MÉLUSINE

titre de la revue Bief

Bief n°7, 15 juin 1959

P.2

RÉPONSES A L'ÉVENTAIL DE PRINTEMPS

(cf. BIEF, n° 5)

  • Que représente pour vous le « coup de foudre», et quels changements est-il susceptible d'apporter dans votre vie ?

La reconnaissance instantanée, naturelle jusqu'à l'évidence, des fonctions complémentaires de deux êtres, qui dès lors ne sauraient plus former qu'un tout absolument libre, en un instant indicible indéfiniment prolongé, se traduisant par un acquescement réciproque, aussi tacite que total, dans un climat de plénitude directement fonction de la présence de l'autre, intégré d'ailleurs à moi-même, au cours d'un acte où la différenciation entre l'amour dit charnel et l'amour dit platonique est impensable.

Je puis ainsi parler du coup de foudre grâce à des expériences oniriques assez fréquentes.

Il va de soi que la vie s'en trouve complètement bouleversée car les choses ne sont plus perçues sous le même angle, mais sous leur aspect caché, qui implique une communion entre l'homme et l'univers.

Pouvez-vous dans votre corps situer un endroit qui vous semble être le centre de votre « Moi » ?

Oui, partout.

Au sens moral du terme, pensez-vous que le viol soit condamnable ou non ?

Oui, dans la mesure où il constitue une atteinte à la liberté, aussi bien de la personne violée que de la personne qui désirerait violer.

Désignez les trois personnages historiques que vous tenez pour les plus dignes de venir s'adjoindre à ceux qu'évoquent les charmantes figurines « Mokarex » dans les vitrines de rues « Servez-vous vous-mêmes » : 1°) Dans la série Révolution Française.
2°) Dans la série XIX° siècle.
En quelle attitude, et pourvus, au besoin, de quels attributs aimeriez-vous qu'ils soient représentés ?

Sade, massif, colossal, sans corps et sans attributs. Couthon, peint en proue.
Lazare Carnot, en forme de couteau.
Lautréamont, sans visage, mince et raide dans un costume vert.
Rimbaud, les yeux tournés en dedans.
Baudelaire, son squelette bien vivant.

Quel rôle le silence joue-t-il dans votre vie ?

Déterminant. C'est dans le silence seul ou dans le plus assourdissant des fracas, ce qui est la même chose, qu'on peut vraiment « communiquer » intimement avec l'extérieur.

Guy CABANEL.

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Contribution au dossier des songes

(cf. Bief, n° 4)

Je ne me souviens pas d'avoir repris un rêve datant d'un ou plusieurs jours auparavant. Mais depuis l'âge de huit ans j'ai eu un rêve très curieux qui s'est continué tous les deux ou trois ans. En ce moment j'ai dix-neuf ans, et ce rêve m'est apparu déjà quatre fois, respectivement à l'âge de huit, onze, treize et seize ans. Je me rappelle encore chacune de ces quatre visions dans tous leurs détails et elles me paraissent d'une clarté incroyable. Ce n'était pas un rêve très énigmatique, et c'est surtout le fait de sa continuation après des intervalles longs et presque réguliers qui, je crois, doit vous intéresser. Il s'agissait d'un voyage que j'étais toujours en train de faire vers une île tropicale, lointaine, inconnue. Dans les trois premiers rêves, j'étais toujours accompagnée par mes parents et je n'arrivais jamais à débarquer sur l'île. La première fois nous rebroussâmes chemin à cause d'une tempête, le deuxième rêve me laissa seule dans le bateau, à attendre mes parents qui s'étaient envolés vers l'île. Mais quand j'ai eu fait le rêve encore, deux ans plus tard, trop curieuse pour attendre le retour de mes parents, j'ai quitté le bateau et, me transformant en dauphin, j'ai nagé vers l'île. En arrivant à la plage, j'ai aussitôt remarqué que ce n'était pas la même île, où, avec beaucoup de difficultés, je suis retournée. Trois fois j'avais tenté l'inconnu sans succès. Dans le quatrième rêve je suis partie seule, et seule, j'ai atteint l'île mystérieuse, silencieuse. Là j'ai rencontré un être qui était (il me semblait) l'esprit de l'île, l'esprit de l'inconnu, de l'aventure, de l'amour.

Winnie Ruth JUDD.

