MÉLUSINE

titre de la revue Littérature nouvelle série

Littérature (nouvelle série) n° 3, mai 1922

Nouvelle Série

NOUVELLE SÉRIE : N° 3

1er Mai 1922

DIRECTEURS :

ANDRÉ BRETON & PHILIPPE SOUPAULT

= Redaction : 37, Avenue Duquesne, PARIS (VIIe) =

Administration : AU SANS PAREIL, 37, Avenue Kléber, PARIS (XVIe)

LITTÉRATURE paraît le 1er de chaque mois

SOMMAIRE

Un concours
Philippe Weil Au Clair de la Lune.
Jacques Baron L'Inconnu
André Breton L'Année des Chapeaux Rouges.
Louis Aragon Le Roi fainéant.
Benjamin Péret L'Auberge du "Cul Volant".
SURPRISES THÉATRALES
Cangiullo Conseil de révision.
Marinetti et Cangiullo Jardin public.
Marinetti et Calderone Musique de toilette.
Marinetti Déclamation d'un poème de guerre.
SYNTHESES THÉATRALES
Marinetti Le Contrat ; Ils vont venir ; Simultanéité.
LES LIVRES
Jacques BaronDr Bertray, Aux Victimes de l'Amour.

PRIX DU NUMÉRO

France : 2 francs -:- Étranger : 2 fr. 50

ABONNEMENTS

Les 12 numéros : 20 francs pour la France et 25 francs pour l'Étranger

La Collection de la première série de LITTÉRATURE comprend 20 numéros dont plusieurs sont épuisés et se vend 40 fr.

P.1

UN CONCOURS

Nous avons reçu la lettre suivante :

Messieurs,

Je vous envoie un poème que je trouve intéressant. Je doute cependant que vous osiez le publier. Si, toutefois, votre audace égale votre vantardise et que vous accordiez l'hospitalité de vos colonnes à ce sonnet, j'imagine qu'il serait curieux de poser à vos lecteurs (vous n'en êtes pas à une enquête de plus ou de moins) les questions suivantes :

1° Quel est le titre de ce sonnet ?

2° Quel en est l'auteur ?

Recevez, Messieurs, l'assurance de mes meilleurs sentiments.

Signature illisible.

Le sonnet que nous publions aujourd'hui n'est pas de ceux que l'on peut négliger. Les six derniers vers, notamment, nous ont paru dignes de Littérature et nous serions heureux que nos lecteurs nous aident à répondre aux mystérieuses questions de notre correspondant. La plupart des collaborateurs de notre revue, consultés, ont donné, comme l'on dit vulgairement, leur langue au chat. Nous recevrons avec le plus vif plaisir les réponses adressées à la rédaction de Littérature, 37, avenue Duquesne.

P.2

Obscur et froncé comme un œillet violet
Il respire humblement tapi parmi la mousse
Humide encor d'amour qui suit la pente douce
Des fesses blanches jusqu'au bord de son ourlet.

Des filaments pareils à des larmes de lait
Ont pleuré, sous l'autan cruel qui les repousse,
A travers de petits caillots de marne rousse
Pour s'en aller où la pente les appelait.

Mon rêve s'accouple souvent à sa ventouse
Mon âme, du coït matériel jalouse
En fit son larmier fauve et son nid de sanglots.

C'est l'olive pâmée et la flûte câline
C'est le tube où descend la céleste praline
Chanaan féminin dans les moiteurs éclos !

P.3

Au Clair de la Lune

A Raymond Roussel.

La première chose qui s'est présentée à mes yeux, c'est un cadavre placé vis-à-vis la porte, un peu à droite. Il était assis par terre, le dos appuyé contre la muraille, l'épaule et le membre supérieur droits touchant le bras et le bord gauche du fauteuil. Les jambes étaient allongées, les bras pendant le long des cuisses, et les mains reposant sur le sol. La tête était fléchie sur la poitrine, et ce n'est qu'en se baissant un peu qu'on pouvait apercevoir la face ; cette dernière était recouverte de sang desséché ; en se baissant davantage et regardant de plus près sans bouger le cadavre, on apercevait plusieurs incisions sur la face, à la hauteur et dans la direction des commissures des lèvres.

Mon premier soin fut d'aller à la recherche de l'instrument qui avait dû déterminer la mort ; recherche vaine, je ne trouvai rien : mais un papier blanc que je vis sur la commode, et que M. le Commissaire de police me dit avoir été trouvé la veille sur le lit, fixa mon attention. Il était roulé sur lui-même, froissé à ses extrémités ; l'une était plus large que l'autre, et paraissait avoir renfermé un corps de forme quadrangulaire. L'idée me vint que ce corps pouvait bien être un étui à rasoirs, contenant deux de ces instruments. M'étant procuré un tel étui, je l'enveloppai d'un papier de même grandeur, entortillant ses extrémités ; puis, le retirant et abandonnant le papier, je le vis revenir sur lui-même et prendre absolument la forme de celui qui était l'objet de mon investigation.

J'ai ensuite procédé à l'examen de la chambre et des différents objets qu'elle contient.

Une seule fenêtre donnant sur la cour éclaire cette pièce, qui a la forme d'un carré long ; elle est garnie de petits rideaux ; et exactement fermée. A l'opposite est une porte s'ouvrant sur un corridor ; elle est fermée à double tour, et on n'en trouve pas la clef.

La porte latérale par laquelle je suis entré n'a pas été et n'a pu être ouverte, m'assure-t-on, que par le propriétaire de la maison, quelques heures après l'événement. Tout autour de moi le plancher et les meubles offrent des traces de sang plus ou moins larges et plus ou moins nombreuses ; et, d'abord, je remarque un canapé dont le dossier est appliqué contre le mur

P.4

qui fait face à la porte latérale et à la cheminée. Un vase de nuit est placé vers le milieu du coussin ; il contient environ deux onces d'un liquide qui me paraît être de l'urine mêlée de sang. Des taches de sang de différentes grandeurs sont disséminées çà et là sur ce coussin.

A son extrémité droite est un oreiller renversé qui cache presque en entier une casquette brune ; en relevant l'oreiller, on aperçoit une nappe de sang desséché sur le coussin. Ce coussin étant légèrement incliné vers le bras droit du canapé, le sang aurait dû naturellement suivre cette pente, et je remarque, au contraire, qu'il s'est arrêté brusquement à un pied environ de ce bras pour changer de direction, s'épancher entre le coussin et le dossier, de là, traverser le fond du canapé et se répandre à terre.

En regardant l'oreiller, j'observe que la moitié inférieure du côté que j'ai trouvé en contact avec le coussin, est ensanglantée. Posant alors cet oreiller à la place qu'il doit naturellement occuper, c'est-à-dire sur le bas du canapé, sa partie inférieure, qui est fortement imprégnée de sang, se trouve exactement en rapport avec la large couche de sang du coussin, ce qui me démontre évidemment que l'oreiller était ainsi placé pendant l'action, et que, chargé d'un corps pesant, il a formé l'obstacle qui s'est opposé à ce que le sang pût passer par-dessous.

