANOIR. - Ne prenez pas les citrons pour des œufs ni les pépins de citrons pour d'autres œufs. Ne prenez pas les fruits pour des yeux.
PREMIER SINGE. - Pigeon vole !
DEUXIEME SINGE. - Crise vole !
PREMIER SINGE. - Rouge vole !
DEUXIEME SINGE. - Dieu vole !
PREMIER SINGE. - Suicide vole !
DEUXIEME SINGE. - Dent vole !
PREMIER SINGE. - Volcan vole !
DEUXIEME SINGE. - Uni vole !
PREMIER SINGE. - Sinus vole !
DEUXIÉME SINGE. - Hostie vole !
PREMIER SINGE. - Pôle vole !
DEUXIEME SINGE. - 30 février vole !
PREMIER SINGE. - Nécessité vole !
Un énorme cocon blanc arrive en roulant et s'immobilise au milieu de la scène.
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DEUXIEME SINGE. - Crasse vole !
PREMIER SINGE. - Sergent vole !
DEUXIEME SINGE. - Enterrement vole !
PREMIER SINGE. - Je ne sais quoi vole !
LE TAMANOIR. - Je vous le demande pour la millième fois peut-être ! Ne m'expliquez pas la nature des choses.
L'ARAIGNÉE. - Fi ! le sot animal qui ne pense qu'à manger, boire et dormir.
L'INSECTE-FEUILLE. - Hélas ! tout m'empêche de dormir. Les racines me donnent des coliques, les sardines des crises de nerf. Si je fume une cigarette, je me promène somnambuliquement sur les toits. Impossible de boire un coktail sans être frappé d'amnésie. Vous croyez peut-être que je puis me venger sur le lait ? eh bien non, le lait me rend mystique. Je suis si impressionnable ! Je ne puis voir la mer où reposent tant de braves gens sans être porté à me laisser écraser entre deux feuillets des « Lusiades » que le vent tourne sur les récifs. Je ne puis vivre dans les contrées minières sans soutenir, au moyen d'une canne, mes forces défaillantes. Statues de cristal ou de soufre, l'immobilité dont votre vue me frappe est peut-être plus absolue que la vôtre. Je marche dans un perpétuel vertige depuis que j'ai rencontré une femme. Dès que je me regarde dans une glace, je pleure toutes les larmes de mon corps.
PREMIER SINGE. - Pour votre hémophilie, faites-vous des injections de gélatine, mais ayez soin de stériliser à 120° pour éviter le tétanos.
DEUXIEME SINGE. - N'oublions pas que la plus noble poésie est née de la douleur ; que la souffrance humaine nous a valu la pitié, la tendresse ; que le chagrin nous a souvent contraints, soit à de hautes réflexions, soit à l'activité salutaire. N'oublions pas non plus que le cerveau de l'homme ne perçoit que des différences, et qu'une joie qui ne finirait pas demeurerait inaperçue. C'est quand il commence à venir ou quand il cesse d'être que nous goûtons notre bonheur. Et je comprends le chevalier Tannhaüser à qui les perpétuelles délices du Venusberg ne procurent plus que l'ennui et qui demande à s'en aller souffrir et travailler comme les autres.
L'INSECTE-FEUILLE. - Chats couverts de poux, quand donnerez-vous des chapeaux aux papous ?
Le cocon se fend dans le sens vertical. Il en sort un gros papillon qui bat des ailes un instant et disparaît pour faire place à une grande lampe à pétrole allumée. Le papillon est accueilli par les soupirs de tous les animaux. Dès qu'il a disparu l'escargot, l'insecte-tibia et le rhinocéros font leur entrée.
DEUXIEME SINGE. - Celui-ci sent bien mauvais. C'est gênant cette odeur. Quelle saleté !
L'INSECTE-TIBIA. - Si je sens, c'est pour mieux parler, mais ce que je dis est sans chaleur et je m'en vais, je fuis parce qu'une immense rondelle descend du haut du soleil. Sûrement le soleil va tomber sur elle.
LE KANGUROO. - La demoiselle Cornu a changé de peau : elle a débuté avec celle
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d'un mulâtre ; et ce sont actuellement des lys par-ci, des roses par-là. La blanchisseuse en trouve jusque dans son linge.
L'INSECTE-TIBIA. - Je suis celui qui sonne, celui qui sonne, celui que vous n'entendrez pas parce que dans vos oreilles s'agitent les serpents habituels. Pourquoi vous embarrassez-vous de serpents alors qu'il ferait si bon entendre les souffles ? (Il sort).