Les réponses aux questions d'Avril
seront publiées
dans le prochain numéro



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LA PLUME AU FUSIL

Un livre vient de cristalliser, au sein de ce qu'on nomme (et pourquoi pas?) la gauche, le grand vide bruyant des esprits, ce cabotinage littéraire et disert qui prétend opposer quelque chose à la Révolution Nationale du 13 Mai. « Aucune bête au monde », ce bréviaire illustré du para, a ému la plupart de nos vaillants paladins de la démocratie. Certes, ils ont bien vu que l'héroïsme à la Bigeard ne peut déboucher que sur la mort : conception du héros qui ne peut s'affirmer que dans le danger permanent, s'achever que dans le sacrifice (au sens rituel du mot). Et les voilà tous remués, de Roger Stéphane à J.-J. Servan- Schreiber. Remués comme Claude Roy est ému en découvrant que, comme lui, Jean Dutourd trouve la guerre exaltante. L'Union Sacrée dans l'exaltation guerrière : « Le Bled » et « L'Express » se prenant la main (beau sujet de monument) en murmurant : « Ah! tout de même la bagarre... ». Un vent de fierté fait claquer drapeaux et mitraillettes, emporte pêle-mêle décorations, cœurs de gauche, cœurs de droite, fourragères, francisques, faucilles-et-marteaux, croix de Lorraine, appareils orthopédiques, citations au champ d'honneur.

Quels quatorze juillet immortels sur les Champs-Elysées sommes-nous en train de manquer (de peu)! Fermons les yeux un instant pour les rouvrir sur la télévision de l'espérance : la division « Express », la division « France- Observateur », la division « Libération » passent, sous les acclamations de la foule, devant la tribune présidentielle. Le général J.-J. S.-S. salue de l'épée : alors c'est du délire, etc., etc.

Voilà où nous en sommes, où nous en serons tant que notre intelligentsia n'aura pas dépouillé sa mentalité d'officiers, cette défroque de croquemorts-en-chef qui a déteint sur ces écrivains, ces journalistes, à dater du jour où on leur a collé des galons en considération de leurs diplômes universitaires et de leur niveau supérieur (?). Tous gangrenés, ou presque, parce que leur petite volonté de puissance, qu'ils cherchent à assouvir aujourd'hui dans l'arène politique, s'est déjà satisfaite lorsqu'ils avaient sur le dos un uniforme de surhomme, c'est-à-dire l'officier. Or un officier, quels que soient ses sentiments, c'est un complice de la guerre. N'est-ce pas le titre de gloire de J.-J. S.-S. que d'avoir été « lieutenant en Algérie » ? D'ailleurs, il est impossible de lire un numéro de « L'Express » sans buter à chaque pas sur le mot « héros ». Et la « grandeur » ? En font-ils, des efforts pour se persuader que ce n'est pas celle-là (pas tout à fait) qui leur convient ! Mais comme on les devine touchés, agités, séduits malgré eux. Qu'il y ait de la « grandeur » dans cet « héroïsme », pourquoi pas ? Il n'y a pas si longtemps, dans « Lumière Noire », André Breton avait examiné ce triste problème. Mais il y a aussi de la grandeur, de l'héroïsme à avaler des lames de rasoir, à traverser les passages cloutés, etc. Il y a beaucoup de grandeur dans tout ce qui flirte avec le néant. Une petite sonnerie de trompette s'impose. Pas « au drapeau », ni « au champ », non : sonnerie de la piétaille aux officiers - journalistes - de - gauche, M.M. Effel, Claude Roy, Dutourd et autres Aragon qui se jettent à la figure leurs citations, croix de querre et autres certificats. Pour leur rappeler des vérités élémentaires (primaires, j'y consens) :

I° Quiconque a éprouvé dans l'exercice des activités militaires autre chose que répulsion et accablement est un être sans honneur;
2° Quiconque, endossant « l'uniforme qui ajoute à l'assassinat l'infamie de la servitude » (*), en tirerait satisfaction et gloire, est un ennemi du genre humain.

José PIERRE.

(*) Shelley : Projet de déclaration des droits de l'homme.

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Les surréalistes à Don C. Talayesva

Ton livre, Soleil Hopi, en traduction trançaise, est en vente dans toutes les librairies de Paris et des grandes villes de France. Nous l'avons lu avidement d'un bout à l'autre et restons pénétrés de ton message.