Environ une douzaine de petites gouttellettes de sang plus ou moins allongées se remarquent sur le papier au-dessous du canapé, ainsi que sur le côté de la commode qui est en rapport avec ce meuble. Le marbre de la commode présente des traînées de sang dans toute sa longueur.

Immédiatement après la commode est un fauteuil en velours jaune, comme le canapé. La partie supérieure du dossier offre une tache d'environ quatre pouces, qui paraît résulter du frottement d'un corps ensanglanté. Sur la moitié droite et avant du siège est une couche épaisse de sang, entièrement desséchée sur les bords, mais encore fluide au milieu. Il paraît qu'accumulé en assez grande abondance dans cet endroit, le sang s'est ensuite répandu à terre, partie en traversant le fauteuil, et partie en s'écoulant le long de son bord inférieur. C'est près de ce fauteuil que repose le cadavre ; de ce dernier à la porte qui est vis-à-vis la fenêtre, il existe un espace libre. Le papier, dans cet intervalle, présente plusieures taches de différentes grandeurs qui paraissent produites par le frottement d'un corps ensanglanté ; l'une d'elles décrit une légère courbe dont la convexité répond à la fenêtre et la concavité à la porte ; précisément dans l'angle et près de là porte, ainsi qu'au-dessous, sur le plancher, se remarquent plusieurs gouttes de sang projetées et plus ou moins allongées ; quelques petites et rares P.5 gouttelettes existent çà et là sur la porte ; une entre autres est située sur la plaque de la serrure.

A un pied de la porte, est une table de nuit appliquée à la muraille, et dont le marbre est couvert de taches épaisses de sang desséché, au milieu duquel se trouve une mèche de cheveux noirs. Au bas de ce meuble on voit une grande quantité de larges gouttes de sang qui, avant d'arriver jusqu'au sol, ont fait des traînées sur la paroi postérieure de son fond, qui est tourné vers l'intérieur de la chambre.

Plus loin, et dans l'angle, est un lit surmonté de rideaux blancs supportés par une flèche. Au bas est un tapis taché de sang, au coin qui répond à la table de nuit. Ce lit est recouvert d'une couverture de coton blanc à raies bleues, et garni d'un traversin et d'un oreiller non revêtu de sa taie ; près du chevet le rideau et la couverture sont empreints de plusieurs gouttes de sang séparées par de très petits intervalles. Sur le bord droit du lit, la couverture est légèrement chiffonnée et offre un petit groupe de taches qu'on pourrait assez bien reproduire en saisissant la couverture avec des doigts ensanglantés. Un peu au-delà se remarque une tache à peu près carrée, qui parait le résultat de l'application d'un corps ensanglanté, et au fond de laquelle on aperçoit quatre gouttes de sang projetées sur une même ligne, et à des intervalles presque égaux.

Un peu plus loin, et vers le milieu du lit, plusieurs taches de sang forment à peu près un éventail ; près d'elles est une mèche de cheveux noirs. Quelques autres petits cheveux de la même couleur sont fixés çà et là sur ces taches, qui me semblent avoir été faites d'un seul coup par un instrument ensanglanté (tel qu'un rasoir) qu'on aurait essuyé rapidement sur la couverture. En revenant un peu vers le bord du lit, sont deux taches noirâtres, à peine mêlées de sang, dirigées de haut en bas, et qui me portent à croire que, là, des pieds ont été essuyés. A l'extrémité de la couverturé, on voit quelques gouttes de sang plus nombreuses à mesure qu'on s'approche du pied du lit, sur le dossier duquel on remarque des traces qui indiquent que le sang y est tombé en abondance, et qu'une partie a coulé sur le dedans du panneau, tandis que l'autre s'est répandue sur le dehors et de là jusqu'au sol, qui en est inondé. La portion du rideau qui recouvre le dossier est imbibée d'un sang plus clair que celui que j'ai remarqué partout ailleurs : la partie inférieure surtout présente une longue tache d'une teinte très pâle, et qui répand une odeur urineuse ; ce rideau est fripé dans certains endroits, et quelques petits cheveux noirs s'y trouvent attachés.

P.6

Le bord du rideau qui, après avoir enveloppé la tête du lit, revient dans la ruelle, est taché de quatre ou cinq goutelettes de sang projetées.

Immédiatement après le pied du lit, se trouve la porte mitoyenne au N° 7 et au N° 8 ; sur son linteau se remarquent quelques gouttelettes de sang un peu allongées.

Vient ensuite un petit secrétaire, sur le marbre duquel on en voit de semblables dirigées un peu obliquement de gauche à droite ; suit la cheminée, puis, en tournant, on arrive à la fenêtre au devant de laquelle est placée une table à écrire, en noyer, dont le drap est entièrement couvert de trainées de sang.

Devant cette table et près du canapé, le plancher est recouvert de sang ; une mèche de cheveux noirs s'y trouve collée. A partir de cet endroit, en se dirigeant vers le pied du lit, on remarque plusieurs taches de sang, au fond desquelles on distingue l'empreinte de clous de souliers. En avançant, ces taches diminuent d'épaisseur et de largeur, jusque près du lit, où l'on n'en aperçoit plus.

J'ai ensuite procédé à l'examen du cadavre. Taille d'un mètre 68 centimètres de hauteur, individu bien constitué, très musculeux ; cheveux noirs ainsi que les poils du pubis et ceux des aisselles, les traits de la face altérés par la décomposition putride que le corps a subie ; au pli de la peau du bras droit et à la face interne de ce membre, deux petites tourterelles qui se becquètent (tatouage) ; aucun autre signe qui puisse servir à constater l'identité de l'individu.

L'habit de couleur marron, dont il est revêtu, est couvert de sang sur les parties extérieures et intérieures des revers ; plusieurs taches se remarquent aussi sur les épaules et dans le dos, ainsi que sur les manches ; le collet de velours présente, dans sa moitié droite, et près de sa brisure, deux longues coupures très nettes et une autre près de l'extrémité gauche. Un tissu vert entre dans la composition de sa doublure, et fait reconnaître qu'un petit morceau d'étoffe de même couleur, trouvé dans la chambre, lui appartient. Un col garni de baleines et recouvert de taffetas noir est fixé par une boucle autour du cou, et n'offre aucune trace de lacération. La chemise est ensanglantée dans toute sa partie antérieure ; le pantalon de coutil grisâtre est fortement taché de sang dans toute la partie qui répond au ventre ; des gouttelettes nombreuses se remarquent sur les cuisses ; la partie extérieure du fond est tachée par le sang qui était répandu sur le sol, les semelles des bottes sont garnies de clous et sont ensanglantées.

Philippe WEIL.

P.7

L'Inconnu

Il disait mes lèvres sont des grappes monstrueuses

des panthères qui chantent

plus douces que les oiseaux si doux de la colline

et les taureaux sanglants des gros nuages obscurs

Il disait

Je porte dans mon sein

des vagues immenses âcres

au milieu des fleurs belles des grands jours

Il appelait Marie

une petite fille qui portait des légumes

Il disait il disait encore

Je suis un coquelicot

qui réveille le matin l'azur-blème des bêtes

Jacques BARON.

