MÉLUSINE

Stephen Steele, Nouveaux regards sur Ivan Goll en exil, préface

PUBLICATIONS DIVERSES

Préface, dans : Stephen Steele, Nouveaux regards sur Ivan Goll en exil avec un choix de ses lettres des Amériques, Narr Verlag, Tübingen, 2010, p. V-VII.

Stephen Steele est professeur à l’Université Simon Fraser, en Colombie Britannique (Canada), mais je l’ai rencontré à plusieurs reprises lors des colloques organisés en France ou en Europe au sujet d’Apollinaire, Aragon, etc. Il s’est intéressé à Louis de Gonzague Frick (1883-1958), l’ami d’Apollinaire, et davantage encore à Ivan Goll (il a choisi d’écrire Ivan plutôt qu’Yvan, ces deux formes étant utilisées par l’auteur). Lecteur attentif de mes articles sur ce poète, il m’a demandé une préface pour son recueil résultant de ses travaux originaux. À cet égard, il est étonnant que Claire Goll, qui avait tant œuvré pour la publication de l’ensemble des œuvres de son défunt mari, n’ait pas eu l’idée de recueillir ces lettres d’exil qui nous font bien comprendre le courage et la vertu d’espérance de Goll durant son séjour américain.

Lire la présentation, dont ma préface, en pdf : Nouveaux regards sur Ivan Goll en exil avec un choix de ses lettres des Amériques (pageplace.de)

Stephen Steele, Nouveaux regards sur Ivan Goll en exil avec un choix de ses lettres des Amériques, Narr Francke Attempto Verlag, 6 oct. 2010,113 p.

Présentation :

Cet ouvrage vient combler une lacune dans l'historiographie récente de l'exil américain, durant la Deuxième Guerre, des écrivains français, où le nom d'Ivan Goll est souvent absent ou réduit à une simple mention. Il arrive à Goll d'être rattaché par les travaux de l'Exilforschung à l'émigration de langue allemande, à un moment qui le voit pourtant délaisser l'allemand au profit du français et même de l'anglais. Puisant dans une vingtaine de fonds d'archives des deux côtés de l'Atlantique, la recherche menée a permis de placer Goll auprès de poètes américains et des surréalistes réfugiés à New York, dans ses tentatives d'établir des connexions avec les appareils de publication et la vie littéraire newyorkais. Parmi les lettres inédites retenues pour reproduction à la fin de l'étude, figurent celles expédiées lors du séjour de Goll à La Havane en 1940 à William Carlos Williams et à Louise Bogan, où la poésie de Goll (Parmenia, Jean sans Terre) et sa correspondance se complètent au contact de "fruits" "pleins de surprise" et de "femmes succulentes", non sans suggérer l'existence d'un tourisme sexuel sur l'île.

Préface par HB :

Il était de toutes les avant-gardes. Présent à toute bonne occasion, toujours prêt pour le bon combat. Le voilà à Berlin en 1913, au cœur de l’expressionnisme. À Genève en 1914, parmi les pacifistes. À Zürich, il est le témoin contestataire de Dada. En liaison avec Ljubomir Micic de Zagreb, il est associé au Zénithisme européen. À Paris, le premier il lance la revue Surréalisme en 1924, dans le sillage d’Apollinaire, et boxe avec André Breton. On le croit à Paris, il est à Londres, Rome, Zurich, Bruxelles, Berlin. À New York en 1939, il arrive tout juste après la déclaration d’une guerre qu’il pressent mondiale à nouveau. Il apprend l’anglais et compose en cette langue. Au cours d’un bref séjour à Cuba, il chante la Vénus cubaine. À New York de nouveau, c’est l’Élégie d’Ihpetonga en l’honneur des premiers habitants. Au Québec, il est frappé par Le Mythe de la Roche-Percée. Avant de quitter les États-Unis, il se lance dans la poésie hermétique et la Kabbale. Jean sans Terre, ce nouveau Juif errant, est de tous les lieux, de toutes les innovations. On devrait réciter dans toutes les écoles ce poème de l’humanité au XXe siècle. Poète à la double nationalité, Lorrain né en France, éduqué en Moselle allemande, parfaitement bilingue, de culture juive, assimilé, il aura occupé un poste essentiel de passeur entre les nations, entre les civilisations. Et voilà que chaque année, il faut reprendre son bâton de pèlerin en faveur de la poésie, expliquer pourquoi Yvan Goll est un des plus grands méconnus de notre histoire littéraire. Les meilleurs esprits se sont attachés à lui, ont publié et commenté ses recueils, ses trouvailles, ses avancées. Mais ses Œuvres complètes restent à jamais inachevées. Chaque ouvrage qui lui est consacré demeure confidentiel. Un sort semble s’acharner sur son œuvre, sur sa réputation, comme un vent à effet de foehn sur la plaine d’Alsace, desséchant tout sur son passage. Pour les uns, il relève de la littérature allemande, pour les autres de la française, et finalement, au lieu de multiplier ses gains par deux pour l’avenir, le voilà réduit à la portion congrue. Ah ! les hommes n’aiment pas trop qu’on leur rappelle qui leur a mis le pied à l’étrier, qui les a fait connaitre par-delà les frontières. Ce Nouvel Orphée aura passé son temps, épuisé son énergie, à concevoir des anthologies de la poésie des cinq continents, à traduire, à diriger des collections, à monter des projets de revues, dont la plus réussie restera Hémisphères, publiée à New York. Les hommes ne lui en seront pas reconnaissants.

