Littérature (nouvelle série) n° 11-12, octobre 1923
DIRECTEUR :
ANDRÉ BRETON
= Rédaction : 42, Rue Fontaine, PARIS (IXe) =
Administration : LIBRAIRIE GALLIMARD, 15, boulevard Raspail, PARIS
LITTÉRATURE paraît le 1er de chaque mois
Ce numéro est consacré spécialement à la poésie
Robert DESNOS, Benjamin PÉRET. Max ERNST, Roger VITRAC, Francis PICABIA, Georges LIMBOUR, Max MORISE, Germain NOUVEAU, Paul ELUARD, André BRETON, Joseph DELTEIL, Philippe SOUPAULT, Louis ARAGON.
COUVERTURE DE F. PICABIA DESSINS DE MAX ERNST
PRIX DE CE NUMÉRO
France : 3 francs. - Etranger : 4 francs.
ABONNEMENTS
Les 12 numéros : 20 francs pour la France et 25 francs pour l'Etranger
Il a été tiré de ce numéro un exemplaire sur chine numéroté 1 et neuf exemplaires sur parchemin japonais numérotés de 2 à 10.
P.1
LE DÉKIOUSKIOUTAGE
CHANSON - CHANSON
(Lamentations d'un looping-the-loop des Champs-Elysées)
Je me suis fait dékiouskiouter
Le rondibé du radada,
Le bout du frogn' du rognognome
Du dig et bag m'en tire la bête
Et la rue Rochechouart.
REFRAIN
Ah ! Ah ! J'avais la pécole,
La gigite et la vesoul,
Avoir la peau du cou qui se décolle
Est un plaisir bien doux.
Je me suis fait dorer le af-naf
Arrondir le sprouknic,
Pic et pic et colègramme
Et bourr' et bourr' et ratatame
Du petit phonogramme.
REFRAIN
Dag, dag ! Voilà Colibar
La glougloute du placard
Le rad, le zob, le figne du chien-chien
Sur le mont vénérien.
Alors étant dans le Flacdal
J'ai planqué fourgué chez Pégal,
Mon ognard, mon dix, mon plombe,
Mon rade, mon figne tout harnaché
Pour un p'tit larantequé.
P.2
REFRAIN
Cal ! Cal ! Caltez mes légumes
Du rancart où nous nous plûmes
J'ai l'rofrofrogne du rogne tout amoché
Et le dix décoloré.
Adieu af-naf, spitznartz, sprouknic
Et le Comice agricole,
Et la bibite et la téterre,
Et la cucu, la çao çao
La bitter curaçao (1)
REFRAIN
Con ! Con ! Consultez l'Bottin
Dans le Métropolitain,
Et radinez dans le figne des zouzous
Qui arrivent de Tombouctou (2)
(1) VARIANTE
Et grand papa papahouté
Té du radis noir à papa
Du paradis de Mahomet
Mettez-vous ça dans le dodo
De la rue Gérando.
(2) VARIANTE
Et radinez dans le figne à Kuroki
Qu'arrive de Mandchouri !
ANONYME.
P.3
Robert Desnos
ÉLÉGANT CANTIQUE DE SALOMÉ SALOMON
Mon mal meurt mais mes mains miment
nœuds nerfs non anneaux. Nul nord
même amour mol mammes ? mord
nu néné nonne ni Nine.
Où est Ninive sur la mammemonde ?
Ma mer m'amis me murmure :
« Nos Nils noient nos nuits nées neiges »
Meurs Momie ! Môme âme au mur :
Néant nié nom ni nerf n'ai-je !
Aime haine
Et n'aime
Haine aime
Aimai ne
M N
N M
N M
M N
A PRÉSENT
J'aimai avec plaisir ces longues fleurs qui éclatai-je à mon entrée. Chaque lampe se transfigurai-je en œil crevé d'où coulai-je des vins plus
P.4
précieux que la nacre et les soupirs des femmes assassinées.
Avec frénésie avec frénésie nos passions naquis-je et le fleuve Amazone lui-même ne bondis-je pas mieux.
Ecoutai-je moi bien ! Du coffret jaillis-je des océans et non des vins et le ciel s'entrouvris-je quand il parus-je.
Le nom du seigneur n'eus-je rien à faire ici. Les belles devins-je mortes d'amour et les glands, tous les glands tombai-je dans les ruisseaux. La grande cathédrale se dressai-je jusqu'au bel œil. L'œil de ma bien aimée.
Il connus-je des couloirs de chair, quand aux murs ils se liquéfiai-je et le dernier coup de tonnerre fis-je disparaître de la terre tous les tombeaux.
CŒUR EN BOUCHE
Son manteau traînait comme un soleil couchant.
Et les perles de son collier étaient belles comme des dents.
Une neige de seins entourait la maison
et dans l'âtre un feu de baisers.
Et les diamants de ses bagues brillaient plus que des yeux :
« Nocturne visiteuse Dieu croit en moi ! »
- « Je vous salue gracieuse de plénitude les entrailles de votre fruit sont bénies.
Dehors se courbent les roseaux fines tailles ;
Les chats grincent mieux que les girouettes.