P.8

L'ANNÉE DES CHAPEAUX ROUGES

A Pierre Drieu La Rochelle.

I

Pour mieux sauter

J'étais brun quand je connus Solange. Chacun vantait l'ovale parfait de mon regard et mes paroles étaient le seul éventail que pour me dissimuler leur trouble je pusse mettre entre les visages et moi. Le bal prenait fin à cinq heures du matin non sans que les plus tendres robes se fûssent égratignées à des ronces invisibles. O propriétés mal fermées de Mont-fermeil où l'on va chercher le muguet et une couronne princière. Dans le parc où nul couple ne s'isolait plus les rayons glaciaux du faux soleil d'après, véritables chemins de perle, ne trouvaient à étourdir que les voleurs attirés par le luxe de cette vie et qui se mettaient à chanter, dans les voix les plus justes, aux divers degrés du perron. Les serpents réputés inacclimatables qui glissaient dans l'herbe comme des mandolines, les décolletés impossibles et les figures géométriques de papier feu s'éclairant parmi eux qu'on s'effrayait d'apercevoir par la fenêtre, tinrent longtemps dans une sorte de respect miraculeux les chenapans de velours et de liège.

C'est alors qu'accablé de présents et lassé de ces beaux instruments de paresse auxquels dans une chambre atrocement voluptueuse je m'exerçais tour à tour, je pris le parti de congédier mes servantes et de m'adresser à une agence pour me procurer ce dont j'avais besoin : le réveil crépusculaire et un oiseau des mines de diamant qui me tînt la promesse d'extraire les racines d'une petite souffrance que j'avais devinée. Je n'étais pas plus tôt en possession de ce double trésor que je m'évanouis.

Le lendemain était jour que je savais consacré à l'accomplissement d'un rite très obscur dans la religion d'une peuplade des bords de l'Ohio. Sous la protection de l'orage où j'allai me placer, rien ne pouvait m'atteindre à l'exception d'une très vive lueur qui seulement pour moi se distinguerait d'un éclair. La tête renversée et les tempes protégées par deux plaques très minces de saphir, je portais encore en moi ce vide fléché tout en descendant P.9 la côte qui longe le terrain de manœuvre. On venait de sonner rassemblement et les jeunes hommes blonds se comptaient. L'admirable pluie à l'odeur de sainfoin qui commençait à tomber disloquait si bien le jour que j'avais envie d'applaudir. De l'ombre d'un petit bouquet d'arbres à une centaine de mètres s'envolaient encore dans la direction du soleil quelques-uns de ces pantalons de dentelle qui font merveille au théâtre mais j'avais en vue autre chose qu'un lâcher de pigeons-voyageurs.

Je sais un arc-en-ciel qui n'annonce rien de bon. Quand le vent se ramasse dans un coin de la terre comme une toupie et que vos cils battent tandis que vous sentez un bras imaginaire passé autour de votre taille, essayez de vous mettre à courir. J'étais sous un viaduc pâle à la seule idée de ces voyoux qu'on emploie sur les locomotives à siffler dans leurs doigts. Rien, évidemment, ne se passerait. Je gagnai le petit sentier que la voie perd seulement à l'entrée de Paris. Etais-je devenu l'un de ces enfants pauvres qu'on voit l'hiver s'accrocher aux voitures de charbon et au besoin trouer les sacs ? Peut-être. Un homme d'équipe, de ceux qui portent toujours dans leur main un petit ver rouge enchâssé dans une motte de terreau, me saluait. Nul ne connait comme moi le cœur humain. Un forçat qui avait participé au lancement du cuirassé « La Dévastation » m'assurait un jour que dans l'immense cône de lumière dont nul autre que lui n'avait pû sortir, il était donné d'assister à la création du monde. Pareillement, du plus loin que je me rappelle, rien ne m'a été caché du manège sentimental. J'approchais de la gare d'Est-Ceinture à l'heure de la sortie des usines. Les nacelles retenues dans les cours se détachaient du sol une à une et toutes les passagères semblaient folles d'une branche de lilas. Devant le mur de briques blanches et rouges s'illuminait de place en place un merveilleux lustre de doubles-croches. Le travail commué laissait la nuit libre : des mains allaient pouvoir emplir les saladiers bleus. Sous la blouse de coutil qui est encore un moule, l'ouvrière parisienne au chignon haut regarde tomber la pluie du plaisir.

Il faut savoir ce que c'est que de se promener avec un sceptre dans les ruelles de la capitale à l'entrée de la nuit. La rue Lafayette balance de gauche à droite ses vitrines. C'est l'heure des meetings politiques et l'on peut voir au-dessus des portes se détacher en lettres grasses l'inscription « Rien ne va plus ». J'étais depuis un quart d'heure à la merci de ces voyantes funèbres qui, avec des yeux violets, vous demandent obligatoirement une cigarette. On m'a toujours enseigné que la plus haute expression de gravité consistait à parler tout seul. J'étais cependant moins fatigué que jamais. Un des pôles aimantés de ma route devait être, je le savais depuis P.10 longtemps, la réclame lumineuse de « Longines » à l'angle de la rue de la Paix et de l'avenue de l'Opéra. De là, par exemple, je n'aurais plus su où aller.

Tâche pour tâche, obligation pour obligation, je sens bien que je ne ferai pas ce que j'ai voulu. Les petites lanternes aux armes de Paris qui font rebrousser chemin aux voitures à partir d'une certaine heure m'ont toujours fait regretter l'absence des paveurs. Il faut les avoir vus, ne serait-ce qu'une fois, l'œil à leur niveau d'alcool, éviter tout cahot aux loutres gantées de craie. Les pavés de bois sont plus légers que les prières dont le soleil use lentement les bords. Si l'un est plus clair que les autres, il y a dans votre portefeuille une dépêche que vous n'avez pas lue. Cependant, à l'un des plus jolis coudes du boulevard, cette clairière orangée plantée d'un paratonnerre et recouverte d'une houle de Liberty était-elle vouée à la circulation d'animaux plus gracieux que les autres ? Ce fut un jeu pour moi d'enjamber sans être aperçu les quelques fioles de parfum qui voulaient m'en interdire l'accès. Une ordonnance de police paraissant dater du milieu du siècle dernier tapissait en partie le manche d'un instrument en forme d'arbalète que je reconnus pour l'avoir déjà vu incrusté de pierres précieuses à la devanture d'une armurerie des passages. Il reposait cette fois sur une claie de feuillage séché de sorte que je pus croire à un piège. Le temps d'écarter cette idée, je mis à jour les deux échelons supérieurs d'une échelle de cordes. Je décidai aussitôt de faire usage de l'appareil qui s'offrait et me donnai seulement le loisir, quand ma tête fut seule à émerger du sol, de baiser éperdument de loin deux hautes bottes noires fermées sur des bas crèmes. C'était là le dernier souvenir que j'emporterais d'une vie qui avait été courte car je ne me rappelle plus bien si j'avais vingt ans sonnés.