Tous les animaux font cercle autour de la lampe, l'insecte-feuille se jette sur le verre de lampe ; obscurité, cris d'épouvante, silence, puis dans une lumière adoucie apparition du Pied, la plante tournée vers le public. Le rhinocéros vient promener sa corne, de bas en haut, le long de la face interne du pied. Le gros orteil se fléchit lentement. Il reprend sa position normale après le départ du rhinocéros. L'escargot vient alors se placer devant le pied.
L'ESCARGOT. - I. Au commencement la gourmette créa le tabac et l'anthracite,
II. Le tabac était informe et glabre. Les fumées couvraient la face des promeneurs et l'esprit de la gourmette flottait sur l'alcool.
III. Or la gourmette dit : « Que les plombs sautent ! » et les plombs sautèrent.
IV. La gourmette vit que les plombs riaient et sépara les plombs des fumées.
V. Elle donna aux plombs le nom d'amour et aux fumées le nom de haine. Et du soir et du matin fut le dernier amour.
VI. La gourmette dit aussi : « Que la bouche soit faite au milieu de l'alcool et qu'elle sépare l'alcool d'avec l'alcool. »
VII. Et la gourmette fit la bouche et elle sépara l'alcool qui était dans la bouche de celui qui était en dehors de la bouche. Et cela se fit ainsi.
VIII. Et la gourmette donna à la bouche le nom de baiser. Et du soir et du matin fut le dernier amour.
IX. La gourmette dit encore : « Que l'alcool qui est sous le baiser se ressemble en un seul lieu et que l'élément aride disparaisse. » Et cela se fit ainsi.
X. La gourmette donna à l'élément aride le nom d'anthracite et elle appela serment tous les alcools assemblés. Et elle vit que cela était bon.
XI. La gourmette dit encore : « Que l'anthracite détruise le drapeau rouge qui sort de la gaîne et les égoutiers qui portent leur soif en eux-mêmes, chacun à sa manière, pour sommeiller sur l'anthracite. » Et cela se fit ainsi.
XII. L'anthracite détruisit donc le drapeau rouge qui sortait de la gaîne et les égoutiers qui portaient leur soif en eux-mêmes, chacun à sa manière. Et la gourmette vit que cela était bon.
XIII. Et du soir et du matin fut le dernier amour.
XIV. La gourmette dit aussi : « Que des langues de plomb soient faites dans la bouche du tabac afin qu'elles séparent l'amour d'avec la haine et qu'elles servent d'entonnoir pour mêler les désirs et les caprices, les amours et les passions ;
XV. Qu'elles luisent dans la bouche du tabac et qu'elles colorent l'alcool. » Et cela se fit ainsi.
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XVI. La gourmette fit donc deux grandes langues de plomb. L'une plus grande pour présider à l'amour et l'autre plus petite pour présider à la haine. Elle fit aussi les dents.
XVII. Et elle les mit dans la bouche du tabac pour luire sur l'anthracite.
XVIII. Pour présider à l'amour et à la haine, et pour séparer le plomb d'avec les fumées. Et la gourmette vit que cela était bon.
XIX. Et du soir et du matin fut le dernier amour.
L'escargot se retire. Fort bruit de moteur. Le pied disparaît cédant la place à un gyroscope en mouvement. Celui-ci finit par tomber et par disparaître à son tour.
LE TAMANOIR. - Je vous le demande pour la millième fois peut-être : ne m'expliquez pas la nature des choses.
L'ARAIGNÉE. - Il souffle sous ces arbres un vent de poésie absolument irrespirable. L'habileté de l'artiste qui lutte contre la nature en s'efforçant de la reproduire ressemblera toujours à celle de cet homme qui faisait passer des lentilles par une petite ouverture, et à qui Alexandre, pour récompenser son art, fit délivrer un boisseau de lentilles.
LE RHINOCÉROS. - Si ce vent vous étouffe, faites comme moi. Je connais près d'ici un petit marais bien boueux. (Il sort).
Apparition du madrépore (il chante) :
Les paris tenus au compte-gouttes
Bernent les drapeaux de l'isthme
Sur le soleil avec les taches des abbés
L'entonnoir pose les lèvres
Par une criminelle attention
Tu soutiens les cartes d'état-major
On presse sur la poire de velours
Et il s'envole des monticules percés
Le trottoir masque les neiges
Promises à l'équateur
Des boîtes de baptême tournantes
Sans bruit sur les tapis de tapioca
Les marchés se ternissent poulies
De caresses pour les vieux vents
Le madrépore est remplacé par un cheval.
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L'INSECTE-FEUILLE. - Cheval fleur de mes nerfs, dans quel chenal te baignes-tu pour devenir vert ?