Contre toutes les formes d'oppression et d'aliénation de la société moderne que nous combattons de notre place, tu es pour nous l'homme dans sa vérité originelle merveilleusement sauvegardée et aussi dans toute sa dignité.

Ecrivains et artistes que nous sommes, depuis longtemps nous tenons en grand honneur l'art Hopi et ce que les travaux des ethnologues avaient pu nous révéler de la pensée qui l'inspire. L'un de nous, qui a eu la chance de visiter Oraibi, Hotavilla, Wolpi, Mishongovi, Shungopavi, Shipaulavi et d'assister à plusieurs de vos cérémonies, s'est efforcé de nous imprégner de leur climat, qui nous est cher. Grâce à toi, ces lieux, cette pensée, cet art nous deviennent infiniment plus proches. Du récit de ta vie, tous les hommes sont appelés à tirer une leçon de santé mentale et de noblesse. Fervent hommage à l'immortel génie Indien d'Amérique ; prospérité à l'admirable peuple Hopi dans le respect et la défense de ses hautes traditions; bonheur, longue vie et gloire à Don C. Talayesva !

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Figures de proue

Entre le râle et le cri : songes scellés dans les chenils, la nuit.
Entre l'hôte et l'invité : le rôdeur: « Que tu me donnes ou non ce que tu possèdes, je te tuerai ; car telle est la nature de ma faim ».
Entre le plaisir et la douleur : la reine des termites, pétrifiée au moment où elle tend sa tête à la brume.
Entre la lumière et l'aveuglement : la folle traquée soudain fait face, mais le panache de ses pas la poursuit un peu dans la mine de sel.
Entre l'inquiétude et la malice : l'épave où subsiste l'empreinte des gastéropodes, comme la chair-de-poule en creux du vent à fleur d'eau, Krizek (*) , entre l'éclair et le tonnerre quand on a à peine le temps de compter jusqu'à deux.

J. C. SILBERMANN.

(*) Peintures et Sculptures, Galerie Craven.

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Les journées surréalistes de Milan

(de notre correspondant particulier)

Organisées par Tristan Sauvage et Jean-Jacques Lebel, avec le concours du Centre Français d'Etudes et d'Information, quatre « journées surrréalistes » ont eu lieu les 27, 28, 29 et 30 avril à Milan, coïncidant avec la parution, dans cette même ville, de l'anthologie de Benjamin Péret : La Poesia Surrealista francese (Schwarz, éditeur).
Le vernissage d'une exposition de peinture surréaliste à la Librairie Schwarz a marqué la première de ces journées. Cette exposition, qui durera jusqu'à la fin du mois de mai, groupe des œuvres de Arp, Bellmer, Brauner, Dax, Dominguez, Duchamp, Ernst, Freddie, Gorky, Herold, Lam, Lebel, Magritte, Maréchal, Mesens, Miro, Matta, Man Ray, Manina, Paalen, Tanguy, Tanning, Toyen, etc. Une présentation de documents, de livres et de tracts surréalistes la complète.
Simultanément, une exposition de lithographies, d'ouvrages et de publications surréalistes récents fut organisée au Centre Français d'Etudes et d'Information où devaient avoir lieu, les jours suivants, deux conférences, l'une de J.-J. Lebel sur la peinture surréaliste, l'autre de J.-L. Bedouin sur la poésie surréaliste. Après avoir rappelé quelle est, dans ses grandes lignes, l'attitude surréaliste à l'égard du monde et de la vie, Lebel montra comment celle-ci se reflète en peinture. Une série de projection de tableaux surréalistes, en noir et en couleurs, brillamment commentée par E.L.T. Mesens, illustra et précisa sur certains points de détail l'exposé de Lebel. Bédouin retraça l'évolution de la poésie du romantisme au surréalisme, en insistant sur le fait que la démarche poétique, à partir de Rimbaud et de Lautréamont, préfigure une « révolution totale » qui remettrait en cause l'image même que l'homme se fait de son univers et la connaissance qu'il a de lui-même. La conférence fut suivie d'une lecture de poèmes (de Breton, Desnos, Joyce Mansour, Péret et Mesens), puis de la projection du film L'Invention du Monde.
Une séance de projection de films surréalistes à la Maison de la Culture de Milan (Un Chien Andalou, Entr'Acte, l'Invention du Monde), termina cette série de manifestations auxquelles la Radiodiffusion Italienne fit écho en organisant et diffusant sur sa chaîne nationale un entretien consacré au surréalisme et auquel prirent part J.-L. Bédouin, J.-J. Lebel, E.L.T. Mesens et Tristan Sauvage. Enfin, le 2 mai parut chez Schwarz le premier numéro du périodique trimestriel Front Unique (en français) dédié aux « Journées surréalistes de Milan ». Il rassemble des textes et des poèmes de Bédouin, Benayoun, Breton, Krea, Lebel, Legrand, Joyce Mansour, Péret, José Pierre, Silbermann, Tristan Sauvage, etc. L'intérêt suscité dans la jeunesse intellectuelle de Milan par les manifestations surréalistes qui viennent de se produire dans cette ville, où les milieux artistiques sont très actifs, permet de penser que Front Unique y pourra jouer à l'avenir, avec toute l'efficacité requise, le rôle d'un organe international d'information et d'échange surréalistes.