Pour comprendre le mouvement dont était animé ce triste ascenseur, il faut faire appel à certaines connaissances astronomiques. Les deux planêtes les plus éloignées du soleil combinent leur rotation autour de lui avec cet étrange va-et-vient. La lumière était celle des boutiques d'eau minérale. Pour quel public d'enfants hagards éxécutais-je des exercices aussi périlleux ? J'apercevais des moulures discontinues passant par toutes les couleurs du spectre, des cheminées de marbre blanc, des accordéons et alternivement la grêle, les plantes ciliées et l'oiseau-lyre. Attendez, naufrages ; soupirez, trompettes marines au son desquelles je serai peut-être un jour reçu par mon frère, ce charmant mollusque qui a la propriété de voler sous l'eau. Peu à peu la lenteur des oscillations me faisait pressentir l'approche du but. Là était le mystère car je n'aurai rien dit en affirmant P.11 que soumis à un tel balancement dans l'air supérieur, j'aurais aussi bien pu m'arrêter à Naples ou à Bornéo. Les zônes torrides, glaciales, lumineuses ou de clair-obscur s'étagéaient, se carrelaient. Quand une jeune fille, dans une ferme, laisse couler à travers sa chambre l'eau d'une source voisine et que son fiancé vient s'accouder à la barre arquée de sa fenêtre, ils partent eux aussi pour ne plus se retrouver. Que d'autres se croient s'ils le veulent à la merci d'un rétablissement : moi que les plus blanches écuyères ont fêté pour mon adresse à lancer leurs chars aveugles sur les routes de poussière, je ne sauverai personne et je ne demande pas à être sauvé. J'ai ri jadis de la bonne aventure et je porte sur l'épaule gauche un trèfle à cinq feuilles. Il peut m'arriver chemin faisant de tomber dans un précipice ou d'être poursuivi par les pierres, mais ce n'est chaque fois, je vous prie de le croire, qu'une réalité.

II

Coutumière du fait

C'est plutôt chaque pas que je fais qui est un rêve et ne me parlez pas de ces tramways d'aspect bénin où le conducteur délivre des billets de tombola. Il profite de toutes les stations pour aller boire. C'est alors que le véhicule qui tend après l'arrosoir à se retirer de la circulation se voit entouré des cerfs les plus photogéniques. Pour moi, mes convictions ne m'ont jamais permis d'y prendre place qu'au rabais, de grand matin, avec les ouvriers qui portent en bandoulière des besaces pleines de perdrix. Tout de même, j'étais venu à Paris et une grande flamme m'escortait, je l'ai dit, de ses quarante pieds blonds.

Les boulevards souterrains n'existaient pas encore.

On sait dans quelles conditions singulières ont été commis presque tous lés crimes : le coupable se croit obligé de dépenser plus de mille francs par nuit. J'étais si riche : tout le fruit de la prostitution entre les années 1914 et 1918, je n'aurais su que faire de cette pomme d'or.

A ce moment l'ennemie de la société pénétrait dans l'immeuble situé au n° 1 du boulevard des Capucines. Mais elle ne fit qu'entrer et sortir. Je ne l'avais jamais vue et pourtant mes yeux s'emplirent de larmes. Elle était discrète comme le crime et sa robe à petits plis noire, en raison de la brise, apparaissait tour à tour brillante et ternie. Il n'y avait pas P.12 d'autre provocation dans son attitude : tant qu'elle alla j'observai que son pied se posait toujours aussi légèrement. A sa gauche, à sa droite, sur le trottoir s'inscrivaient sans cesse en lettres de toutes les couleurs des noms de parfums, de spécialités pharmaceutiques. Dans tous les cas il fait bon suivre de telles femmes dont on est sûr qu'elle ne vont pas à vous et qu'elles ne vont nulle part. Comme celle-ci venait encore de franchir pour rien le seuil d'une maison de la rue de Hanovre, je me portai vivement à sa rencontre et avant qu'elle eût pu se reconnaître, j'emprisonnai dans la mienne sa main crispée sur un revolver si petit que la bouche du canon n'atteignait pas la première phalange de l'index replié. L'inconnue eut alors un regard de supplication et de triomphe. Puis, les yeux fermés, elle prit mon bras silencieusement.

Rien n'est assurément plus simple que de dire à une femme, à un taxi : « Occupez-vous de moi ». La sensibilité n'est autre chose que cette voiture entièrement vitrée dans laquelle vous avez pris place ; une vulgaire dentelle de fil jetée sur la banquette essaie de vous faire oublier les ornières du chemin. Parfois l'impériale est garnie de malles et de cartons à chapeaux oblongs comme des pendantifs. Le tout va se jeter dans un petit lac au pied de l'arbuste des mains jointes. Par la force des choses, autrefois n'ai-je pas attendu qu'une raison de vivre me vînt de ces parties de chagrin ? Les femmes les plus enragées sont les divorcées qui s'arrangent si bien de leur voile de crêpe gris-perle. Au bord de la mer il fut pour moi de saison de jongler avec leurs genoux. Le fouet des victorias disparues ne dessinait plus dans le temps qu'une pluie d'étoiles et il faut avouer que ces deux images froidement distinctes n'étaient pas seules superposables du point où je me trouvais placé. Ainsi au feu de la rampe une bouche apparaît absolument semblable à un œil et qui ne sait que, pour peu qu'on incline le prisme de l'amour, les archets courent sur la jambe des danseuses ?

Quand il s'agit de Solange... Huit jours durant nous avons habité une région plus délicate que l'impossibilité de se poser pour certaines hirondelles. Sous peine de séparation nous nous étions interdit de parler du passé. La fenêtre donnait sur un navire, lequel, couché dans la prairie, respirait régulièrement. Au loin on apercevait une immense tiare faite de la richesse des anciennes villes. Le soleil prenait au lasso les plus belles aventures. Nous avons vécu là des heures exquisement oubliables en compagnie de l'Arlequin de Cayenne. Il faut dire qu'au beau milieu de l'escalier qui conduisait à notre chambre, Solange avait ôté son chapeau et allumé le feu de paille. Il y avait un bouton de sonnerie pour la réalisation P.13 de chacun de nos désirs et il y avait temps pour tout. Le dessus de lit était fait de nouvelles à la main :

La boule d'or qui roule sur le fond azuré de cette cage n'est reliée à aucune tige apparente et elle est pourtant la boule d'un merveilleux condensateur. Nous sommes dans un bar de la rue Cujas et c'est ici qu'après l'attentat du train 5 Mécislas Charrier vint essayer cette main finement gantée grâce à laquelle il sut se faire reconnaître.