Le cheval disparaît. A sa place une tête gigantesque se tient en équilibre sur le sol. Silence. Les animaux donnent des signes d'inguiétude : l'araignée s'enfuit, l'insecte-feuille reprend sa place primitive, le kanguroo saute de droite et de gauche, toutes les feuilles tombent, y comprises celles de l'arbre généalogique, et le tamanoir les balaie avec sa queue. Seul l'insecte-feuille demeure suspendu à une branche jusqu'à la fin de la scène. Le premier singe se laisse tomber à plat ventre, les bras en croix, et demeure immobile. Le second se dissimule derrière un arbre.
DEUXIEME SINGE. - Oôôôôô qu'est-ce que c'est ? Oôô on dirait un chant de grenouille. Et cette forme qui se dessine, c'est comme si elle était reflétée. Allons, bon, voilà que la touffe de branches rentre dans le sol. Quel sable !
LE KANGUROO. - Les filles se plaignent : toutes les robes d'hiver sont en gage pour avoir du taffetas.
DEUXIEME SINGE. - Ah ! le sable, le sable, l'air est plein de sable. Ah ! l'air est plein de sable. On ne peut plus respirer. On n'entend plus que la grande respiration (grand vent). Est-ce que j'ai des épines dans les veines ? Je ne puis plus respirer. Le sable. Voilà que les arbres se liquéfient.
L'OURS BLANC (traverse la scène en courant). - Je l'ai vu s'échapper des grands cadavres polaires depuis tous les futurs non accomplis. Il vient vers nous de toute la vitesse de ses brassées ondulatoires avec dans ses lèvres la seule particule admirable des sinus de Vénus et la semence qui fait que s'énerve Minerve.
L'INSECTE-FEUILLE. - Quelque chose comme une grande anémone sur laquelle resplendissent les trois couleurs composées et qui est transpercée dans son milieu par une jambe humaine. (Silence.) La grande anémone (voix haletante) s'échappe à la nage de sa cage sous-marine et son corps nous portera les parfums du nord.
LE KANGUROO. - Le boucher Colin entretient la demoiselle Pelin de viande : elle demande toujours de la culotte.
DEUXIEME SINGE. - Mais je sens des poils, des poils qui me frottent la figure, des piquants. Oh ! encore. On m'arrache les membres, on m'arrache les membres, on m'arrache les orteils. Mes doigts, qu'est-ce qu'ils font de mes doigts, qu'est-ce qu'ils font de mes doigts, qu'est-ce qu'ils font de mes doigts ? On me coupe la peau. La grande respiration. On me coupe la peau. On m'arrache les nerfs. Qui est-ce qui m'arrache les nerfs ? La grande respiration fait des flèches avec mes nerfs ! Et toujours le sable. Je ne vois qu'une chose pointue, des pointes qui s'avancent vers moi, qui me rentrent dans la poitrine. Oh ! je vois la fourchette, ça a une respiration terrible. Personne n'a l'air de savoir qui c'est. Ah ! la touffe de branches crie. Quand l'air sort de ses poumons c'est du sable, et quand il respire on sent la peau qui se détache du corps, la peau qui s'en va. Oh ! mon corps s'est ouvert comme une porte. Oôôôô on
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m'arrache l'estomac. Mes intestins qui se déroulent. Oôô mes côtes se brisent. Je vais mourir. (Il tombe comme le premier singe.)
Une voix à la cantonade récite :
LA GRANDE ODE AU SILEXAME
FUTURE MINERVE.
Le salut virginal des fleurs sans atmosphère est terminé enfin aujourd'hui 31 mars 1924.