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L'appel des témoins

D'autres discuteront le sens ou telle section de l'itinéraire qu'Edgar Morin, sous le titre « Autocritique » (1), nous donne pour sien ; d'autres sauront ces regards de biais qui dénoncent avec zèle le moindre porte-à-faux ; d'autres démuselleront, pour la littérature. Ici, nous avons le goût, c'est peu dire, de ceux qui brisent les dogmes dans l'inquiétude et que la passion oblige à réédifier sur le sable.
Le sens du livre de Morin est de fixer l'instant qui dégrade le sacré et actualise la conscience. Le Parti est absolument une église en ce qu'est dirimée la dialectique du sacré et de la conscience, celle-ci étant rejetée hors-dialectique, dans le non-vrai, l'irréel et traduite, sur le plan de la praxis, en alibi de renégat (2).
Morin, et tant d'autres, ont accepté, des années durant, cette assignation à résidence en ces régions d'un fidéisme dense, dont on croyait à jamais perdus les secrets de fabrication. Certes, une voix intérieure, parfois manifestée à des proches, se prêtait le luxe de trouver mauvaise mine, voire patibulaire, à la vérité regardée en face. Tout rentrait, rapidement, dans l'ordre. Il est un moment pourtant, après des avatars légèrement différents pour chacun, où c'en est trop. Ce qui intrigue l'observateur extérieur, c'est la détermination de ce moment et quelles considérations de pure psychologie favorisent la reprise de conscience. Pourquoi le procès Rajk, plutôt que l'affaire Tito, la répression de la Hongrie plutôt que le complot des blouses blanches ? Mais l'observateur extérieur a beau jeu et détient, lui aussi, une vérité, strictement morale et cousue main. C'est dire qu'à la limite, le procès du système stalinien et des hommes qui assurent sa pérennité ne peut être intenté que par ceux-là seuls qui, à quelque époque que ce soit, ont été rouages de ce système. C'est dire du même coup qu'ils ne sauraient se dérober à cette tâche. L'exclu est un privilégié de la conscience et de la ferveur retrouvées et unies. L'exclusion est comme cette treizième lame du tarot qui, sous le masque de la mort, porte la vie à son plus haut degré de régénérescence.
L'auto-oritique d'Edgar Morin, la revue « Arguments » qu'il dirige témoignent que l'émancipation de la pensée doit être reprise, aujourd'hui, à partir de la subversion d'un nouvel ordre mental institué par le stalinisme depuis les prémisses les plus discutables de la pensée marxiste. De la place de franc-tireurs qui est nôtre, nous saluons fraternellement cette tentative libératrice.

J. S.

  1. Julliard, éd.
  2. Peu après Budapest, Aragon relatait assez cyniquement cette anecdote : Napoléon supposait que lors d'une invasion étrangère, il donnait ordre à Marmont de défendre Paris coûte que coûte. Quelle serait l'attitude de Marmont si les représentants de la population venaient lui démontrer l'inéluctabilité de la défaite et par conséquent l'inutilité des sacrifices ? Le maréchal ayant demandé à réfléchir, Napoléon lui aurait jeté: « Marmont, vous êtes un homme de conscience, vous n'êtes pas un homme d'honneur, vous me trahirez ».