Rosa-Josépha, les sœurs siamoises, il y a huit jours se levaient de table lorsqu'un papillon arborant mes couleurs vint décrire un huit autour de leurs têtes. Jusque-là le monstre, accouplé à un casseur d'assiettes, semblait avoir compris peu de chose au grand destin qui l'attendait. »

On allait être en septembre. Sur un tableau noir, dans le bureau de l'hôtel, une équation tracée de main d'enfant ne comportait plus que des variables. Le plafond, l'armoire à glace, la lampe, le corps de ma maîtresse et l'air lui-même s'étaient approprié la sonorité du tambour. Parfois, entre minuit et une heure, Solange s'absentait mais j'étais sûr de la retrouver le matin dans sa chemise pailletée. Je ne sais encore que penser de son sommeil et peut-être ne fit-elle jamais que s'éveiller à mes côtés. Sous le toit de verdure frémissante partagée entre les échos nocturnes, dans la cheminée refleurissait la fraise des quatre-saisons. Solange avait toujours l'air de sortir d'une redoute. La terrible impersonnalité de nos rapports excluait si bien toute jalousie que les grands verres d'eau teintés des disparitions ne s'attiédissaient jamais. Plus tard seulement j'ai compris l'extraordinaire faiblesse de ces fameux tours de magie blanche.

C'est dans la salle de bains que se passait le meilleur de notre temps. Elle était située au même étage que notre chambre. Une buée épaisse « à couper au couteau » s'y étendait par places, notamment autour de la toilette, à ce point qu'il était impossible d'y saisir quoi que ce fût. De multiples accessoires de fard y trouvaient incompréhensiblement leur existence. Un jour que je pénétrais le premier, vers huit heures du matin, dans cette pièce où régnait je ne sais quel malaise supérieur, dans l'espoir, je crois, d'éprouver le sort mystérieux qui commençait à planer sur nous, quelle ne fut pas ma surprise d'entendre un grand bruit d'ailes suivi presque aussitôt de celui de la chute d'un carreau, lequel présentait cette particularité d'être de la couleur dite « aurore » alors que la vitre demeurée intacte était au contraire faiblement bleue. Sur le lit de massage reposait P.14 une femme de grande beauté dont je fus assez heureux pour surprendre la dernière convulsion et qui, lorsque je me trouvai près d'elle, avait cessé de respirer. C'était comme si une métamorphose ardente se fut opérée autour de ce corps sans vie. Si le drap tiré aux quatre coins s'allongeait à vue d'œil et allait à une merveilleuse limpidité, le papier d'argent qui tapissait ordinairement la pièce, par contre, se recroquevillait. Il ne servait plus qu'à poudrer les perruques de deux laquais d'opérette qui se perdaient bizarrement dans la glace. Une lime d'ivoire que je ramassai à terre fit instantanément s'ouvrir autour de moi un certain nombre de mains de cire qui restèrent suspendues en l'air avant de se poser sur des coussins verts. Les moyens me manquaient, on l'a vu, pour interroger le souffle de la morte. Solange n'avait pas paru de la nuit et pourtant cette femme ne lui ressemblait pas à l'exception des petits souliers blancs dont la semelle au point d'insertion des orteils présentait d'imperceptibles hachures comme celles des danseuses. Le plus léger indice me manquait. Il était remarquable que la jeune femme fût entrée là toute dévêtue. Comme j'introduisais mes doigts dans ses cheveux fraîchement coupés j'eus soudain l'impression que la belle qui n'avait pas bougé venait de déplacer le corps de gauche à droite, ce qui, joint à la position de son bras droit derrière son dos et à l'hyperextension de sa main gauche, ne pouvait manquer de suggérer l'idée d'un grand écart.

M'étant borné à ces menues constatations, je sortis sans précautions inutiles. Certes les seules décorations qui m'inspirent quelque respect sont ces crachats d'or fixés à la doublure, un peu au-dessous de la poche intérieure du veston. Je rajustai pourtant le ruban rouge que je portais à la boutonnière. On n'a écrit qu'un livre médiocre sur les évasions célèbres. Ce qu'il faut que vous sachiez, c'est qu'au-dessous de toutes les fenêtres par lesquelles il peut vous prendre fantaisie de vous jeter, d'aimables lutins tendent aux quatre points cardinaux le triste drap de l'amour. Mon inspection n'avait duré que quelques secondes et je savais ce que je voulais savoir. Aussi bien les murs de Paris avaient été couverts d'affiches représentant un homme masqué d'un loup blanc et qui tenait dans la main gauche la clé des champs : cet homme, c'était moi.

André BRETON.

(Voir au numéro 5 la fin du chapitre 2 et le chapitre 3 : UN MONDE A PART.)

P.15

Le Roi fainéant

L'homme que l'autre avait deviné sa pensée secoua sa tête comme un tapis : « La vie peut être encore belle, très belle ». Ils causent. Là dessus l'écume escalade la jetée. La femme, sa vie c'est comme si on chantait, donne des pierres à manger aux flots. Les flots, bonne histoire.

Un détail, tout matériel, frappa la petite pensionnaire. Il avait, pendant sa courte absence, changé de costumé. C'était enfin le moment de savoir venu.

Davenant à la terrasse des cafés se croyait à bord d'un navire ou mieux à cet acte d'opéra où d'un toit le baryton découvre la ville. Roger Noir, lui, le long d'une femme. Mais Silence : Silence regarde ses mains et le vent, et se sourit d'être si belle.

Un soir aurore, comme un homme s'y mirait, Silence ferma les yeux : le photographe.

Elle chantait tandis que les meubles descendaient l'escalier sous la conduite du commissaire-priseur.

Il est bien naturel de danser sur les parquets de l'appartement des faillites.

Le long du fleuve d'hommes, qu'importe le parapet ? Epaule à bretelle.

Aux ailes du matin qu'as-tu changé, Maman ?

« J'ai joué aux dés mes tempes ; à pile ou face une robe du soir ; j'ai joué mon souffle à la courte paille. J'ai joué à l'amour l'amour ».

LOUIS ARAGON.

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L'Auberge du "Cul volant"

Je soussigné, Benjamin Péret, certifie que ces lignes ont été écrites, sous ma dictée, la première partie avant de faire l'amour et la seconde partie après.

    • Avant

L'homme à la couille sauvage descendit de l'arbre qu'il occupait depuis son premier mariage. Il tenait dans chaque main un sexe, d'où sortaient des millions de petites larves qui s'envolaient aussitôt et allaient se poser sur de grosses fleurs bleues. Au contact de ces larves, les fleurs jaillissaient comme si elles eussent été de caoutchouc.

L'homme était un double mâle. Il s'avança vers un rocher où se dessinait à hauteur d'homme une ligne de vagins. Du doigt, il toucha l'un d'eux, qui rendit un son aigu, le second, rendit un son plus aigu encore, le troisième révéla au toucher la sensibilité d'un sourcil. Il appuya sur le quatrième avec son pouce de toutes ses forces, et la pierre s'enfonça. A mesure que la pierre s'enfonçait, deux grands bras blancs, et deux jambes aussi blanches que les bras apparurent et se couvrirent de roses en un instant.

L'homme disparut, cependant qu'à la place du vagin, une longue traînée de soufre coulait jusqu'à terre. Non loin de là, une grande fleur jaune qui s'entrouvrait, quitta son pied et s'enroula autour d'un arbre, - une sorte de magnolia. Elle se colla sur une des fleurs de l'arbre qui disparut dans sa corolle ; et de là aussi, on put voir quelques minutes après, du soufre couler goutte à goutte.