Dans le musée de la ville natale de tous les poètes les statues antiques sont en sucre candi. Mais les poètes ne s'amusent pas à sucer les phallus de sucre candi. C'est toi qu'ils aiment, Silexame, toi dont on n'a jamais pu dire la nature, Silexame, Silexame, Silexame, Silexame. Si je devais te comparer à des choses communes je dirais que tu es semblable à ces produits pharmaceutiques aux noms suaves : Silexame hystogénol, Silexame urodonal, Silexame hermaphrodite, Silexame hexaméthylènetétramine, Silexame diéthylmalonylurée. Mais dans le cœur des maîtresses de ces poètes dédaigneux du sucre candi il y a :
Un océan de chloroforme qui a la propriété de transformer en airain le pancréas des navigateurs défunts. Mais le pancréas, cet organe dont des médecins réunis en conciles religieux ont dénaturé la portée sociale, ne saurait se contenter des maximes morales que l'on a mises sous son nom dans ces catéchismes appelés manuels d'histoire naturelle. Le pancréas des navigateurs, comme le pancréas des poètes, est un bloc de glace qui ne fond pas à la chaleur et qui ne reflète pas le visage des femmes. Ce poète inconnu des peuplades nègres, ce poète inconnu des tribus blanches, ce poète inconnu des astronomes, composa, vers la troisième période terrestre du soleil, la chanson du pancréas d'airain des poètes et des navigateurs qui ne reflète ni le visage des femmes ni le degré X + 1 du thermomètre centigrade :
« Dormir salut bonjour. C'est la chanson du pancréas, salicylate effroyable souvenir tous les parfums sont des sanglots dans les citadelles de vos cerveaux. Nous plongerons plus loin que les blocs d'airain, Silexame, Silexame, Silexame, toi qui n'es ni la cause ni la résultante, toi que l'on dénature en appelant rien car tu es encore moins que rien, moins que moins que rien et encore moins que moins que moins que rien. Inspire-moi la chanson des pancréas d'airain. Allumette œil de platine, beau regard belle piscine, tous les philanthropes sont morts assassinés par d'autres philanthropes. Mais ces autres philanthropes ont été assassinés par les premiers. Ne criez pas au paradoxe, les vierges n'ont pas de pancréas, les femmes non plus par conséquent. Mais les hommes vierges ont un pancréas et les autres n'en ont pas. C'est pourquoi les poètes et les navigateurs sont vierges et c'est pourquoi les Silexame sont l'amour des navigateurs et des poètes. »
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Entre le 13e degré de latitude nord et le 26e degré de longitude se trouve le jeu de cartes des maëlstroms cosmiques. Sur son cœur le poète moderne ne met pas de marque de fabrique.
Le Silexame dans sa poche, le Silexame à la place du cœur, le Silexame à la place des yeux, le Silexame à la place des sens, le Silexame à la place des souvenirs, le Silexame à la place du sexe, le Silexame à la place du nombril. Il s'en va sur la petite route si l'on considère sa largeur, sur la grande route si l'on considère sa longueur.
En vérité Silexame tu es une bien belle chose, mais cette ode est-elle digne de toi ?
Silence.
Du fond de la tête sort Silexame (tête de fourchette, corps de coquillage, bras couverts de feuilles). On ne l'aperçoit que dans la glace.
RIDEAU
André BRETON, Robert DESNOS et Benjamin PÉRET.
ÉTAT D'AME
Canudo, René Blum, Fernand Divoire, Waldemar George, André Levinson, Rob. Mallet-Stevens, Roland Manuel, Léon Moussinac, Raymond Cogniat se sont réunis pour « CONSTRUIRE ».
Mon pauvre René Blum, vraiment jusqu'à aujourd'hui je pensais que vous étiez autre chose qu'un entrepreneur ! Pourtant, si vous avez vraiment le désir de construire, commencez par supprimer Canudo ; quand on a envie de faire pousser de belles plantes, il faut arracher les orties. Vous pourrez les brûler ou les donner à manger à monsieur Paul Painlevé, ancien président du conseil des ministres.
F. P.
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ÉLECTRARGOL
Soixante-quatre paires de bottines ! Deux paires à chaque porte, l'une féminine, l'autre masculine ! J'étais dans un long couloir, tapis rouge, murs blancs, où m'avait conduit mon rêve...
Devant l'ordre de ces bottines, qui semblait immuable, je n'ai pu résister à mon envie, je les ai entassées toutes, pêle-mêle, et les ai transportées dans une grande maison où j'ai pu chaque soir, devant chaque porte, intervertir les paires de chaussures entre elles ; tantôt devant une chambre on voyait quatre brodequins d'hommes, plus loin deux petits souliers vernis, voisinant avec des souliers de satin, plus loin de minces cothurnes d'or acoquinés à de lourdes bottes de chasse, en cuir fauve, malodorant ; le soir suivant se prêtait à une autre combinaison et ainsi de suite. Le matin je me promenais sur le balcon où donnent toutes les chambres de la maison et j'avais la surprise de respirer, au travers des persiennes closes, de merveilleux parfums. J'eus ainsi l'illusion d'avoir créé un peu de bonheur autour de moi.
Enfin, l'idée me vint un soir de remettre souliers et bottines dans l'ordre même où je les avais vus pour la première fois dans le couloir de l'hôtel ; je ne fus pas étonné le lendemain, en faisant ma promenade matinale sur le balcon, de percevoir, au milieu des parfums subtiles se dégageant habituellement des chambres, une odeur fade de chocolat. Le doux silence des jours précédents était troublé par un bruit de voix hargneuses discutant sans fin sur des chiffres... Agacé, je rassemblai encore une fois les chaussures et je m'empressai de les jeter à l'eau en passant près d'un fleuve ; les unes plongèrent courageusement, tandis que d'autres se laissaient flotter comme des chiens crevés et que d'autres s'accrochaient au rivage : Les premières arrivées à la mer, plantées au bout d'une perche, servent maintenant de points de repère à quelques pêcheurs, elles ressemblent aux grands hommes des monuments publics.