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Le message impersonnel

« Les mots ne tombent pas dans le vide. »
(Le Zohar)

On sait que la linguistique, telle qu'elle s'est constituée au dix-neuvième siècle, envisage l'évolution des différents idiomes d'un point de vue essentiellement grammatical et « généalogique ». Mais à côté de ces recherches, s'est maintenue partout, sauf en France, une science du langage pris dans son ensemble, et considéré, sinon par-delà l'espace et le temps, du moins en un sens transversal, qui justifie — d'ailleurs à l'aide de manipulations phonétiques « correctes » — les plus libres rapprochements (notamment par l'analyse des noms de lieux, de peuples et de divinités). Au sceptique pays de « l'honnête homme » littéraire, on ignore tout des travaux de Karst, de Trombetti, de Nicolas Marr, - pourtant cité par Rivet, - et d'autres, succédant à ceux plus anciens de Hyde Clarke et de Charencey.
Peu importe que ces auteurs errent dans nombre de leurs conjectures. Leur activité recoupe, sans les connaître, les thèses qui président à la « Cabale » ésotérique et aux allégations d'un Fabre d'Olivet, par exemple. Déroutant la géographie, inquiétant l'archéologie, elle prédispose aux grandes vacances de la « vérité historique ». Elle se développe dans un cadre analogique, elle touche à la substance du Verbe, elle constitue un bon exemple de ce que j'attends en général de la pensée inductive, — même si un démon me souffle que ces opérations n'ont finalement de valeur qu'en esthétique transcendantale.

G. L.

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Exploitant la catastrophe de Madagascar,...

Exploitant la catastrophe de Madagascar, un individu de la propagande gouvernementale sait donner la mesure de son opportunisme dans un récent commentaire des Actualités cinématographiques Pathé.
Disséquant les images, et arguant de la grave situation provoquée dans la grande île par le typhon et les inondations, n'en profite-t-il pas pour faire remarquer, sur le ton paternel, « que la jeune Répu- blique Malgache serait dans l'impossibilité de se redresser sans les milliards français » ?
Il est impensable qu'un commentaire d'une telle naïveté ne soit pas destiné à suggérer aux pays africains que refuser l'intégration à la fameuse Communauté Française implique ce « retour de flamme » dans un avenir plus ou moins proche.
Remarquable, le fait que sur les placards, apposés un peu partout, invitant à secourir les sinistrés, les termes de « République Malgache » soient absolument négligés.
Rien ne peut cependant nous faire oublier l'insurrection de 1947 et les hommes dont nous attendons l'amnistie.
En 1953, lorsqu'un semblable cyclone ravagea l'île il n'en fut qu'à peine fait mention, et aujourd'hui, trop peu s'en souviennent, sans doute parce que tout en France finit par des chansons... l'orchestre national interprète au profit des sinistrés le requiem de Verdi.

Arsène Bonnafous-Murat.

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ART POÉTIQUE

L'âme égyptienne énumère devant Osiris les fautes qu'elle n'a pas commises, afin de prouver qu'elle mérite la béatitude éternelle ; mais le poète n'a à se disculper devant aucun juge.

I

J'ai ébloui jusqu'aux orgueilleux et jusqu'aux incrédules sans abuser des prestiges attachés à mon art.

II

J'ai fait fi de la cadence, de la rime, j'ai décapé les mots. « Allez la musique. » Foin des discours !

III

J'ai banni le clair, dénué de toute valeur. Œuvrant dans l'obscur, j'ai trouvé l'éclair. J'ai déconcerté. J'ai sonné l'émeute, affronté monstres et prodiges, fait famboyer tout ce qui exaspère le besogneux et la bonne âme.

IV

Les songes de l'homme, ses délires, ont culminé dans mes poèmes. Ce n'était pas à moi de les faire décliner leur nom ; protéiformes, ils cumulaient plusieurs sens. J'ai respecté leur confusion. J'ai laissé libre cours à leur fuite. Mes mots témoignent de leur perpétuelle métamorphose.

V

J'ai exalté les sentiments qu'on éprouve en aveugle et qu'on ruinerait à vouloir identifier. Grâce à moi, chacun maintenant s'y livre les yeux fermés. Il se sent avec eux dans une intimité nouvelle. Il est plus à l'aise dans son âme quand lui échappe ce qu'il tenait trop bien.