Demain à la première heure nous respirerons des roses aux doigts d'aurore
et la nue éclatante transformera en astre le duvet. »
Dans la nuit ce furent les injures des rails
aux indifférentes locomotives
près des jardins où les rosiers oubliés
P.5
sont des amourettes déracinées.
« Nocturne visiteuse, un jour je me coucherai dans un linceul
comme dans une mer.
Tes regards sont des rayons d'étoile,
Les rubans de ta robe des routes vers l'infini.
Viens dans un ballon léger semblable à un cœur
Malgré l'aimant arc de triomphe quant à la forme.
Les giroflées du parterre deviennent les mains les plus belles d'Haarlem ;
Les siècles de notre vie durent à peine des secondes
à peine les secondes durent-elles quelques amours.
A chaque tournant il y a un angle droit qui ressemble à un vieillard.
Le loup à pas de nuit s'introduit dans ma couche.
Visiteuse ! visiteuse ! tes boucliers sont des seins !
Dans l'atelier se dressent, aussi sournoises que des langues,
les vipères,
et les étaux de fer comme les giroflées sont devenues des mains.
Avec quoi lapiderez-vous les cailloux ?
- Quel lion te suit plus grondant qu'un orage ?
- Voici venir les cauchemars des fantômes. »
« Et le couvercle du palais se ferma aussi bruyamment
que les portes du cercueil.
On me cloua avec des clous aussi maigres
que des morts,
dans une mort de silence.
Maintenant vous ne prêterez plus d'attention
aux oiseaux de la chansonnette.
L'éponge dont je me lave est un cerveau ruisselant
et des poignards me pénètrent
avec l'acuité de vos regards ».
P.6
JACK L'ÉGAREUR
Dans les trémies du ciel
un archange nage comme il sied vers une usine.
Faux monnayeurs que faites-vous de mes ongles ?
J'ai lu dans le journal un roman dont j'étais le héros
toujours à l'aise quand il fait pluie.
Mon cœur bat l'extinction des feux,
mes yeux sont la nuit.
Je veille mes lendemains avec anxiété.
Au bout d'un an et deux jours,
alors il se fit une journée de pluie d'or et les sept phares merveilleux du monde...
Escadres souterraines ne vous approchez pas de mon tombeau :
Je suis employé à déclouer les vieux cercueils
pour répartir équitablement les ossements
entre les anciennes sépultures
et les neuves.
Quelle profession ? Profession de foi tu ne figures pas au Bottin.
Les photographes rougiraient si vous les regardiez en pleurant.
Je suis un mort de fraiche date.
Si vous rencontrez un corbillard déchaussez vous
cela fera du bien au mort.
Il se lèvera,
il sortira,
il chantera,
il chantera la chanson des quadrilles ;
Et dans le futur on verra les nouveaux-nés arriver au monde
escortés de squelettes.
Ce ne seront partout que grossesses de géantes
et il sera de bon ton chez les élégantes
P.7
de faire monter en bague
les larmes solides des morts à l'occasion des naissances.
Amour haut parleur sirènes à corps d'oiseaux,
je vous quitte.
Je vais goûter le silence cette belle algue où dorment les requins.
LES GORGES FROIDES
A la poste d'hier tu télégraphieras
que nous sommes bien morts avec les hirondelles
Facteur triste facteur un cercueil sous ton bras
va-t-en porter ma lettre aux fleurs à tire d'elle
La boussole est en os mon cœur tu t'y fieras
quelque tibia marque le pôle et les marelles
pour amputés ont un sinistre aspect d'opéras
Que pour mon épitaphe un dieu taille ses grêles
C'est ce soir que je meurs ma chère Tombe-Issoire
Ton regard le plus beau ne fut qu'un accessoire
de la machinerie étrange du bonjour ;
Adieu ! je vous aimai sans scrupule et sans ruse
ma Folie-Méricourt ma silencieuse intruse
Boussole à flèche torse annonce le retour
P.8
RENCONTRE
Passez votre chemin.
Le soir lève son bâton blanc devant les piétons.
Cornes des bœufs les soirs d'abondance vous semez l'épouvante sur le boulevard.
Passez votre chemin.
C'est la volute lumineuse et contournée de l'heure.
Lutte pour la mort. L'arbitre compte jusqu'à 70.
Le mathématicien se réveille et dit
« J'ai eu bien chaud ! »
Les enfants surnaturels s'habillent comme vous et moi.
Minuit ajoute une perle de fraise au collier de Madeleine
et puis on ferme à deux battants les portes de la gare.
Madeleine, Madeleine, ne me regarde pas ainsi ;
un paon sort de chacun de tes yeux.
La cendre de la vie sèche mon poème.
Sur la place déserte l'invisible folie imprime son pied
dans le sable humide.
Le second boxeur se réveille et dit
« j'ai eu bien froid. »
Midi l'heure de l'amour torture délicatement
nos oreilles malades.
Un docteur très savant coud les mains de la prieuse
en assurant qu'elle va dormir.
Un cuisinier très habile mélange des poisons dans mon assiette
en assurant que je vais rire.
Je vais bien rire en effet.
Le soleil pointu, les cheveux s'appellent romance dans la langue que je parle avec Madeleine.
