MÉLUSINE

Point d'interrogation, Journal de la Sirène 2004

PASSAGE EN REVUES

« Point d’interrogation », Le Journal de la sirène, avril 2004, n° 14, [n.p.] Sur « Mélusine s’écrie »

Depuis 2003 paraît Le Journal de la sirène, feuille d’actualité dirigée par Florence Gourier. Très naturellement, la Sirène s’est intéressée à la fée Mélusine, à la revue Mélusine et à mon article sur « La Mélusine surréaliste » (voir sur ce même site) paru dans le recueil Mélusine moderne et contemporaine dirigé par Arlette Bouloumié, paru dans la Bibliothèque Mélusine en 2001. L’animatrice de ce journal s’est interrogée sur la citation que je donnais d’après Littré. Voici mon explication, publiée sous le titre « Point d’interrogation », alors que j’avais proposé un titre grammatical.

Extrait de la notice de Littré concernant Mélusine : [… ]De celle-ci [la maison de Lusignan] la première origine Fut une fée ayant nom Mélusine… On a conté seulement que parfois, Pendant la nuit, Mélusine qui pleure, En long serpent vient sans bruit et sans voix Revoir encor son antique demeure ; Mais, quand des maux s'élèvent menaçants Sur sa famille ou bien sur sa patrie, Quand un grand homme ou l'un de ses enfants Perd le bonheur ou va perdre la vie, Peignant son trouble en d'horribles accents, Du haut des tours Mélusine s'écrie, Creusé de Lesser, la Table ronde, ch. XI.

Mon intervention : Sur une version intransitive Chère Florence Gourier,

Vous m’interpellez dans le dernier numéro du Journal de la sirène en reprenant la citation que j’ai donnée de la notice du Littré consacrée à Mélusine. Il est vrai que le texte qu’il cite, s’achevant sur le verbe pronominal s’écrier en construction intransitive peut laisser le lecteur perplexe. Je suis donc allé vérifier : la citation est exacte, et reproduite intégralement. Creuzé de Lesser est l’auteur, entre autres, de Les Chevaliers de la Table ronde, « poème en vingt chants, tiré des vieux romanciers », publié à Paris chez Delaunay, libraire au Palais Royal en 1812. Voici ce qu’on y trouve, au Chant XII, pp. 232-233 : [Il s’agit de Gauvain] Il espérait en passant, aller vite À Lancelot faire une autre visite ; Mais, sur la France un ouragan soudain Vers le Poitou fit dériver Gauvain. Comme il passait sur les tours respectables, Du grand châtel de quelque grand seigneur, Il entendit des cris épouvantables Qu'on ne pouvait écouter sans terreur, Lui, sans ardeur il ne peut les entendre. Laissant sa belle en un château voisin, Sans nul retard, dans celui-là Gauvain S'en va chercher quelque service à rendre, Il entre, il voit un jeune chevalier Sombre et rêveur, mais de qui la tristesse N’altérait pas la noble politesse. De ces clameurs, de ce bruit singulier. L'Anglais alors lui demande la cause ; Et par ces mots, sans se faire prier, En soupirant le Poitevin l'expose :

« De Lusignan ce châtel a le nom. Ainsi que moi, dernier de ma maison. De celle-ci la première origine Fut une fée, ayant nom Mélusine. Elle était bien ; mais un sort accablant L'avait frappée : une fois par semaine Cette beauté finissait en serpent, Et se cachait au sein d’une fontaine. Osant tromper ses soins mystérieux, Épris d’amour, son époux curieux Un jour ainsi la surprit en sirène. Elle poussa pour la première fois Ces cris affreux dont frémissent les bois. Et, de ce jour à jamais disparue, De ses fils même elle évita la vue. On a conté seulement que parfois En long serpent Mélusine qui pleure, Dans la nuit sombre, et sans bruit et sans voix, Vient visiter son antique demeure. Mais quand des maux s'élèvent menaçans Sur sa famille ou bien sur sa patrie, Quand un grand homme ou l’un de ses enfans Perd le bonheur, ou va perdre la vie, Peignant sa peine en d’horribles accens, Du haut des murs Mélusine s'écrie. En ce moment, frappé de ses éclats, Vous l'entendrez, et... ne m'entendez pas. Hélas ! seigneur, sachant trop bien ma peine, A ma douleur elle mêle la sienne.

C’est là tout ce qui est dit de la fée qui tant vous préoccupe. Quoique brièvement, tous les éléments de la légende attachée au château des Lusignans y est dit. Quant à la construction pronominale intransitive, elle s’emploie encore pour un animal qui pousse son cri. L’emploi est donc justifié, dans la mesure ou la Mélusine serpentiforme a la vertu de se transformer en oiseau. Elle s’employait encore pour les individus dans le français classique, comme en témoigne le Dictionnaire de Furetière : « On lui a marché sur son pied douloureux, il s’est écrié aussitôt », ou encore ce fragment de Corneille que j’emprunte au Robert : (...) Il s'écrie, et sa suite, De peur d'un pareil sort, prend aussitôt la fuite. (Nicomède, V, 7)

Pour ces deux raisons il me semble logique que l’archaïsant Creuzé de Lesser donne une version romantique des Chevaliers de la Table ronde, où Mélusine s’écrie, sans plus.

Recevez, Chère Florence Gourier…

Henri Béhar