VI

Je n'ai pas imité ceux qui acquiescent aux désirs du grand nombre ou des puissants. J'ai tiré de moi ma règle, mon principe et mon goût, et j'ai outré leur différence, me rapprochant en cela des grands poètes et, par eux, de tous les hommes. J'ai pensé qu'il n'était pas de meilleures façons ni de moins courtes de montrer ma sincérité et ma finale dépendance.

VII

Je me suis proposé d'être inimitable. J'ai montré ma maîtrise, je n'ai pas dissimulé mes audaces. J'ai rejeté les disciplines communément acceptées. J'en ai inventé d'autres à mon seul usage. Si chacun peut m'imiter (en se rendant inimitable), c'est seulement ma récompense.

VIII

Je n'ai jamais eu le souci de prouver. La poésie n'est pas un métier : l'impatience et l'orgueil gardent son berceau. Je me suis abstenu des platitudes et des évidences. On force les serrures, non les images. Je n'ai pas eu besoin de me proclamer mage et prophète.

IX

Je n'ai pas simulé le blasement, le bon sens et la sagesse des nations. J'ai constaté avec satisfaction que mes transports me tenaient à l'écart du troupeau de Panurge.

X

Le travail, la peine ? Connais pas. Je me suis souvenu qu'il était pour l'eau, entre la pluie et la source, un cheminement facile, indubitable. Je me suis présenté comme la source, produisant naturellement une eau pure. Les vers jaillissaient d'emblée.

XI

Mes vers rappellent à chaque mot qu'ils sont la négation de la prose. (« C'est oracle, ce que je dis. ») Chaque vain effort pour réduire leur énigme, pour éviter leur piège réclame une nouvelle glose. On ne perce pas leur secret. A le vouloir désespérément, on rend plus insondable leur beauté.

XII

La poésie échappe à l'insipidité, à la servilité et à la futilité de la prose, ce qui est inappréciable. J'ai fait tenir tous les drames de l'amour dans une bulle de savon. Mes vers surprennent immédiatement. Tout les distingue du langage ordinaire et l'âme s'émerveille que le mot équivoque, que la syllabe longue et trouble la ramène frémissante dans les bois.

XIII

A d'autres le soin de nourrir l'âme d'aliments de première nécessité, qui ne sont pas rares, quoique indispensables à sa médiocrité stagnante. J'ai voulu lui imposer des mets luxueux et étranges, venus des antipodes ou des abîmes.

XIV

Dans le roi, je n'ai pas vu de majesté, ni dans le prêtre de sacerdoce. J'ai attiré l'attention sur la dérision du sceptre, la boue de la sandale. Je n'ai pas pris les choses par leur petit côté.

XV

Je n'ai pas observé le même irrespect dans l'atelier de l'artisan. Mais je n'ai loué ni son la- beur ni son ouvrage. J'ai ramassé le copeau pour en vanter la cour- be, la couleur et la finesse. La dialectique ordonne de telles préséances.

XVI

Il n'y a pas d'imagination juste ou injuste. On n'invente pas à vide. J'ai recouru au hasard et aux philtres. J'ai dédaigné la raison et l'expérience. J'ai changé, pour peu que j'en fusse sollicité de façon impérieuse, le sens des mots. Les mots me laissent pourtant plus riche qu'ils ne m'ont trouvé. Ils ont accru mes pouvoirs par des rencontres qui restent dans le souvenir.

XVII

J'ai été assez téméraire pour me glorifier de ma hardiesse et la recommander comme un principe. Mes imprudences furent toujours heureuses, j'en conçois de la fierté. J'ai compté surtout sur les présents du sort, les provoquant sans mesure pour accentuer la force de mon imagination et la générosité de mon cœur. Je les al acceptés avec orgueil, me réjouissant encore de ne les devoir qu'à moi-même.

XVIII

J'ai exprimé ce qu'on tenait, avant moi, pour inexprimable.

XIX

J'ai divulgué ce qui était réputé encore inconnaissable. J'ai révéré la science la moins répandue, ce qu'il n'est pas possible de savoir, toute chose complexe que chacun suppute de la naissance à la mort. Mais, la rencontrant dans mes vers, il est frappé d'une évidence qui déchaîne en lui un rire haschischin.

XX

J'ai le cœur pur. J'ai scandalisé tous les imbéciles, sauf ceux qui dorment du sommeil du juste.