Un dictionnaire donne la signification des noms propres :
Louis veut dire coup de dés,
P.9
André veut dire récif,
Paul veut dire etc...
mais votre nom est sale :
Passez votre chemin !
LES GRANDS JOURS DU POETE
Les disciples de la lumière n'ont jamais inventé que des ténèbres peu opaques.
La rivière roule un petit corps de femme et cela signifie que la fin est proche.
La veuve en habits de noces se trompe de convoi ;
nous arrivons tous en retard à notre tombeau.
Un navire de chair s'enlise sur une petite plage. Le timonier invite les passagers à se taire.
Les flots attendent impatiemment plus près de Toi ô mon dieu.
Le timonier invite les flots à parler. Ils parlent.
La nuit cachète ses bouteilles avec des étoiles et fait fortune dans l'exportation.
De grands comptoirs se construisent pour vendre des rossignols. Mais ils ne peuvent satisfaire aux désirs de la reine de Sibérie qui veut un rossignol blanc.
Un commodore anglais jure qu'on ne le prendra plus à cueillir la sauge la nuit entre les pieds des statues de sel.
A ce propos une petite salière Cérébos se dresse avec difficulté sur ses jambes fines. Elle verse dans mon assiette ce qu'il me reste à vivre.
De quoi saler l'océan Pacifique.
Vous mettrez sur ma tombe une bouée de sauvetage.
Parce qu'on ne sait jamais.
P.10
PORTE DU SECOND INFINI
L'encrier périscope me guette au tournant,
mon porte-plume rentre dans sa coquille,
la feuille de papier déploie ses grandes ailes blanches.
Avant peu ses deux serres
m'arracheront les yeux.
Je n'y verrai que du feu mon corps,
feu mon corps,
vous eûtes l'occasion de le voir en grand appareil
le jour de tous les ridicules.
Les femmes mirent leurs bijoux dans leur bouche comme Démosthène,
mais je suis inventeur d'un téléphone de
verre de Bohème et de
tabac anglais
en relation directe
avec la peur.
P.11
Benjamin Péret
UN OISEAU A FIENTÉ SUR MON VESTON SALAUD
Main vide et pied levé
le bon enfant sur deux assiettes
mourait d'envie de rire d'un cheval
solitaire
de la lune
de la rousse
Au lieu de mourir
il aurait pu rire
Il préféra cogner comme un sourd
sur l'arbre le plus proche
L'arbre miaulait
T.S.F. T.S.F.
La T.S.F. le mordit au pied droit
et un ours à la main gauche
Comme il était jeune il n'en mourut pas
On le décora
on en fit un ambassadeur
Paul Claudel
CHARCUTONS CHARCUTEZ
Sur la carte il y a des lignes
qu'on appelle des golfes
P.12
Les enfants y mettent des grenouilles
que leurs parents vont chercher
pour leur apprendre la vie
la civilisation
et leur faire connaître leurs devoirs envers la patrie
Inutile de dire que les grenouilles s'en foutent
Un jour où l'autre
un soldat
et une fermière
feront l'amour devant leurs poules
Elles en mourront
et sur leurs tombes naîtra un petit cul sec
qui saura danser le boston
Ce sera la punition
Un soldat et une fermière
CHANGEMENT DE VIANDE RÉJOUIT LE COCHON
le cochon de chameau
le chameau de tramway
le tramway de papier
Si un bandit passait par là
vous verriez les yeux du soldat
se dilater comme un ballon captif
P.13
et les mains de la fermière
se couvrir de fermiers
Mais cela ne sera ne sera pas ne sera pas
et c'est dommage
VOYAGE DE DÉCOUVERTE
Il était seul
dans le bas du seul-seul
Un seul à la seule
il seulait
Ça fait deux seuls
deux seuls dans un bas-seul
Un bas-seul ne dure pas longtemps
mais c'est assez quand on est seul
dans le bas du seul-seul
LES MORTS ET LEURS ENFANTS
Si j'étais quelque chose
non quelqu'un
je dirais aux enfants d'Edouard
P.14
fournissez
et s'ils ne fournissaient pas
je m'en irais dans la jungle des rois mages
sans bottes et sans caleçon
comme un ermite
et il y aurait sûrement un grand animal
sans dents
avec des plumes
et tondu comme un veau
qui viendrait une nuit dévorer mes oreilles
Alors Dieu me dirait
tu es un saint parmi les saints
tiens voici une automobile
L'automobile serait sensationnelle
huit roues deux moteurs
et au milieu un bananier
qui masquerait Adam et Eve
faisant
mais ceci fera l'objet d'un autre poême
PORTRAIT DE ROBERT DESNOS
La crème du rivage
a guéri tes battements de cœur
Salu-e
As-tu vu la liberté
P.15
Elle couche avec l'égalité
Vilaine va
Et si elle ne s'ennuie pas
nous lui donnerons
un petit serpent de mer
qui couvrira ses épaules
unies comme les Etats Unis de la fraternité
PORTRAIT DE MAX ERNST
Tes pieds sont loin
je les ai vus la dernière fois
sur le dos d'un cheval-jument
qui était mou qui était mou
trop mou pour être honnête
trop honnête pour être vrai
Le cheval le plus vrai
n'est jeune qu'un moment
mais toi
toi je te retrouve