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Il y a maintenant par le monde, soixante-quatre personnes qui marchent pieds nus, qui ne pourront plus jamais remettre ni souliers, ni bottines ; j'en rencontre de temps en temps, elles me regardent ayant au fond des yeux beaucoup d'amour et pourtant un peu de reproche, elles semblent me dire : pourquoi avoir jeté le bonheur à l'eau après nous l'avoir fait connaître, sans plus vous soucier de nous ?
Le point curieux dans cette petite histoire c'est que je l'ai rêvée dans une maison de passe où j'habite avec ma femme et où je n'ai jamais vu, durant une semaine, la moindre paire de bottines devant les portes !
Francis PICABIA.
Il m'est impossible de considérer la mort de Marius Plateau comme autre chose qu'un accident du travail dans l'exercice d'une profession pour laquelle je n'éprouve que du mépris. L'état des services d'un homme pendant la guerre ne me paraît en aucun point légitimer l'action qu'il a pu entreprendre dans la paix, je nie même formellement la valeur d'un pareil argument dans quelque occasion qu'il soit invoqué. La lâcheté dans l'occasion présente de toute la presse dite de gauche justifierait pleinement à mes yeux, sans autre information, l'acte de Mademoiselle B. A une époque où toute liberté est laissée à une faction, sous le chantage de sentiments qui flattent ce qu'il y a de plus bas dans une nation, d'exprimer partout et en tous termes une doctrine d'arbitraire et de dictature, la provocation part de ceux qui, à tout instant, menacent chez autrui cette liberté qu'on leur laisse ; et si un individu prend conscience de cette monstrueuse inégalité, de la vanité de toute parole devant la puissance grandissante d'une telle faction, je tiens cet individu pour autorisé de reste à recourir aux moyens terroristes, en particulier au meurtre, pour sauvegarder, au risque de tout perdre, ce qui lui paraît - à tort ou à raison - précieux au delà de tout au monde.
Louis ARAGON.
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POUR SE PRENDRE AU PIEGE
C'est un restaurant comme les autres. Faut-il croire que je ne ressemble à personne ? Une grande femme, à côté de moi, bat des œufs avec ses doigts. Un voyageur pose ses vêtements sur une table et me tient tête. Il a tort, je ne connais aucun mystère, je ne sais même pas la signification du mot : mystère, je n'ai jamais rien cherché, rien trouvé, il a tort d'insister.
L'orage qui, par instants, sort de la brume me tourne les yeux et les épaules. L'espace a alors des portes et des fenêtres. Le voyageur me déclare que je ne suis plus le même. Plus le même ! Je ramasse les débris de toutes mes merveilles. C'est la grande femme qui m'a dit que ce sont des débris de merveilles, ces débris. Je les jette aux ruisseaux vivaces et pleins d'oiseaux. La mer, la calme mer est entre eux comme le ciel dans la lumière. Les couleurs aussi, si l'on me parle des couleurs, je ne regarde plus. Parlez-moi des formes, j'ai grand besoin d'inquiétude.
Grande femme, parle-moi des formes, ou bien je m'endors et je mène la grande vie, les mains prises dans la tête et la tête dans la bouche dans la bouche bien close, langage intérieur.
Paul ELUARD.
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AVIS
Vous avez décidé d'écrire pour Littérature ? Est-ce possible ?
Comment devez-vous assembler vos idées et les traduire en images ? Vous avez acheté quelques livres, ils vous ont donné de sages conseils.
Comment doit-on faire un poème, un article, un manifeste ? C'est une question que je pose ! Elle est angoissante, car nous n'arriverons à un résultat dans cet ordre d'idées que le jour où les jeunes auteurs nous offriront la poésie complète et la prose parfaite. Il ne s'agit pourtant pas d'apporter une idée traduite en quelques lignes tapées à la machine à écrire. Des idées... le premier auteur venu en pond à la douzaine.
Tous les jeunes auteurs ont connu d'amères déceptions. Et vous, comme vous êtes bien avec votre voisin, vous lui avez demandé de vous accompagner 42, rue Fontaine. Ce que vous avez vu vous a un peu étonné. Le directeur (je ne veux pas en dire du mal, on ne sait ce qui peut arriver) n'a jamais le loisir de profiter de son pouvoir d'accepter ou de refuser. C'est à peine s'il a le temps de vous lire ou de vous écouter.
Et pourtant vous ne voulez pas abandonner cet Art pour lequel vous vous sentez de belles inspirations. Aussi, lecteur assidu de Littérature, on vous a laissé espérer que, dans le cas où votre œuvre serait acceptée, vous toucheriez une somme assez rondelette.