XXI

Ceux qui aiment mes vers se les disent quand ils sont seuls et leur porte s'ouvre dans la nuit. Ceux qui aiment mes vers et qui aiment n'ont plus besoin de se les dire.

XXII

A toute vérité j'ai donné son puits.

XXIII

Cette voie m'a choisi librement. L'idée de réussite ou d'échec est au bout de mon pied.

André BRETON, Jean SCHUSTER.

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En guise d'anniversaire

Encore que je répugne à porter témoignage, comme tant croient pouvoir le faire, au nom d'une « génération », il ne me paraît pas outrecuidant d'affirmer que les événements d'il y a un an auront achevé la libération de quelques jeunes de mon âge.
Sur l'imprécise frontière qui sépare le social du moral, nous avons senti se précipiter, s'objectiver la colère à l'état pur. Ce que nous avions pu craindre depuis des mois, voire des années, mais comme une menace vague, et en souriant parfois de nos propres craintes, surgissait, et comment ! Ce n'était pas seulement le régime gaulliste qui s'installait grâce à l'armée ; mais grâce à la caution gaulliste, grâce à ce subterfuge qui n'aura de force qu'autant qu'il ne heurtera pas de front la réaction algéroise, c'était le fascisme militaire qui, pour un avenir indéterminable, allait commander à nos destinés publiques.
Le piège relativement récent de l'anarchisme « de droite », tel qu'il lui était arrivé par exemple de prendre les traits frivoles de La Parisienne, nous l'avions évité. Nous, surréalistes, nous révolutionnaires, — même en mettant dans ce mot moins d'espoir ou moins de « lucidité » que d'autres, — nous n'avions pas vomi l'idée de patrie pour accepter qu'à une IV° Marianne hydropique se substitue la mégère violacée qui, aujourd'hui, orne la couverture de Jeune Nation.
Mais, durant des années, nous avions refusé la main sanglante tendue par les bourreaux moscovites; nous avions dû constamment « ruser » dans nos rapporis avec les différents courants de la gauche oppositionnelle, pour préserver l'intégrité de notre pensée, sans croire qu'un changement de régime, même « socialiste », fût le coup de baguette magique qui suf- firait à nous rendre respirable l'air de la cité du vingtième siècle. Nous nous sentîmes enfin mis en face d'une option à la fois concrète et simple. Il n'a pas tenu à nous, - je le dis sans forfanterie, — qu'elle ne nous entraînât loin. Puis, ce fut le silence. Le tunnel ne fait que commencer. Nous entrons sans doute dans une période où il faudra, sur le front idéologique, se comporter en prisonniers de guerre. Saluons l'exemple des incendiaires de Mourepiane, qui, devant le tribunal, ont refusé même de décliner leur identité, en arguant de leur qualité de combattants. Sans caution, presque sans repère, il va falloir reforger une pensée révolutionnaire qui soit d'abord une pensée digne de ce nom, et pas une recette de cuisine, ou une litanie. Il va falloir cesser de partir de la société pour penser la révo- lution, mais partir de la pensée pour tout changer, y compris — s'il se peut — la société. N'est-ce pas ce dont nous avions rêvé au seuil de notre jeunesse ? Pour être soudain devenue un souterrain enténébré au trop beau soleil de mai 1958, elle n'en est pas moins notre chemin. Nous la reconnaissons encore. Il serait présomptueux de croire que nous sommes les seuls. Nous ne manquerons pas de compagnons.