dans les rues du ciel
dans les pattes des homards
dans les inventions sauvages
P.16
PORTRAIT DE PAUL ELUARD
Les dents sombres montent sur les étoiles
quelles étoiles
Une voix éclate sur le gazon meurtri
comme une fesse
quelles fesses
Le vent couvre les cheveux des semences
Les semences passeront
mais tes nuages ne passeront pas
j'en ai un dans ma poche
qui s'élèvera jusqu'à ma bouche
Alors je sourirai à tes étoiles
C'est gai hein
PORTRAIT DE LOUIS ARAGON
Les bienfaits de la croissance
se constatent chaque jour
j'en suis témoin
et toi aussi
Maintenant tu as des mains dans les cheveux
et tes cheveux sont du verre
dont on fait les maréchaux
les capitaines au long cours
les cigares du luxe
et les wagons-lits
Bonjour mon petit
P.17
Max Ernst
ETNA
Croque-mort
A ton poste pendant 30 années
Comme Jésus-Christ
Tu te livres rarement
Comme Criqui
Tu te livres juste à la mesure
Tout heureux de prendre un peu d'exercice
L'exercice fait la force
Tu me plais
Des soldats demi-nus
Creusent des tranchées noires
Autour de tes pieds noirs
Tu craches sur eux
Ce sont des soldats du génie
Evidemment
C'est toi le génie
Tu craches sur eux
La mer se balance
Par sympathie
Evidemment
Autour de tes pieds noirs
Pendant que tu recharges
Ton magasin noir
Avec une légèreté
Qu'on n'eût pu soupçonner dans ta lourde masse
Et vivement
C'est-à-dire
Pendant 30 années
Croque-mort
Tu restes à ton poste
Et pendant ce temps-là
Je dors.
P.18
Roger Vitrac
MIGRAINE
(à suivre)
La carie c'est le sol
Le sol c'est la Patrie
La Batterie c'est le mol
Le Khol c'est la jolie
L'embolie c'est le col
Le bol c'est la charpie
La chérie au formol
Le fol à la voirie
Elle a ri au mi-sol
La geôle est la pourrie
Eugénie à l'épaule
Et Paul est à la vie
L'avarie c'est le rôle
Le drôle est la mairie.
AMOUR, JEU DE PAVÉS
A Suzanne.
Au milieu de la nuit tu te recourbes, riche
bicyclette nourrie de pain rouge. Damier
aux mille jambes nues dans le lait d'une église
Et la pieuvre en sueur, en perles, à ton pied.
P.19
Le ventre déchiré laisse un linge de veines
fumer un tabac broyé par des diamants.
L'écheveau de tes seins me conduit dans la plaine.
Je suis ton Ressort-aux-cravates-d'agneau-blanc.
Les os sont éclairés par l'œil bleu du mercure
où passe avec tendresse un révolver mourant.
Le drap c'est l'incendie autour de ta figure,
un crachoir de dentiste où s'évente ton sang.
LA FAIM
A André BRETON.
Le paysage, orteil de glace et de délices
Reprend les doigts de nos cœurs.
Le trouble de la pierre aux ombres qui rougissent
Gonfle les tiges de la peur.
Ici, les bras sanglants, cygnes de nos poitrines
Portent les têtes de l'amour :
L'une est le vaisseau clair des dents de la voisine
L'autre les ailes du vautour.
P.20
Poumons pressés entre les genoux de l'aurore,
L'herbe marche comme un agneau
Vers les maisons qui se rapprochent de la mort
Avec le fleuve des oiseaux.
Exilés ! les volcans attirent des écharpes.
Les amants visitent le feu
Et descendent, les pieds tombant comme des larmes
Et les ongles comme des yeux.
Au-dessus de nous l'homme qui croit aux aigles
A fait tourner les révolvers
Dont il a mesuré la vitesse et la règle
Comme les remous de la mer
Mais c'est l'herbe aux cuisses bénies
Dont le linge est toujours mouillé
Qui réserve aux cheveux ces étranges sorties
Entre les os et les œillets.
P.21
Francis Picabia
BONHEUR NOUVEAU
Nous aimer les uns les autres
est un sentiment lointain,
lointain comme la patrie
vaincue ou victorieuse ;
Je me sens le devoir de devenir
un type contraire -
contraire à tout.
Les hommes sont mal renseignés,
je suis le contraire d'un examen,
le contraire d'une analyse,
le contraire d'une croyance ;
je travaille à fonder celui qui va venir,
rythme et rime,
comme les libres-anarchistes.
Les hommes ont toujours l'idée
fixée d'avance,
intercalée conformément au but,
but identique
chanson populaire de sons familiers.
L'essor est trop lourd,
les courbes et les détours
comme la propriété
profitent aux zones tempérées.
La morale est le contraire du bonheur
depuis que j'existe.
P.22
COLIN-MAILLARD
Le hasard est une cigarette
qui donne faim.
Les amis gesticulent
comme les rides.
sur un corbillard qui passait
j'ai lu :
il est mort
parce qu'il ne buvait pas assez,
il est mort
sur une jambe
faite d'une queue de billard ;
de son vivant
on mettait du blanc
sur son procédé
pour l'empêcher de glisser ;
il est mort
pendant les vacances
au bout d'une corde
signée « procès-verbal » ;
entre les Açores et Lisbonne
une goëlette américaine
transporte sa fortune
sur le calme plat
des experts.