Un bon poème doit être payé cher (n'en déplaise à nos éditeurs), car l'argent est la base du succès. Je sais qu'en pensant ainsi je ne rencontrerai pas l'unanimité des suffrages et que beaucoup m'opposeront que ces œuvres ne passeront pas nos frontières. Je n'en suis pas absolument certain,
car il est des œuvres auxquelles la pauvrete convient parfaitement.
Mais c'est là le sujet d'un autre article que j'écrirai prochainement.
MAX ERNST.
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PEAU-ASIE
(Fragments)
L'air des cimes est le lait des crimes. Les fards des joues déjouent les phares. Les vaisseaux seront sauvés des ronces. Les désirs chauds déchirent les os et la mort encourt l'amour encore. Les adolescents aux sens adulés par les fièvres se fient aux lèvres. Les cuisses entrevues, centres des vices, trucs des jambes, tremblent dans les jupes. Les seins se rendent, les reins se tendent et les doigts crispés en croix, dépités, saignent aux ongles. Songez aux aigles, chairs offertes, chauds Werthers. Ils volent déployés des pôles aux foyers terribles. Cibles de Cythère. Ambre amassé. Amants embrassés.
Désirs nouveaux. Douze aux navires se lamentent, tendent la main vers l'aine blanche, vers les branches blêmes. Les cierges avides auprès des vierges assises, brûlent des cris lubriques.
Le poison des dents sur la toison des paons marque la peau d'émaux de Parques. Les yeux blancs, les ans bleus sont leurs cernes. Cercles sonneurs.
La manne des crimes tombe sur le crâne des mimes. Ils ont des gestes de dieux et des dettes de jeux. Ils rient des femmes et leur âme s'y fie car leur science informe les fiance aux saints normaux. Ils ont tué pour le risque, ils sont hués par le cirque.
Les chevaux ont oublié la danse : la chance de vos sabliers.
Les serpents de neige sont coupés par des serpes d'argent. Les hommes en habit deviennent des ombres d'amis.
Haine de vie, oubli du passé.
ET MAINTENANT ASSEZ DE PUBLIC.
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Les volants à rebours lents rabots de velours jettent le jour en lames jeu lourds qui ne hantent jamais les wagons des adieux les yeux des vagabonds.
Le papier roulé dans l'écorce, poupée d'acier, corset lent se résout en pierres. Rizières du Pérou, le sel dissout l'amour, le miel adoucit les sourds.
L'argile des paroles se perd. Gilles désolé.
Poètes d'encre retrouvez d'autres pensées.
Entre les sèves le centre d'Eve.
Herbes noires du cerveau, soir vert d'UBU porté par les spirales spores et pétales des mots défunts, de mes défauts qu'elles meurent du sirop des sueurs promises.
La bouche vidée, biche dévouée des sons, des dons glanés par les paroles, parés de nos glas nous faisons la roue selon la raison des fous.
Les paquebots cruels, belles Pâques sucrées emportent des enfants épandant des amphores.
Lignes des vagues, vignes des glas les vendanges sont prêtes, héros d'AZOW que font vos têtes sans franges ? au ras des eaux ?
Les hommes en marche, l'anarchie, ô mes icônes, on se prend la tête dans les mains : l'attente prête ses déments.
La course aux terres chaudes : la guerre aux tours de chaux.
Les roches, les tiges, le cristal, mistral des torches, dans les verres de tulle, les bulles de terre sont les larmes des sons le long des armes.
Chants de guerre, gants de chair.
Le sort de Naples est lié aux sables du Nord. Banc d'or certain, Berlin s'endort. Rome saigne, sommet du règne. Esprit et roi, Paris
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est noir. Vêtu de laine il est vain de lutter. Elle s'étend le long de la Seine mais en sait-elle le son de l'haleine ? On s'égorge à Milan où l'or mis en granges roule des fenêtres pour renaître dans les foules. Le Danube à Vienne où va la nubienne monte au ras des maisons et aux mats des raisons.
Les fontaines de Madrid ont la fatigue des mondaines. Banjos d'houris. Bijoux d'oranges. L'Espagnole danse. Essence d'agneau dans la chair. Chant de l'air. Londres dans la brume lutte avec l'ombre et la Tamise est lourde de la mise des tours. Au Caire : une bouche de mort. Une mère se couche au bord.
Dans les gares les trains de grain et de tares partent vers l'est, vers la peste de l'art. Où est-elle ? elle est toute.
Défense de fumer les fusées des femmes.
Défense de cracher les faisans des chancres.
Les lettres de feu en lait de feutre attirent les étoiles. La toile les étire. Elles sont les signes certains, les sergents des cites.