De l'endroit où l'homme était disparu, partait maintenant un bruit d'hélice tournant à toute allure, et de seconde en seconde, des fragments d'os et de chair sortaient du trou par lequel l'homme était entré.

Quatre mouches, et deux grosses araignées bleues, se mirent à tourner silencieusement autour du petit tas d'os et de chair qui se mit à tourner sur lui-même. Bientôt, une tête se forma puis un bras, une jambe, un sexe, et le corps tout entier d'un enfant nouveau-né apparut.

L'enfant porta la main à son sexe qui était mâle, les mouches et les araignées disparurent par le même trou que l'homme. L'enfant, la main à son sexe jouissait. Les arbres, les animaux, les rochers s'incurvaient et dessinaient tous la forme d'un vagin. L'enfant se leva, courut à l'arbre qu'il voulut saisir, mais l'arbre devint liquide, et lui coula entre les bras, il courut aux rochers et ceux-ci s'envolèrent.

De nouveau l'enfant toucha son sexe du doigt et jouit. Une haie de sexes mâles se dressa de chaque côté de lui, et l'enfant s'envola suivi de P.17 deux seins, l'un blanc, l'autre noir. Il descendit à quelque distance de la, sur le bord d'un ruisseau ; et là, il vit sortir de l'eau l'homme à la couille sauvage, dont les mains étaient remplies d'excréments, qui fleurissaient au contact de l'air. Une petite cervelle tomba en sifflant, pénétra dans le crâne de l'enfant et assura sa croissance.

L'homme mit l'enfant dans son ventre, et deux jeunes Espagnoles se jetèrent à ses pieds, embrassant sa verge avec passion. Elles s'arrondirent subitement, se mouchetèrent de taches semblables à celles d'un léopard.

L'homme se roidit comme s'il allait mourir ; celle qui à cet instant lèchait sa verge, se roidit également. Et tous deux, animés d'un mouvement hélicoïdal, s'enfoncèrent droit dans un nuage électrique, et descendirent aux pieds de Dieu.

    • Après

Le marchand de tapis s'arrêta devant l'auberge et dit : Petites filles fraîches, jeunes garçons tout blancs ! Qui en veut, Messieurs et Dames ?

L'homme au nombril d'écaille, qui portait une main sur la tête, s'éveilla du long sommeil qu'il venait de faire en compagnie d'une négresse : celle qu'il avait ramenée d'un pays où les plantes se déplacent et font l'amour en marchant. Il sortit son revolver et tira sur le marchand, mais celui-ci avait prévu le coup et s'aplatit adoptant à peu près la forme d'une tortue.

En regardant les lampes électriques, il commença à s'enivrer. La petite marchande d'étoiles passa, et vendit à tout le monde sa petite marchandise parfumée, ainsi elle put dîner ce soir-là.

L'homme au nombril d'écaille, le premier s'éveilla de nouveau. Une colombe portant le rameau d'olivier, voltigeait au-dessus de sa tête. Il ouvrit la fenêtre, l'air était pur, le ciel était bleu, les oiseaux chantaient, mais tous les hommes mangeaient dans les arbres avec les oiselles, et les oiseaux étaient dans le lit des femmes.

C'était le matin du 2 avril 1922, et les machines souffraient comme des femmes en couches. Seul l'homme qui s'était aplati comme une tortue allongeait la tête vers la vulve qu'il apercevait à quelque distance de lui, mais à chaque mouvement qu'il faisait pour s'avancer, correspondait un mouvement de la vulve qui s'éloignait.

Une sarcelle, venant à passer entre eux, comprit leur émoi, et consentit à s'étendre pour les relier. La pointe du bec appuyée sur la vulve, une patte sur la tête de l'homme, elle tournait.

L'homme au nombril d'écaille les vit, et éclatant de rire leur dit :

« Vous êtes bien punis mes pauvres enfants. »

BENJAMIN PERET.

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SURPRISES THÉATRALES

Conseil de Révision

par Cangiullo

Le Marié
L'Ami
Le Directeur du Théâtre, en frak
Le passant
Quelqu'un dans la foule
Le Cortège
et, s'il y a lieu, la Mariée.

Dans une grande ville italienne. - 1916. - Une rue. - Soleil d'après-midi d'avril.

Dans le fond, les derniers groupes d'un cortège de noce, très bruyant. - Hommes et femmes de tous les âges. - On suppose que le Marié et la Mariée sont déjà passés et que l'église, la maison, les voitures et tout le reste sont derrière les portants. - Gaîté, émotion, souhaits, bons-mots, etc.

Peu après :

Le Passant (venant de droite, s'arrête, regarde. Puis comme s'il parlait à Quelqu'un dans la foule : On se fiche de la guerre, à ce qu'il paraît !... On se marie quand-même.

Quelqu'un dans la foule. C'est un réformé. On n'a pas voulu de lui, pas même à la deuxième révision...

Le Passant (calmé) Ah ! c'est bien... c'est bien... Mes meilleurs souhaits... (Il disparaît dans la foule).

Le Cortège. Vivent les mariés ! (Applaudissements).

Tout le monde sort. Obscurité.

Après quelques secondes, le Directeur du Théâtre en frak, sort des coulisses et vient à la rampe en disant au public d'un ton grave et solennel :

Le Directeur du Théâtre. Mesdames et messieurs ! C'est en ce moment que la chose a lieu... Réfléchissez !

(Il sort. - Après une minate, éclairage)

Le lendemain. - Même rue, mais à l'aube.

Le Marié (petit, rachitique, phtisique, très ridicule, réformé, encore coiffé de son haut-de-forme, en redingote, avec monocle, mais bouleversé, très agité, entre à gauche. Au milieu de la scène, il rencontre l'Ami, qui était le type le plus en vue dans le cortège).

L'Ami (étonné) Tiens ! Joseph ! ! Seul ? ! A cette heure matinale ? ! Un malheur peut-être ? ! Madame serait-elle endommagée ?

Le Marié. Endommagée ? Hélas ! Non ! Je divorce !

L'Ami (très étonné). Quoi ?...

Le Marié. Incompatibilité....

L'Ami. Déjà ? !... Après quelques heures seulement ?...

P.19

Le Marié. Naturellement ! Le temps qu'il fallait pour m'apercevoir qu'un mari qui a été réformé deux fois ne peut pas être en bons rapports avec une femme qui fut certainement apte au service Dieu sait combien de fois !

L'Ami. Oooooh ! !

Le Marié. Viens ! Tu vas m'accompagner.

(Ils sortent)

Le Directeur du Théâtre (entre en scène). Mesdames et Messieurs, le drame est fini. Seulement, si vous nous faites la grâce d'applaudir les acteurs, nous vous présenterons la Mariée. Bien qu'elle n'ait pas eu de rôle dans la pièce, c'est tout de même... le premier rôle de ce joli petit chef-d'œuvre.