L'avenir est un instrument monotone.
Hôtel de la Bertha
23 Juin 1923.
P.23
IRRECEPTIF
Dans la bouche une prodigalité
à personne,
surface, aspect à tout prix.
Pourquoi parler d'une façon populaire ?
Je suis toujours à la porte,
au fond de la terre ;
l'univers de la morale, des morales,
a l'œil au bout d'une queue-de-souris ;
ce qui est plus difficile c'est de ne pas comprendre ;
l'idée en faveur
n'est pas une révélation,
l'histoire à toujours marché,
nous ne pouvons rompre le charme.
L'idée moderne,
Vaut : « J'ai entendu du nouveau » ;
les pâtés et les fruits s'y mêlent.
La moitié du monde pour les autres,
l'autre moitié pour moi.
(P.24-25 ERUTARETTIL)
P.26
Georges Limbour
LE PASSAGE DES OISEAUX
I
Eclopés dans le jeu plus difficile que la vie
la marelle, c'est mon tombeau
Eux qui se défient du chiffre
enfants pythagoriciens
tracent la croix qui multiplie
les mensonges de terre et ciel
Mais le cœur ?
Le soir
Laissez les hirondelles sécher des cœurs blancs
De signes il est tant de tables
n'y jamais manger de poisson
à quoi bon me réveiller
cul de jatte
pour un nouvel exercice
encore plus difficile que le jeu ?
II
L'homme bénin avec ses 14 pieds
qui marchait sur la tête
m'aborda dès la lune verte disant
cap des tempêtes
mets ton étal sur mon éventaire
des demoiselles par-ci
des pots à l'eau par là
P.27
vends-moi cap des tempêtes
cette peau d'antilope qui rendra plus belle l'électricité
mais dès qu'il vit qu'il y avait encore une demi-marche à monter
et qu'il lui poussait un 7me pied
il me donna d'un seul coup 41 coups de pied
qui m'envoyèrent précocement cueillir des lys dans le champ des noumènes.
III
Le chérubin rachitique
soufflait toujours dans un ballon.
Quand il se promenait dans la rue
avec ses poumons dans sa main
les chats aussitôt le suivaient
les bouchers devant leurs viandes
riaient d'un rire apoplectique.
Quand il eut ainsi réuni
les chats d'Europe et d'Amérique
ces animaux le déchirèrent
mais il n'avait que du sang bleu.
Artères arbres mal plantés
aux avenues des sentiments
qui ne savez que 2 saisons
Quand me pendrai-je à l'une ?
P.28
Max Morise
INTERDIT DE SÉJOUR
A la dernière corrida
une très belle dame m'aborda
amoureuse de l'espada
et maîtresse d'un duc
elle me disait tout bas
SOL Y SOMBRA Y SOL Y SOMBRA Y SOL Y SOMBRA Y SOL
Lévriers
sur la poussière équatoriale
mes beaux chiens de luxe
je vous choisis pour sépulture.
Vous serez joyeux de me dévorer
et moi je serai fier
et bien abrité du mal.
Mais surtout gardez-vous de m'éveiller.
Le sommeil
l'argent
l'arc-en-ciel
les fèves
le cœur
le sable
et l'oiseau-mouche
retourneront en poussière.
P.29
LA BELLE JAPONAISE
Nous n'irons plus au ciel
Les langues sont coupées
Madame de Pompadour
Ira les ramasser
Dans son petit panier (bis)
Germain Nouveau
LA CHANSON DU TROUBADOUR
I
Sous la loi d'Esclarmonde
Ranger la terre et l'onde
Me ferait grand honneur !
Mais d'embrasser Glycère
Un bonheur si vulgaire
Ne m'est pas un bonheur !
II
De trouver sans meringue
Une rime à Béringue
Ne serait sans valeur !
Mais, n'ayant ni sou ni maille
D'avoir quelque marmaille
Me serait grand malheur !
Fait à Aix
15 Avril 1903
(aux portes de l'Eglise du St-Esprit !)
P.30
Paul Éluard
SANS RANCUNE
Larmes des yeux, les malheurs des malheureux,
Malheurs sans intérêt et larmes sans couleurs.
Il ne demande rien, il n'est pas insensible,
Il est triste en prison et triste s'il est libre.
Il fait un triste temps, il fait une nuit noire
A ne pas mettre un aveugle dehors. Les forts
Sont assis, les faibles tiennent le pouvoir
Et le roi est debout près de la reine assise.
Sourires et soupirs, des injures pourrissent
Dans la bouche des muets et dans les yeux des lâches.
Ne prenez rien : ceci brûle, cela flambe !
Vos mains sont faites pour vos poches et vos fronts.
Une ombre,
Toute l'infortune du monde
Et mon amour dessus
Comme une bête nue.
LE SOURD ET L'AVEUGLE
Gagnerons-nous la mer avec des cloches
Dans nos poches, avec le bruit de la mer
P.31
Dans la mer, ou bien serons-nous les porteurs
D'une eau plus pure et silencieuse ?