L'émail des briques bercail nickelé par les lueurs que traversent les tueurs d'averses, s'étale sur les mains et s'éteint sur les mâles.
Les masses de l'onde lassent le monde. La lune les attire et la lyre les allume. Sirènes des noyés soyez la reine des nids.
Faux roi des eaux forêts d'oiseaux.
Les valises sur les ponts s'en vont et pâlissent dans le jour des voiles, à la joie des louves.
Le silence s'enlise. Vous verrez les vols des revolvers et des masques. Asthme des quais où le sanglot a des remous, le lot de sang des amoureux.
Mèches pour toi. Mouchoir jeté vers le départ te perd, vieillard.
Roger VITRAC.
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Campagne
Clair ombrage à jamais si doux comme le songe
J'ai la tête d'un dieu sur des pieds florescents
Comme l'amour naquit Ah que j'y songe
aux larmes oiseaux multiples sans plumage étonnant
Les matines ont sonné la goutte d'eau d'abord
fléchie sous le ciel mousse pour les éclairs
Marche voleur habile quand le champ s'évapore
et la route rideau bleu aux franges de poussière
Ceux dont le lit fleurit ceux dont la ressemblance
perdue dans le torrent lustré par le ravin
s'éloignent le marécage est leur miroir d'enfance
et leurs pas lentement ont des odeurs de thym
Jacques BARON.
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A propos de l'Exposition Francis Picabia et de la Conférence d'André Breton
(Barcelone - novembre 1922)
Voici déjà plus d'un demi-siècle que le peintre catalan Marti y Alsina écrivait : « Il est des choses qui par leur seul caractère pictural produisent une émotion. Si cet élément pictural pur, en dehors de toute signification de l'objet, suffit à agir sur l'esprit, de quelle importance est cet élément ! » Cette affirmation, vraiment surprenante pour l'époque, nous fait entrevoir la nature essentielle de la rénovation présente des arts plastiques.
A côté des perpétuelles manifestations de cette maladie imitative, de cette diarrhée simiesque qui nous écœure et nous assomme, pour ne pas dire plus, « il rôde actuellement par le monde quelques individus pour qui l'art a cessé d'être une fin », selon les paroles d'André Breton dans la conférence si ample et si lucide qu'il fit à l'Ateneo Barcelones.
Il nous semble que, dans le monde, les intelligences et les sensibilités sont les récepteurs de certaines irradiations qui forcément viennent de quelque part et que les poètes et les artistes se bornent à fixer, quelquefois consciemment, quelquefois inconsciemment. Ce petit souvenir platonicien ne doit pas surprendre, pensonsnous, surtout de notre part car, pour nous, il n'y a rien de plus traditionnel que l'anti-traditionalisme. Mais à ce côté « réceptif » s'allie parfois le « génie de l'invention », comme l'a fait observer Breton au cours de sa conférence. Grâce à cette alliance, nous percevons les floraisons radieuses et inouïes de cette peinture nouvelle qui est ce que nous devons de plus caractéristique au moment esthétique actuel.
Ces irradiations, comme nous les avons nommées, atteignent des esprits assez différents et peut-être contraires mais leur origine, leur élan reste le même, et les différences ne proviennent que de la sensibilité plus ou moins grande des récepteurs. C'est pourquoi nous estimons avec André Breton que le « cubisme, le futurisme et Dada ne sont pas trois mouvements distincts mais qu'ils participent tous trois d'un mouvement plus général dont nous ne connaissons encore précisément ni le sens ni l'amplitude ». Chacun de ces mouvements se distingue des autres par un certain
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nombre de nuances mais nous croyons, pour citer de nouveau A. Breton, que « considérer successivement le cubisme, le futurisme et Dada, c'est suivre l'essor d'une idée qui est actuellement à une certaine hauteur et qui n'attend qu'une impulsion nouvelle pour continuer à décrire la courbe qui lui est assignée ».
Dans cet article nous ne parlerons ni du cubisme, cette peinture « bénite » ni du futurisme, ce feu d'artifice final de l'impressionnisme, et indépendamment de Pablo Picasso qui fut le premier à mettre la peinture « hors la loi » c'est-à-dire. hors la représentation, nous nous arrêterons aux individus, pour ne pas dire aux récepteurs, qui ont atteint aujourd'hui au point le plus élevé de la trajectoire, aux Klee et Kandinsky, aux Marcel Duchamp et Picabia.
C'est avec plaisir que nous nous étendrions, à ce propos, sur les différences ethniques, sceaux indestructibles et éternels, qui chez ces inventeurs sont si fortement perceptibles, car quel contraste entre les linéations aigres et torturées de l'Allemand Klee, terriblement fantastiques et troublantes, la couleur éclatante de force et d'instinctivité du Russe Kandinsky d'une part et d'autre part les gracieuses et claires, qu'on le veuille ou non, projections des Duchamp et Picabia !