G. L.

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Demandez le programme

Il s'agit moins de savoir ce qui fait notre faiblesse que ce qui fait notre force. L'auto-critique ou le mea-culpa, selon qu'on se réfère à l'un ou à l'autre des vocabulaires officiels, nous répugnent assez pour que de tout temps nous ayons cru devoir les combattre. Cependant, nous nous savons en position d'attente. La forme la plus exotérique de cette attente implique la reconnaissance du fait que, pour l'heure, dans le domaine de la révolution sociale, les possibilités de concrétisation sont bloquées, en raison tant du règne d'un nationalisme sans contrepoids, qui fige tout dans une immobilité « majestueuse », que de l'existence d'un sur-prolétariat, composé de la partie la plus évoluée économiquement de la classe ouvrière, et créé de toutes pièces par les avantages matériels du réformisme.
L'idée de Liberté est en hibernation dans les frigidaires du progrès technique. Pour l'en sortir il faut rompre le bon fonctionnement des institutions du confort; il faut faire naître le climat favorable à l'expression virulente d'un certain état d'esprit, qui se définira plus complétement par son mouvement propre, en envenimant les contradictions internes de la société attaquée. Trois repas par jour et la télévision, c'est bien : sauf si l'on a la peur poli- cière au ventre, et la crainte de ne pouvoir payer les traites. Si la seule arme dont nous disposions est l'agitation morale, elle n'en est pas moins capable de provoquer divers malaises, et, à l'apogée de sa courbe, de ranimer le concept révolutionnaire en lui rendant sa force et son éclat mythiques.
De l'instinct de liberté à sa réalisation idéologique, puis révolutionnaire, doit s'instaurer un mou- vement inverse de celui qui conduit des plans techniques du réformisme vers la distribution matérielle du bien-être, à savoir le mouvement qui entraîne les meilleures qualités physiques de l'homme, son trésor encore intact de puissances sensorielles, à se manifester consciemment dans une effervescence intellectuelle sans cesse renouvelée.
A cette dernière, il appartiendra de dissoudre l'idée négative de Dieu, qui ne trouve son aboutissement que dans le passage de la vie à la mort, et de lui substituer l'image constamment provocante de la Révolution, conque comme la seule part de l'homme toujours réfractaire aux pouvoirs approximatifs du divin, et la seule capable de l'y soustraire.
Pour cette libération, il faut, dès à présent, réveiller en l'homme, loin de l'unique ambition d'un plus satisfaisant niveau de vie, le besoin d'un plus grand sens de la vie.

Alain JOUBERT

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Retour au rêve

La bovinité critique, que pilote la malignité, ne cesse, comme dans « le monde à l'envers », de vouloir pousser les artistes d'aujourd'hui vers des enclos à sa mesure : un surréalisme tout arbitrairement réduit par elle à une forme d'imagerie onirique, plus ou moins académique, indéfendable, l'abstraction lyrique — que viendrait déborder, en langage charlatanesque, un art prétendu « autre », etc. De cette ignominieuse manœuvre vient faire justice l'admirable préface de Jean Arp au catalogue du Salon de Mai, qui constitue la plus autorisée et la plus pure des professions de foi surréalistes, au sens où nous l'entendons.

L'INCONCEVABLE QUI RESONNE par Jean ARP

Les hommes vont d'expérience en expérience. Ils auront bientôt examiné tous les états et constellations de la nature. Il me semble qu'ils retournent de nouveau du monde visible, de l'extérieur vers l'intérieur bien que cet intérieur ne soit pas toujours synonyme d'esprit.
Je connais des toiles sur lesquelles mes amis ont littéralement pleuré, qu'ils ont estampillées de leurs mains. Ces peintres ont rigoureusement obéi aux consignes de la nature, de leur nature. Sur leurs toiles ils ont laissé tomber la neige, la grêle, la poussière, la foudre. Ils s'y sont saignés à blanc, à rouge, à vert, à noir. Ils y ont tourbillonné et s'y ont effacés par un coup de torchon. Ce sont parfois des décalcumanies, parfois des enregistrements psychiques, des expériences sur les apparences du monde micro-cosmique.
Ce raz-de-marée semble aujourd'hui se briser contre le rêve. Le rêve réapparaît tel un miracle. Il contient ce qu'il a toujours contenu : l'imagination, la foi, la réalité.
Quelle réalité est vraie ? Quelle réalité est réelle ? Quelle réalité engendre les rêves ? Quel rêve est vrai ?
Le rêveur qui organise le monde par un choix restreint de formes similaires, par exemple par une suite de carrés et de cordes, est une réalité, un miracle. Le sculpteur a toujours dû se tenir à un contenu, à une construction. Il ne peut pas s'adonner à un brouillard, à un brouillamini. Le sculpteur est un constructeur, un architecte du rêve.
Pourquoi des poètes, des peintres, des sculpteurs n'essaieraient-ils pas de s'approcher de l'inconcevable, du divin ? L'en-dedans inconcevable n'est pas plus inconcevable que l'en-dehors concevable. Au moment où nous concevons le concevable, il commence à résonner en nous et devient inconcevable. Au temps où Raphaël peignait, le concevable et l'inconcevable étaient en balance, mais l'inconcevable ne résonnait pas. Aujourd'hui c'est l'inconcevable qui résonne !