L'eau se frottant les mains aiguise des couteaux.
Les guerriers ont trouvé leurs armes dans les flots
Et le bruit de leurs coups est semblable à celui
Des rochers défonçant dans la nuit les bateaux.
C'est la tempête et le tonnerre. Pourquoi pas le silence
Du déluge, car nous avons en nous tout l'espace rêvé
Pour le plus grand silence et nous respirerons
Comme le vent des mers terribles, comme le vent
Qui rampe lentement sur tous les horizons.
ENTRE AUTRES
A l'ombre des arbres
Comme au temps des miracles,
Au milieu des hommes
Comme la plus belle femme,
Sans regrets, sans honte,
J'ai quitté le monde.
- Qu'avez-vous vu ?
- Une femme jeune, grande et belle
En robe noire très décolletée.
P.32
NUDITE DE LA VERITE
« Je le sais bien, »
(P. E.)
Le désespoir n'a pas d'ailes,
L'amour non plus,
Pas de visage,
Ne parlent pas,
Je ne bouge pas,
Je ne les regarde pas,
Je ne leur parle pas.
Mais je suis bien aussi vivant que mon amour et que mon désespoir.
LES PETITS JUSTES
Sur la maison du rire
Un oiseau rit dans ses ailes.
Le monde est si léger
Qu'il n'est plus à sa place
Et si gai
Qu'il ne lui manque rien.
Les hommes qui changent et se ressemblent
Ont, au cours de leurs jours, toujours fermé les yeux
Pour dissiper le brume de dérision
Etc...
P.33
Une couleur madame, une couleur monsieur.
Une aux seins, une aux cheveux,
La bouche des passions
Et si vous voyez rouge
La plus belle est à vos cuisses.
DENISE DISAIT AUX MERVEILLES
Le soir traînait des hirondelles. Les hiboux
Partageaient la clarté et pesaient sur la terre
Comme les pas jamais lassés d'un solitaire
Plus pâle que nature et dormant tout debout.
Le soir traînait des armes blanches sur nos têtes,
Le courage brûlait les femmes parmi nous,
Elles pleuraient, elles criaient comme des bêtes.
Les hommes inquiets s'étaient mis à genoux.
Le soir, un rien, une hirondelle qui dépasse,
Un peu de vent, les feuilles qui ne tombent plus,
Un beau détail, un sortilège sans vertus
Pour un regard qui n'a jamais compris l'espace.
P.34
André Breton
IL N'Y A PAS A SORTIR DE LA
A Paul ELUARD
Liberté couleur d'homme
Quelles bouches voleront en éclats
Tuiles
Sous la poussée de cette végétation monstrueuse
Le soleil chien couchant
Abandonne le perron d'un riche hôtel particulier
Lente poitrine bleue où bat le cœur du temps
Une jeune fille nue aux bras d'un danseur beau et cuirassé comme Saint Georges
Mais ceci est beaucoup plus tard
Faibles Atlantes
Rivière d'étoiles
Qui entraînes les signes de ponctuation de mon poème et de ceux de mes amis
Il ne faut pas oublier que cette liberté et toi je vous ai tirées à la courte paille
Si c'est elle que j'ai conquise
Quelle autre que vous arrive en glissant le long d'une corde de givre
Cet explorateur aux prises avec les fourmis rouges de son propre sang
C'est jusqu'à la fin le même mois de l'année
Perspective qui permet de juger si l'on a affaire à des âmes ou non
19.. Un lieutenant d'artillerie s'attend dans une traînée de poudre
Aussi bien le premier venu
Penché sur l'ovale du désir intérieur
P.35
Dénombre ces buissons d'après le ver-luisant
Selon que vous étendrez la main pour faire l'arbre ou avant de faire l'amour
Comme chacun sait
Dans l'autre monde qui n'existera pas
Je te vois blanc et élégant
Les cheveux des femmes ont l'odeur de la feuille d'acanthe
O vitres superposées de la pensée
Dans la terre de verre s'agitent les squelettes de verre
Tout le monde a entendu parler du Radeau de la Méduse
Et peut à la rigueur concevoir un équivalent de ce radeau dans le ciel
20 mai 1923.
LE BUVARD DE CENDRE
A Robert DESNOS
Les oiseaux s'ennuieront
Si j'avais oublié quelque chose
Sonnez la cloche de ces sorties d'école dans la mer
Ce que nous appellerons la bourrache pensive
On commence par donner la solution du concours
A savoir combien de larmes peuvent tenir dans une main de femme
1° aussi petite que possible
2° dans une main moyenne
Tandis que je froisse ce journal étoilé
P.36
Et que les chairs éternelles entrées une fois pour toutes en possession du sommet des montagnes
J'habite sauvagement une petite maison du Vaucluse
Cœur lettre de cachet
L'HERBAGE ROUGE
A Denise
L'herbage rouge, l'or des grands chapeaux marins
Composent pour ton front la musique et les plumes
D'enfer. Sur ton chemin blanchissent les enclumes
S'il fait beau dans ton cœur il tonne sur tes reins.
Jamais le val d'amour ! Dans les feuilles ces trains
Qui disparaissent, pris au lasso par les brumes...