Ce dernier, « le plus sceptique des peintres », comme l'a dit notre ami Dalmau en présentant André Breton au public de l'Ateneo ; ce dernier, dont l'exposition, aux galeries Dalmau, fait actuellement, ou devrait faire, l'objet des conversations de tous ceux qui aiment la spiritualité, occupe sur la courbe dont nous parlions, une place des plus importantes et des plus justes.
Si nous voulions définir son art, nous dirions que, par opposition à l'art de représentation, d'initiation que nous pourrions qualifier de lyrisme des effets, l'art de Picabia est un lyrisme des causes. Evidemment cet artiste aime les formes et les fixe non pas pour ce qu'elles nous disent et nous suggèrent, autrement dit pour leur valeur de souvenir, non pas en tant que conséquence de ce que nous aimons ou percevons de la vie, mais pour ce qu'elles nous révèlent d'intrinséquement original, pour ce qu'elles ont de génésique, d'initial. Nous pourrions dire qu'il les fixe sans souci des conséquences qu'elles peuvent présenter pour l'humanité ou, si l'on veut le définir d'une autre manière, qu'au lieu de subjectiver ce qui est objectif, il objective le subjectif purement formel et seulement formel, car cet artiste extraordinaire a su identifier complètement la couleur et la forme.
Sûrement beaucoup diront que cet art n'est qu'un jeu, mais n'est-ce pas ainsi que Schiller définissait l'art ? « Il n'a aucune finalité », disait-il. Et Kant, lui-même, ne définissait-il pas l'œuvre d'art comme une « finalité sans fin » ?
C'est cette conviction qui, croyons-nous, a permis à André Breton dans son étude si nettement synthétique de l'activité esthétique contemporaine, plastique et littéraire, d'allier l'humour et la combativité, la fantaisie et la logique, sans qu'elles se nuisent et que l'une triomphe des autres, et cela, avec tant de facilité et d'agileté dans l'abstraction. Mais nous ne voulons pas commenter ce travail car nous ne croyons pas qu'il en soit l'heure encore : il en paraîtra bientôt une édition ornée de reproductions et de poèmes inédits des artistes commentés, ce qui en fera une anthologie, sans équivalent actuel, des tendances les plus nouvelles.
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On accuse souvent d'abstraction ces tendances et il en est qui ne manqueront pas de faire ce reproche aux dessins de Picabia. Vraiment ce reproche nous semble assez erroné. En effet qu'est-ce qu'une abstraction ? - C'est uniquement le résultat d'une série de déductions qui parviennent en se simplifiant à rendre le concret plus compréhensible. Si l'on prend l'exemple du triangle abstrait, c'est-à-dire le concept d'une figure par trois lignes, on constate que lorsqu'il se réalise formellement, lorsqu'il se concrétise, il n'est plus le simple concept du triangle, il devient fatalement un triangle équilatéral, isocèle ou scalène et chacune de ces catégories devient à son tour susceptible d'une grande variété d'aspects. L'abstrait donc, comme on vient de le voir, ne s'oppose pas au concret : au contraire il l'explique et l'éclaire. Et, nous le demandons, qu'ont-ils à voir avec une explication, un éclaircissement du concret, les dessins que nous commentons ?
Ainsi donc nous ne pouvons plus qualifier l'œuvre de Picabia d'abstraite mais plutôt de post-concrète, c'est-à-dire que plus qu'une explication des aspects elle est une création d'aspects.
Quant à son caractère psychologique nous préférons n'en pas parler, car cela nous entraînerait à étudier la personnalité littéraire de Picabia et que nous ne nous jugeons pas qualifiés pour le faire, surtout quand nous songeons qu'André Breton et Pierre de Massot, entre autres, l'ont déjà fait remarquablement. Mais il ne nous est pas possible de taire ici la définition que dans son « Jésus-Christ Rastaquouère » Picabia donne de l'art, « cette objectivité subjective qui dirige les hommes vers la transparence, » phrase tout empreinte de son ironie particulière, amère et souriante à la fois.
M. A. CASSANYES.
MANEGE DE COCHONS
L'Union des Artistes Russes a cru bon de faire servir le nom de Francis Picabia et le mien à la réclame du bal qu'elle organise à Bullier au profit de la caisse de secours des artistes.
J'ai l'honneur de l'informer que ses petits protégés peuvent tous crever, la sainte Russie crier A la garde, je n'admettrai pas qu'on m'associe à de bonnes œuvres, même pour une entreprise de si bonne humeur : dadaïades, oiseaux gras, peintures et poèmes. Je ne lui fais pas mes charités.
L. A.