(Rideau)

Le public (applaudissant) La Mariée ! La Mariée ! Nous voulons la Mariée !

(Le rideau se lève)

Le Directeur du Théâtre (entre en scène tirant hors des portants la Mariée, qui s'accroche, ne veut pas se montrer, et dont on ne voit qu'un bras nu).

(Rideau)

Le Public. La Mariée ! La Mariée ! Nous voulons la Mariée à la rampe !

(Le rideau se lève)

Le Directeur du Théâtre répète les mêmes efforts inutiles pour sortir la Mariée.

(Rideau)

Le public. La Mariée ! La Mariée ! Nous voulons la Mariée !

(Le Rideau se lève, et enfin)

Le Directeur du Théâtre, avec un grand effort, s'empare de la Mariée et la traîne à la rampe. Elle est en chemise, une couronne de fleurs d'oranger sur sa chevelure blonde. Timide et rougissante, elle cache ses yeux avec son bras nu.

(Rideau)

Le propriétaire du théâtre et l'imprésario furent surpris, au point de croire que l'actrice-Mariée ne voulait à aucun prix se montrer sur la scène. Ils s'empressèrent de dépêcher une commission qui se présenta à MM. Marinetti et Cangiullo, en exigeant la présence de la Mariée à la rampe.

Jardin public

par Marinetti et Cangiullo.

Parc ensoleillé. - A gauche deux Amants (acteur et actrice) enlacés, s'embrassent sur un banc. - A droite, un grand tableau futuriste d'Alphabet à Surprise, représentant trois nourrices (grandeur naturelle) faites avec trois B énormes, chacune avec son poupon en forme de grand S.

Près du tableau se dandine un inverti.

A un mètre de la rampe, 6 automobilistes (5 acteurs et 1 actrice) assis sans soutien comme autant de 4, imitent les bonds et les mouvements à ressort de 6 personnes assises dans une auto rapide, avec un chauffeur qui reproduit avec la bouche les bruits du moteur.

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A Lucca, dès le rideau baissé, un spectateur se mit à marcher sur ses mains, les jambes en l'air et fit ainsi le tour de la première galerie, parmi les spectateurs surpris.

A Turin, un spectateur se déguisa en Cavour et fit un grand discours contradictoirement avec un spectateur déguisé en Mazzini, et lui répondit spirituellement.

Musique de toilette

par Marinetti et Calderone.

Les pédales d'un piano vertical et noir sont chaussées d'élégants petits souliers dorés de dame. Un acteur, femme de chambre du piano, époussette le clavier au moyen d'un plumeau en jouant ainsi un morceau. Un autre acteur (seconde femme de chambre du piano) frotte avec une brosse à dents, les dents d'ivoire du piano. A genoux, un petit chasseur d'hôtel vêtu de rouge frotte les petits souliers dorés du piano.

(Rideau)

Cette surprise en provoqua une autre hors de la scène. Un monsieur dans le parterre, s'adressant à Marinetti, qui assistait au spectacle dans une loge, crie : « Non ! vous n'êtes pas fou ! Vous nous rendez fous ! » Au même instant un monsieur du poulailler se met à siffler violemment et aussitôt après, à applaudir avec la même violence. Alors le monsieur du parterre jette l'alarme à haute voix : « Voici le premier cas de folie ! » et s'élance terrorisé vers la sortie.

Déclamation d'un poème de guerre, avec tango voluptueux

par Marinetti.

Le poète déclame un poème de guerre en mots en liberté. Les bruits de la canonnade, de la fusillade et de la mitrailleuse sont imités avec exactitude au moyen de la grosse-caisse et d'un martèlement de tablettes invisibles. En même temps, deux élégants danseurs, homme et femme, (habit et toilette rose décolletée) dansent un tango langoureux autour du déclamateur. Cette déclamation créée par Marinetti en 1913, au Doré-Galerie de Londres, apparaît aujourd'hui perfectionnée.

Cette compénétration d'une âme de combattant (fureur guerrière et nostalgie voluptueuse) est une importante invention futuriste. Partout, dans les salles les plus tumultueuses elle a eu le pouvoir prodigieux de clouer d'admiration le public, qui après avoir écouté la déclamation, en salua la fin par les applaudissements les plus enthousiastes.

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SYNTHESES THÉATRALES

Le Contrat

par Marinetti.

Chambre à coucher. - Pénombre. - On entrevoit un lit blanc dans lequel agonise M. Paul Dami.

L'Ami (entre et s'adresse à la Femme de chambre). Paul est mourant ; il n'y a donc plus d'espoir...

La Femme de chambre. Un brin d'espoir. La balle a traversé le poumon.

L'Ami. Mais dites-moi... C'est vraiment pour... cette femme, qu'il s'est tué ?

La Femme de chambre. Mais non... M. Paul s'est suicidé pour l'appartement. Je vous expliquerai l'énigme. Vous savez qu'il adorait cet appartement. Dernièrement, il pria le propriétaire de lui ouvrir une fenêtre sur la rue. Pour le grand cortège... Ce crétin refusa. Il y a trois jours, M. Paul apprit par hasard que le propriétaire était en pourparlers avec un nouveau locataire. L'idée de perdre cet appartement, l'a rendu fou de douleur et il s'est tiré un coup de revolver.

M. Dami (parlant en rêve). Le feu à la maison ! L'appartement brûle ! Appelez les pompiers ! (Il s'assoupit. - Le Médecin entre, et aussitôt après lui une dame blonde, en noir, très élégante, qui s'approche du lit du moribond, face aux spectateurs).

L'Ami (au Médecin). Il n'y a vraiment plus rien à faire ?

Le Médecin (solennel). Rien. Voyez-vous ?... Quand un monsieur entre dans un appartement, le cas est grave, mais il y a toujours l'espoir d'une guérison... Quand, au contraire, c'est l'appartement qui entre dans le monsieur, le cas est vraiment désespéré !... (A ce moment, la Dame en noir passe de l'autre côté du lit, et tourne le dos aux spectateurs. Sur son dos, on voit une petite pancarte avec ces mots : A LOUER).

(Rideau)

Ils vont venir

par Marinetti.

Un salon. Lustre allumé. Au fond, à gauche, une porte ouverte sur le jardin. A gauche, le long du mur, grande table rectangulaire avec tapis de couleur. A droite, le long du mur, qui est percé d'une porte, un grand fauteuil à dossier très haut, ayant à sa droite quatre chaises de formes différentes, et à sa gauche quatre chaises de formes différentes. Le fauteuil et les chaises sont adossés au mur.

Sitôt levé le rideau on voit entrer par la porte du jardin un Maître d'hôtel et deux Valets de pied.

Le Maître d'hôtel. Ils vont venir. Que tout soit prêt. (Il sort).

Les Valets de pied disposent les huit chaises en demi-cercle, à droite et à gauche du fauteuil, qui demeure à sa place, comme la table. Puis, ils vont à P.22 la porte du jardin et demeurent quelques instants sur le seuil, en tournant le dos au public, comme s'ils guettaient les visiteurs, le buste penché au dehors. Une minute de silence immobile après laquelle le Maître d'hôtel rentre, haletant, dans le salon.