Tourne éternellement tes seins dans les écumes
Des chutes : la lumière est tout ce que j'étreins.
Va, comète du rire où le néant t'appelle,
Ouvre tes jambes sur l'éventail ou l'ombelle ;
Toi seule sais me rendre un printemps sang et eau.
Balances de la vie, avec toi pour fléau.
13 juillet 1923.
P.37
AU REGARD DES DIVINITÉS
A Louis ARAGON
« Un peu avant minuit près du débarcadère.
Si une femme échevelée te suit n'y prends pas garde.
C'est l'azur. Tu n'as rien à craindre de l'azur.
Il y aura un grand vase blond dans un arbre.
Le clocher du village des couleurs fondues
Te servira de point de repère. Prends ton temps,
Souviens-toi. Le geyser brun qui lance au ciel les pousses de fougère
Te salue »
La lettre cachetée aux trois coins d'un poisson
Passait maintenant dans a lumière des faubourgs
Comme une enseigne de dompteur.
Au demeurant
La belle, la victime, celle qu'on appelait
Dans le quartier la petite pyramide de réséda
Décousait pour elle seule un nuage pareil
A un sachet de pitié.
Plus tard l'armure blanche
Qui vaquait aux soins domestiques et autres
En prenant plus fort à son aise que jamais,
L'enfant à la coquille, celui qui devait être...
Mais silence.
Un brasier déjà donnait prise
En son sein à un ravissant roman de cape
Et d'épée.
Sur le pont, à la même heure,
Ainsi la rosée à tête de chatte se berçait.
La nuit, - et les illusions seraient perdues.
P.38
Voici les Pères blancs qui reviennent de vêpres
Avec l'immense clé pendue au-dessus d'eux.
Voici les hérauts gris ; enfin voici sa lettre
Ou sa lèvre : mon cœur est un coucou pour Dieu.
Mais le temps qu'elle parle, il ne reste qu'un mur
Battant dans un tombeau comme une voile bise.
L'éternité recherche une montre-bracelet
Un peu avant minuit près du débarcadère.
14 juillet 1923.
ANGÉLUS DE L'AMOUR
A Roger VITRAC
Bientôt les jardins seront sur nous comme des phares
D'énormes bulles crèveront à la surface des étangs
Quelques cristallisations emblématiques parmi lesquelles le pendule de sang et les cinq charbons blancs
Témoigneront seules que le ciel est encore sensible
Il y aura aussi un ruban magnifique
Enroulé mille fois autour des beautés abstraites naturelles
O mes amis fermons les yeux
Jusqu'à ce que nous n'entendions plus siffler les serpents transparents des directions
Aussi vrai que nous vivons en pleine antiquité
Dans chaque rayon de soleil il y a une lucarne et à chaque lucarne peut apparaître la Gorgone
Déjà nous avons assisté aux migrations de nos mains
P.39
Immobiles au bord d'un fleuve nous regardions passer le travail à tire d'ailes
Comme d'autres apprennent à vider sans bruit les poches de leurs vêtements suspendus et garnis de clochettes
Quand nous levons la tête le ciel nous bande les yeux
Fermons les yeux pour qu'il fasse clair où nous ne sommes pas
Là trompant l'impossible étoile à une branche
Nous danserons comme le feu parmi les paillettes de nous-mêmes
Et ce sera toujours
Nous passerons des ponts surprenants
Nous verserons dans des vallées de larmes
A la longue les cygnes ne répondrons plus de nous
De nous qui retournons aux formes idéales
Avec qui les saisons iront au plus pressé
Et qui les premiers forcerons le danger
Magique sur sa corde inexistante
Pour nous servir à prendre des chemins de traverse
19 juillet 1923.
TOUT PARADIS N'EST PAS PERDU
A Man RAY
Les coqs de roche passent dans le cristal
Ils défendent la rosée à coups de crête
Alors la devise charmante de l'éclair
Descend sur la bannière des ruines
P.40
Le sable n'est plus qu'une horloge phosphorescente
Qui dit minuit
Par les bras d'une femme oubliée
Point de ref
Dressée aux approches et aux reculs célestes
C'est ici
Les tempes bleues et dures de la villa baignent dans la nuit qui décalque mes images
Chevelures chevelures
Le mal prend des forces tout près
Seulement voudra-t-il de nous
22 juillet 1923.
P.41
Joseph Delteil
VERS EN BOIS
Voici des noirs en pleurs, des forêts d'acajou
Où gémissent des tigres et des mulâtresses
Troublés par le climat des tropiques d'Amour.
Dans les villages de l'Afrique, on va entendre
Des rois adolescents qui ont des sceptres nus
Proférer des aveux devant les palissandres.
Des musiques d'ivoire incantent les tribus
Et des oiseaux charnels becquettent des pistaches
Et pendent à leurs queues de nègres attributs.
Un navire d'amour fait de noires relâches.
PROGRAMME
Une roulotte sur le Rhin,
Une boulotte sur les reins,
Avec un rêve sur l'épaule
Et dans son cœur un grain de mil
Et partir le long de la berge
Sans souci qu'Elles soient très vierges
Pourvu que la lune soit large
Et les cavales repues d'orge
Tirer la barbe des étoiles
Et forniquer avec les elfes
En buvant le lait des légendes
Et les grands crus du duc Rodolphe
P.42
Et puis, un soir de Pentecôte,
Des hosties plein la bedaine,
A l'ombre d'une cathédrale,
Mourir sans peur et sans reproche.