Un jeu littéraire, voulez-vous ?

Qui a écrit : Élégies internationales ? — Rainer Maria Rilke. — Non, Yvan Goll. Qui a écrit Le Nouvel Orphée ? — Apollinaire. — Non, Yvan Goll. Qui a écrit : Le Canal du Panama ? — Blaise Cendrars. — Non, Yvan Goll. Qui a écrit La Chaplinade ? — Philippe Soupault. — Non, Yvan Goll. Qui a écrit : Mathusalem ? — Bertolt Brecht. — Non, Yvan Goll. Qui a écrit : Chansons malaises ? — Évariste Parny. — Non, Yvan Goll. Qui a écrit : Poèmes d’amour ? — Paul Eluard. — Non, Yvan Goll. Qui a écrit : Jean sans Terre ? — Tristan Tzara. — Non, Yvan Goll. Qui a écrit : Élégie d’Ihpetonga ? — Benjamin Péret. — Non, Yvan Goll. Qui a écrit : Le Mythe de la Roche Percée ? — André Breton. — Non, Yvan Goll. Qui a écrit : Le Char triomphal de l’antimoine ? — O. V. Milosz. — Non, Yvan Goll. Qui a écrit : L’Herbe de songe ? — Jean-Hans Arp. — Non, Yvan Goll.

Et le jeu pourrait se poursuivre à l’infini, tant Yvan Goll participe de notre littérature, tant il la précède souvent, tant il en a humé les principes et les évolutions. À force de sauter d’un pays à l’autre, d’un continent à l’autre, peut-être lui aura-t-il manqué une chose, si l’on en croit l’ironique Baudelaire des Fusées : établir un poncif. Il n’y a pas de poncif Yvan Goll. Il est temps désormais de retourner à sa poésie à l’état brut, ou encore parée des illustrations des peintres amis, et de tenir pour nulles et non avenues les querelles d’un passé révolu, visant des positions de pouvoir intellectuel. Aujourd’hui, Stephen Steele a décidé de combler une lacune en nous montrant le poète aux prises avec le quotidien durant son exil américain. Il faut le suivre dans le détail pour comprendre comment le feu poétique transcende tous les obstacles, toutes les catastrophes. Chaque fois, l’humain triomphe. C’est peut-être la leçon profonde que dégage ce livre de pure érudition.

Table des matières un prologue 1 II L'installation à New York 1939-1940 12 III Le voyage à Cuba printemps 1940 38 IV Scènes de la vie newyorkaise 55 V Note sur la correspondanceet remerciements 69 VI Correspondance de Goll 1939-1947 70 Liste complémentaire des fonds 104 Index des oeuvres de Goll évoquées 110 Table des matières 112

Voir mes articles sur Yvan Goll :

« Regards sur Yvan Goll et les avant-gardes », dans : Yvan Goll (1891-1950) situations de l’écrivain, études réunies par Michel Grunewald et Jean-Marie Valentin. Bern, Berlin, Francfort, New York, Paris, Vienne, Lang, 1994, pp. 83-99.

Et ici-même : Jean sans Terre, ou le juif errant controversé, Europe n° 899