Le Maître d'hôtel. Nouvel ordre. Ils sont excessivement fatigués. Il faut donc beaucoup de coussins. (Il sort).

Les Valets de pied sortent par la porte de droite et rentrent, après quelques instants, chargés de coussins. Ils disposent le fauteuil au milieu du salon et les chaises en cercle autour du fauteuil, tous les dossiers tournés au fauteuil. Ils disposent des coussins sur le fauteuil, sur chaque chaise et en forment des tas sur le plancher.

Les Valets de pied vont ensuite à la porte du jardin, guetter les visiteurs attendus, le dos tourné au public comme auparavant. Une minute de silence immobile.

Le Maître d'hôtel. haletant, rentre par la porte du jardin. Nouvel ordre. Ils ont faim. Préparez la table.

Le Valet de pied disposent la table au milieu du salon. Tout autour, le fauteuil et les chaises. Puis ils préparent les couverts. A une place, ils mettent un vase de fleurs ; à une autre tout le pain ; à une autre, huit bouteilles de vin ; aux autres le couvert seulement. Une chaise doit être appuyée à la table, les pieds postérieurs soulevés, pour indiquer que la place est prise. Puis ils vont encore guetter sur le seuil, le buste penché au dehors. - Deux minutes de silence immobile.

Le Maître d'hôtel rentre en courant. - Briccatirakamékamé ! (il sort).

Les Valets de pied, sans rien changer à la disposition des couverts remettent rapidement la table à la place où elle était au début. Puis ils placent le fauteuil devant la porte, de biais, et ils disposent derrière le fauteuil les huit chaises en monôme, de façon à former une diagonale à travers la scène. Ils éteignent le lustre. La scène est maintenant éclairée faiblement par le clair de lune qui vient du jardin. Un réflecteur caché dans le fond gauche du jardin lance dans le salon son faisceau lumineux en couchant sur le plancher les ombres noires et nettes du fauteuil et des huit chaises. Le réflecteur, en pivotant lentement, déplace lentement mais visiblement ces ombres.

Les Valets de pied, accroupis dans un coin, ont l'air d'attendre avec une angoisse visible, en tremblant, que les chaises, aux ordres du fauteuil, sortent du salon.

(Rideau).

Simultanéité

Compénétration par Marinetti.

Salon. Le mur de droite est entièrement couvert par une grande bibliothèque. - Vers la gauche, une grande table. - Le long du mur, à gauche, des meubles modestes, tels qu'on en voit chez les petits bourgeois, et une porte. - Dans le fond, une fenêtre, à travers laquelle on voit la neige, et une autre porte qui s'ouvre sur l'escalier.

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Autour de la table, au dessus d'une suspension coiffée d'un abat-jour et qui répand une lumière faible et verdâtre, est assise une famille bourgeoise : La Mère, qui coud. Le Père, qui lit son journal. Le Fils de 16 ans, qui fait ses devoirs. La Fille de 15 ans, qui coud comme sa mère.

Devant la bibliothèque, tout près, une toilette très riche, très éclairée, avec glace et candélabres, surchargée de tous les flacons et de tous les petits instruments dont se sert d'habitude une femme très élégante. Une projection très intense de lumière électrique enveloppe ce meuble, devant lequel est assise une jeune Cocotte, très belle, blonde, enveloppée d'un peignoir très riche. Elle vient de se coiffer et s'occupe des dernières retouches à son visage, à ses bras, à ses mains, aidée attentivement par une femme de chambre irréprochable, debout à côté d'elle.

La famille bourgeoise ne voit pas cette scène.

La Mère (au Père). Veux-tu vérifier les comptes ?

Le Père. Je m'en occuperai tout-à-l'heure. (Il reprend sa lecture.)

Silence. Chacun des personnages s'occupe de sa besogne. - La Cocotte, de son côté continue à s'habiller, restant toujours invisible pour la Famille. - La Femme de chambre va vers la porte qui s'ouvre dans le fond, comme si elle avait entendu tinter la sonnette, et introduit un petit commissionnaire qui s'approche de la Cocotte et lui présente un bouquet et une lettre, puis sort, après avoir salué très respectueusement.

Le Fils aîné se lève, va vers la bibliothèque, en passant très près de la toilette, comme si celle-ci n'existait pas. Il prend un livre, traverse encore le salon, revient s'asseoir à la table, et se remet à écrire.

L'Ainé (interrompant son travail et regardant par la fenêtre). Il neige encore... Quel silence !

Le Père. Cette maison est vraiment trop isolée... L'année prochaine nous déménagerons...

(La Femme de chambre de la Cocotte va de nouveau vers la poste, comme si la sonnette avait tinté encore une fois, et introduit une jeune modiste. - Celle-ci, s'étant approchée de la Cocotte, extrait de sa grande boîte un chapeau magnifique. La Cocotte l'essaye, devant la glace, s'impatiente parce qu'elle ne le trouve pas à son goût, et le met de côté. - Puis elle donne un pourboire à la jeune fille et la renvoie d'un geste. La jeune fille sort en saluant.

Tout à coup la Mère, après avoir cherché quelque chose sur la table, se lève et sort par la porte de gauche, comme pour aller prendre un objet qui lui manque.

Le Père se lève, va vers la fenêtre, devant laquelle il reste debout, regardant à travers les vitres.

Peu à-peu, les trois enfants s'endorment, la tête sur la table.

La Cocotte quitte la toilette, s'approche lentement de la table bourgeoise. Elle prend les factures, les devoirs, les ouvrages de couture, et jette tout cela sous la table, nonchalamment).

La Cocotte. Dormez donc !

(Elle retourne lentement s'asseoir devant la toilette, et se met à polir ses ongles avec soin).

(Rideau).

P.24

LES LIVRES

Docteur Bertray : Aux victimes de l'Amour

La vie, à chaque pas, dans chaque rue, se retrouve. C'est toujours la même façade, moins le mystère qu'on n'ose pas avouer. Nous ne pouvons laisser inaperçu ce petit livre du Docteur Bertray. Ce grand savant sait mêler la poésie et la science. Il le fait avec vérité, avec un grand cœur généreux et dévoué. Sera-t-il incompris lui aussi ? Certes, car son antimilitarisme est trop loyal pour nos critiques d'art et journalistes. Pourtant nous qui ne nous chauffons pas du même bois, nous avouons admirer l'esprit du Docteur Bertray De cette pauvre jeunesse abattue, se relèveront bientôt des hommes victorieux qui rempliront le monde d'une progéniture saine et dévouée.

On pourra dire alors : C'est son œuvre.

Jacques BARON.

Lettre

Nous avons reçu la lettre suivante que nous nous empressons de communiquer à nos lecteurs :

Messieurs,

Nous avons le plaisir de vous informer que nous vous expédions par ce courrier la douzaine d'enfants français morts de faim que vous nous réclamez en échange des spécimens russes que vous avez eu la bonté de nous envoyer.

Toujours dévoués à vos ordres, agréez, etc.

(IIlisible)