ARÉTINS
La magie d'un soir scandinave
Ensorcèle tous les pingouins
Dont les postures, sur la glace,
Vantent celles de l'Arétin.
Toutes les Norvèges forniquent
Avec un pôle très membru.
Des salamandres et des phoques
Font l'amour sens dessous dessus.
Et d'une langue solitaire,
Ivre de vices et de gels,
Sans souci des honnêtes vaches,
Un ours blanc lèche un iceberg.
P.43
Philippe Soupault
DERNIERES CARTOUCHES
La nuit a des yeux sans prunelles
et de longues mains bleu de ciel
Comme il fait beau
Il y a une étoile rouge
et de longs serpents nocturnes
Il fait beau
Il faut crier pour ne pas être triste
les heures dansent
Il faut hurler pour ne pas tuer
pour ne pas mourir en chantant
pour ne pas rougir de honte
et de fureur
Il vaut encore mieux s'en aller
prendre sa canne
et marcher jusqu'à la St Barnabé
Quand on est très énervé
et qu'on rage
Comme il fait beau
Les cloches sonnent pour les trépassés
et pour la gloire des armées
tout est à recommencer
je vois malgré l'obscurité
des têtes tomber dans le panier
sous le poids de la guillotine
j'aperçois des noyés flotter
et des pendus se balancer
On entend des cris dans les hôpitaux
P.44
Comme il fait beau
On se regarde dans un miroir
pour le plaisir
et l'on se trouve vraiment très laid
mais on pense à autre chose
pour ne pas se désespérer
Qu'est-ce qu'on voit
Vraiment
qu'est-ce qu'on voit
Le cimetière est ravissant
Il y a des fleurs des couronnes
des croix et des inscriptions
Comme il fait beau
Qu'est-ce qu'on entend
le soleil joue du clairon
à la porte des cafés
c'est la lutte définitive
La ville meurt au son des grenouilles
et les fleurs tombent
gravement
comme des arbres déracinés
Voici les hommes
Ils sont pâles comme des vivants
Ils portent des cravates rouges
des cannes plombées
et des journaux de toutes les couleurs
Ils s'arrêtent
et jouent
à pile ou face
Il fait de plus en plus beau
Drapeaux et musique en tête
P.45
nous courbons la tête
parce que nous sommes de plus en plus
seuls
pâles
laids
Il faut recommencer à marcher
à pile ou face
et rire de vin et d'alcool
Les cafés sont pavoisés
comme les sourires des demoiselles
Avançons toujours
on verra bien ce qui arrivera
Il fait vraiment trop beau.
P.46
Louis Aragon
BOUÉE
Dans une neige de neige
un enfant une fois
jeta l'âme de lui
et il ne savait pas
il ferme les paupières des yeux
Un couple
il veut dire un homme et une femme
une fois une fois
tout le long du chemin
un couple d'eux deux
Le froid et le chaud une fois
or il fut sur le point
or il se mit
il chantait
il mange une gaufre au soleil gaufre
L'image d'elle dans l'eau
une fois dans l'eau une fois
C'était un fleuve d'eau
L'eau mouille clair blanc
Fleur humide
AIR POUR SE LAVER
Un pied
Le ciel et la nuit Mexique et Brésil
P.47
Le ciel et la nuit je l'entends qui fuit
Mexique et Brésil c'est un chamois vert
Le ciel et la nuit le ciel et l'hiver
Mexique
L'autre pied
La neige et la vent la pierre à fusil
La neige et le vent qui frappe à l'auvent
La pierre à fusil c'est un chasseur mor
La neige et le vent la neige et le sort
La pierre
Le cul
La glace et l'effroi l'aurore et l'horreur
La glace et l'effroi le signe de croix
L'aurore ou l'horreur à chacun son tour
La glace et l'effroi la glace et le jour
L'aurore
1921
SONNETTE DE L'ENTRACTE
Le bébé parle :
Je suis monté dans le soir
Un matin lune
Il y avait des chandeliers
Qui faisaient des confidences
Aux géants blonds des escaliers
C'était quelque part dans l'ombre
A l'abri
P.48
Les épaules des luzernes
Dansaient dans les mains du vent
Les prisonniers des casernes
Rêvaient encore à d'autre corps
Je vous le demande les mouches
Que pensez-vous de l'univers
Moi couché sur le mica-schiste
Je me damne à force d'orgueil
C'est le grand air qui veut ça.
LA PHILOSOPHIE SANS LE SAVOIR
I
Sacrifions les bœufs sur les arbres
Les corps des femmes dans les champs
Sont de jolis pommiers touchants
Blanc blanc blanc
Sang et neige par ma queue et par ma barbe
Sacrifions les taureaux sur les arbres
II
Sacré casseur de pierres
Sacré casseur de pierres
Sacré casseur de pierres
En chœur
Sacré casseur de piai-AI-res
Sacré casseur de cœurs
Solo
Sur ton chemin j'ai mis le pied 1923.